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Visite de conformité : le respect de la vie privée et du domicile limite le droit de visite !

Affaire Halabi c. France,

La Cour européenne des droits de lhomme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Angelika Nußberger, présidente,
Yonko Grozev,
André Potocki,
Mārtiņš Mits,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer,
Lәtif Hüseynov,
Lado Chanturia, juges,
et de Milan Blaškogreffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 23 avril 2019,

Rend larrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  À lorigine de laffaire se trouve une requête (no 66554/14) dirigée contre la République française et dont un ressortissant britannique, M. Simon Halabi (« le requérant »), a saisi la Cour le 26 septembre 2014 en vertu de larticle 34 de la Convention de sauvegarde des droits de lhomme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant a été représenté par Me E. Piwnica, avocat au Conseil dEtat et à la Cour de cassation. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. F. Alabrunedirecteur des affaires juridiques au ministère de lEurope et des Affaires étrangères.

3.  Le requérant allègue que la visite effectuée par les agents de lurbanisme le 19 mars 2009 a violé son droit au respect de son domicile tel que prévu par larticle 8 de la Convention.

4.  Le 7 avril 2017la requête a été communiquée au Gouvernement.

5.  Le gouvernement britannique na pas usé de son droit dintervenir dans la procédure (article 36 § 1 de la Convention).

I.  LES CIRCONSTANCES DE LESPÈCE

6.  Le requérant est né en 1958 et réside à Londres.

7.  La société Immofra est une société anonyme constituée le 14 novembre 1989 à Luxembourg. Le 29 novembre 1989, cette société a fait lacquisition dun corps dimmeuble dénommé « château des Bois Murés », dépendant de lensemble immobilier dénommé « château des Bois Murés », dune surface de 339 430 m2, situé au 124 boulevard Emmanuel Rouquier à Grasse, en France. Cette société, immatriculée au registre ducommerce et des sociétés du Luxembourg a pour seule raison sociale la détention de cet ensemble immobilier. Elle a été constituée entre la société Continental Business Agency, dont le siège est à Guernesey, et le gérant de celle-ci. Elle a été administrée par M. M. C. S., puis par Mme B. P. C., qui a déclaré demeurer aux Émirats Arabes Unis, puis en Syrie, puis sur lîle Maurice. Selon le requérant, qui se présente comme occupant de cetensemble immobilier, ces sociétés constituent un moyen de gérer son patrimoine familial.

8.  Le 24 mars 2006, la société Immofra a déposé une demande de permis de construire pour la construction dune maison individuelle de 300 m2 de surface, située 11 chemin de la Tourache à Grasse, comprenant un rez-de-chaussée de 175,99 m2 et un premier étage de 123,74 m2, avec une hauteur maximale de la construction par rapport au sol naturel de 8 mètres.

9.  Par arrêté du 10 juillet 2006, le maire de la commune de Grasse a délivré à la société Immofra le permis de construire sollicité.

10.  Le 2 juin 2006, la société Immofra a déposé une déclaration de travaux pour la construction dune piscine et dun local technique.

11.  Par décision du 8 août 2006, le maire de la commune de Grasse ne sest pas opposé aux travaux déclarés par la société Immofra.

12.  Le 29 septembre 2006, la société Immofra a déposé une demande de permis de construire pour la construction dune serre, dune surface de 92 m2, et dun escalier extérieur.

13.  Par arrêté du 29 novembre 2006, le maire de la commune de Grasse a délivré à la société Immofra le permis de construire sollicité.

14.  Le 19 mars 2009, deux agents habilités du service de lurbanisme de la ville de Grasse procédèrent à une visite dans lensemble immobilier dénommé « château des Bois Murés » situé 124 boulevard Emmanuel Rouquier (paragraphe 7 cidessus) appartenant à la société Immofra, sur le fondement de larticle L. 461-1 du code de lurbanisme afin dy contrôler les travaux réalisés. Les agents dressèrent un procès-verbal constatantdes constructions qui ne respectaient pas le permis de construire délivré, ainsi que la déclaration de travaux, à savoir :

– la construction dune salle de gymnastique, comportant douches, salle de massage, sauna, hammam, dune surface de 150 m2, en lieu et place dune serre et dun escalier extérieur autorisés par le permis de construire accordé le 29 novembre 2006 ;

-la construction, dune part, de deux logements, comportant chacun une chambre, un séjour, une cuisine, une salle de bains, dune surface de 129 m2, dautre part, dune salle de 53,46 m2, dune cuisine de 12 m2 et dun local à usage de douches et de toilettes de 14 m2, à lemplacement prévu pour le local technique autorisé par la décision du 8 août 2006.

15.  Des photos furent annexées à ce procès-verbal, représentant notamment, attenante au corps immobilier principal, la salle de gymnastique équipée dappareils de fitness et musculation, dune table de massage, dune douche et de lavabos en marbre, de meubles (table en marbre, tabouret), dobjets du quotidien (produits dhygiène, serviettes de bain) comme dobjets de décoration (statue, fontaine intérieure, lustre, vase, rideaux).Dautres photos, représentaient des pièces encore en travaux et inoccupées, construites à lemplacement prévu pour le local technique.

16.  Ces opérations se déroulèrent sans laccord préalable du propriétaire ou de loccupant des lieux et en leur absence. Selon le Gouvernement, les agents assermentés pénétrèrent dans les lieux par les portes daccès aux bâtiments qui étaient ouvertes et le personnel de lentreprise de travaux présent sur les lieux ne sopposa pas à leur entrée.

17.  Au vu de ce procès-verbal de constat, une enquête préliminaire fut diligentée.

18.  Le 9 décembre 2010, un nouveau procès-verbal de constat dinfraction fut dressé par un agent assermenté de la direction départementale des territoires et de la mer des Alpes-Maritimes à lencontre, notamment du requérant considéré comme « occupant des lieux ». À loccasion de cette nouvelle visite, son avocat, Me D., donna son accord écrit au nom du requérant, pour laccès aux seules parties de la propriété concernées par le procès-verbal dinfraction du 19 mars 2009. Le procès-verbal constata un obstacle au droit de visite des autres constructions sur le terrain situé 124 boulevard Emmanuel Rouquier ainsi que dautres motifs de non-respect des autorisations délivrées. Cette visite seffectua en présence de Me D., de deux agents de la police nationale, dun architecte expert auprès de la cour dappel dAix-en-Provence, du responsable de propriété, M. G., et dun autre agent de la direction départementale des territoires et de la mer. Dautres photos furent annexées à ce procès-verbal, représentant, notamment, une vue du ciel de lensemble de la propriété (permettant de distinguer plusieurs bâtiments, un parc, un terrain de tennis), un héliport, une piscine, une salle de sport, une coupole italienne.

19.  Le 8 février 2011, une information judiciaire fut ouverte tant à lencontre de la société Immofra quà lencontre du requérant.

20.  Le 31 janvier 2013, le requérant, occupant des lieux, fut mis en examen par le juge dinstruction, des chefs notamment de construction sans permis de construire, exécution irrégulière de travaux soumis à déclaration préalable, coupe ou abattage darbres irrégulier, et obstacle au droit de visite des constructions par les autorités habilitées. Lors de son interrogatoire, il déclara notamment quayant obtenu le permis de construire dune maison individuelle de 300 m2, il ne voyait pas en quoi les constructions étaient irrégulières. Il précisa que la coupole italienne au-dessus de lescalier avait été édifiée en mémoire de son fils décédé et quil était prêt à linstaller ailleurs si elle était trop haute. Il expliqua que le local technique, prévu pour être installé sous la piscine, était beaucoup trop grand et le permis de construire de 300 m2 nétant pas utilisé, il avait pensé possible de le « convertir » en deux logements de 129 m2. Il indiqua que tout le patrimoine familial était au nom de sociétés et quil pensait sêtre entouré de professionnels pour gérer ses affaires dans les règles. Il se déclara prêt à régulariser, assurant que les irrégularités étaient non intentionnelles de sa part.

21.  Le 8 juillet 2013, le requérant déposa une requête en annulation devant la chambre de linstruction de la cour dappel dAix-en-Provence, visant notamment larticle 8 de la Convention, aux fins de voir annuler le procèsverbal dinfraction du 19 mars 2009, ainsi que lentière procédure.

22.  Par un arrêt du 10 octobre 2013, la chambre de linstruction rejeta la requête en nullité du requérant. Elle considéra que, le permis de construire et la déclaration de travaux ne prévoyant quune serre, un escalier et un local technique, les agents habilités du service de lurbanisme nétaient pas censés pénétrer dans des logements ni une salle de gymnastique. Elle observa quaucun occupant navait revendiqué les lieux comme étant son domicile au moment de cette visite et que le requérant lui-même nétait ni propriétaire des lieux, ni locataire. Elle releva quil avait élu domicile au cabinet de son avocat tout en se disant domicilié à Londres et que le seul propriétaire connu était une société de droit luxembourgeois. Elle considéra que les agents de lurbanisme avaient agi sur le fondement de larticle L. 461-1 du code de lurbanisme et que cette disposition les autorisait à agir ainsi sans porter atteinte au respect de la vie privée et familiale du requérant ni contrevenir aux dispositions de larticle 76 du code de procédure pénale.

23.  Le requérant forma un pourvoi en cassation. Dans le cadre de ce pourvoi, il présenta une question prioritaire de constitutionnalité, en vue de contester la conformité à la Constitution de larticle L. 461-1 du code de lurbanisme.

24.  Par un arrêt en date du 18 mars 2014, la Cour de cassation jugea quil ny avait pas lieu de renvoyer la question au Conseil constitutionnel. Elle considéra que larticle L. 461-1 du code de lurbanisme nautorisait aucune mesure coercitive de nature à porter atteinte à linviolabilité du domicile ou à la liberté individuelle de loccupant des lieux. Elle précisa que ce dernier nencourait de sanctions pénales que dans le cas où il faisait obstacle au contrôle et que ces sanctions ne pouvaient être prononcées que par le juge judiciaire, également compétent pour apprécier la légalité de la visite.

25.  Le 1er avril 2014, la Cour de cassation rejeta le pourvoi, jugeant que ladministration navait « exercé aucune coercition ».

26.  Le 26 janvier 2017, le tribunal correctionnel de Grasse déclara le requérant coupable du délit dentrave au droit de visite, pour lobstacle dont il sétait rendu coupable à loccasion de la deuxième visite du 9 décembre2010 (paragraphe 18 ci-dessus). Le tribunal sanctionna également le requérant pour lexécution de travaux non autorisés par un permis de construire et lexécution irrégulière de travaux soumis à une déclaration préalable, faits constatés lors de la visite litigieuse du 19 mars 2009 et de celle du 9 décembre 2010 avec laccord écrit de lavocat du requérant (paragraphes 14 et 18 ci-dessus). Il fut condamné au paiement dune amende de cinq mille euros (EUR). À titre de peine complémentaire, le tribunal ordonna la mise en conformité des lieux ou des ouvrages dans un délai de six mois sous astreinte de cinquante EUR par jour de retard. La société Immofra fut condamnée à la même peine.

27.  À la suite dune autre visite des lieux, réalisée depuis lextérieur de la propriété, les agents de la commune de Grasse dressèrent, le 15 décembre 2016, à lencontre de la société Immofra, propriétaire du terrain, un nouveau procès-verbal dinfraction pour la construction dune clôture denviron 4,80 m de hauteur, en violation de plusieurs dispositions du plan local durbanisme.

28.  Le 16 juin 2016, la société Immofra déposa une demande de permis de construire pour la régularisation des travaux de construction de la salle de gymnastique. À défaut de production dans les délais requis des pièces complémentaires sollicitées par le service instructeur, cette demande fut tacitement rejetée. Le 7 décembre 2016, la société Immofra déposa une nouvelle demande de permis de construire aux fins de régularisation des mêmes travaux. Par arrêté du 9 mai 2017, le maire de la commune de Grasse délivra à la société Immofra le permis de construire sollicité.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A.  Dispositions pertinentes du code de lurbanisme

29.  Les dispositions pertinentes du code de lurbanisme, dans leur rédaction en vigueur au moment des faits, se lisent comme suit :

Article L. 461-1

« Le préfet et lautorité compétente mentionnée aux articles L. 422-1 à L. 422-3 ou ses délégués, ainsi que les fonctionnaires et les agents commissionnés à cet effet par le ministre chargé de lurbanisme et assermentés, peuvent visiter les constructions en cours, procéder aux vérifications quils jugent utiles et se faire communiquer tous documents techniques se rapportant à la réalisation des bâtiments, en particulier ceux relatifs à laccessibilité aux personnes handicapées quel que soit le type de handicap. Ce droit de visite et de communication peut aussi être exercé après lachèvement des travaux pendant trois ans. »

Article L. 480-1

« Les infractions aux dispositions des titres Ier, II, III, IV et VI du présent livre sont constatées par tous officiers ou agents de police judiciaire ainsi que par tous les fonctionnaires et agents de lÉtat et des collectivités publiques commissionnés à cet effet par le maire ou le ministre chargé de lurbanisme suivant lautorité dont ils relèvent et assermentés. Les procès-verbaux dressés par ces agents font foi jusquà preuve du contraire. (…)

Lorsque lautorité administrative et, au cas où il est compétent pour délivrer les autorisations, le maire ou le président de létablissement public de coopération intercommunale compétent ont connaissance dune infraction de la nature de celles que prévoient les articles L. 160-1 et L. 480-4, ils sont tenus den faire dresser procès-verbal.

Copie du procès-verbal constatant une infraction est transmise sans délai au ministère public. (…) »

Article L. 480-12

« Sans préjudice de lapplication, le cas échéant, des peines plus fortes prévues aux articles 433-7 et 433-8 du code pénal, quiconque aura mis obstacle à lexercice du droit de visite prévu à larticle L. 461-1 sera puni dune amende de 3 750 euros.

En outre un emprisonnement de un mois pourra être prononcé. »

B.  Dispositions pertinentes du code pénal

30.  Les dispositions pertinentes du code de pénal, dans leur rédaction en vigueur au moment des faits, se lisent comme suit :

Article 432-8

« Le fait, par une personne dépositaire de lautorité publique ou chargée dune mission de service public, agissant dans lexercice ou à loccasion de lexercice de ses fonctions ou de sa mission, de sintroduire ou de tenter de sintroduire dans le domicile dautrui contre le gré de celui-ci hors les cas prévus par la loi est puni de deux ans demprisonnement et de 30 000 euros damende. »

C.  Jurisprudence

31.  Outre la présente affaire, la chambre criminelle de la Cour de cassation a considéré, à plusieurs reprises, quil ny avait pas lieu de transmettre les questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) relatives à larticle L. 461 1 du code de lurbanisme (Cass. crim., 12 juin 2012, no 1290.024, et Cass. crim., 7 janvier 2014, no13-90.029). La Cour de cassation était saisie du grief selon lequel ces dispositions porteraient atteinte au droit au respect de linviolabilité du domicile garanti par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de lhomme de 1789 et méconnaîtraient larticle 66 de la Constitution selon lequel lautorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle. Elle a considéré quil ny avait pas lieu de transmettre cette question au Conseil constitutionnel au motif que :

« la disposition critiquée nautorise aucune mesure coercitive de nature à porter atteinte à linviolabilité du domicile ou à la liberté individuelle de loccupant des lieux, qui nencourt de sanctions pénales que dans le cas où il fait obstacle au contrôle, lesdites sanctions ne pouvant être prononcées que par le juge judiciaire, également compétent pour apprécier la légalité de la visite. »

32.  En revanche, la Cour de cassation a accepté de transmettre une QPC portant sur larticle L. 480-12 du code de lurbanisme (qui institue un délit dobstacle au droit de visite – paragraphe 29 ci-dessus), dans son application combinée avec larticle L. 461-1 du même code. Dans son arrêt du 10 février 2015, la chambre criminelle de la Cour de cassation a considéré que la question présentait un caractère sérieux au regard des principes de respect de linviolabilité du domicile et de la liberté individuelle, dès lors que l’article L. 480-12 du code de lurbanisme nassortit pas le contrôle quil prévoit de garanties particulières, notamment lorsque la visite seffectue dans un domicile (Cass. crim., 10 février 2015, no 14-84.940).

33.  Le 9 avril 2015, le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions légales en cause étaient conformes à la Constitution (décision no 2015-464 QPC). Dans cette décision, il rappelle que la liberté proclamée par larticle 2 de la Déclaration des droits de lhomme et du citoyen de 1789 implique le droit au respect de la vie privée et, en particulier, de linviolabilité du domicile. Puis, il considère queu égard au caractère spécifique et limité du droit de visite, lincrimination prévue par larticle L. 480-12 du code de lurbanisme nest pas de nature à porter atteinte à linviolabilité du domicile.

34.  À la suite de cette décision, dans la même affaire, la Cour de cassation a jugé que larticle L. 480-12 du code de lurbanisme nétait pas incompatible avec les dispositions de larticle 8 de la Convention européenne des droits de lhomme, dès lors que les sanctions pénales quil prévoit, qui visent à garantir leffectivité des contrôles en matière durbanisme, ne pouvaient être prononcées que par le juge judiciaire, également compétent pour apprécier la légalité de la visite, laquelle était conditionnée par labsence de toute coercition lorsque le contrôle porte sur un domicile (Cass. crim., 1er septembre 2015, no 14-84.940).

D.  Réponses ministérielles

35.  Le ministre des Transports, de lÉquipement, du Tourisme et de la Mer a répondu dans les termes suivants à une question parlementaire (réponse ministérielle à la question écrite no 19439, Sénat, JO du 2 février 2006, p. 309) :

« Outre les officiers et agents de police judiciaire, larticle L. 480-1 du code de lurbanisme prévoit que certains fonctionnaires et agents de lÉtat et des collectivités publiques, commissionnés à cet effet et assermentés, sont habilités à dresser procès-verbal des infractions quils constatent. Si les officiers et agents de police judiciaire sont tenus de suivre les règles de procédure pénale, dont ils tirent une compétence générale, les fonctionnaires et agents de lÉtat et des collectivités publiques, commissionnés et assermentés, ne sauraient exercer leurs attributions de police judiciaire que dans les strictes limites des pouvoirs accordés par le code de lurbanisme, qui limite ceux-ci à la seule constatation des faits. Dans lhypothèse la plus simple et la plus fréquente, les constatations des infractions au code de lurbanisme sur les constructions ou travaux visibles de lextérieur sont effectuées depuis la voie publique et ne nécessitent donc pas laccord dune quelconque personne. Dans le cas contraire, sachant que la jurisprudence fait une appréciation extensive de la notion de domicile, lors des constations effectuées à lintérieur dune propriété, lagent verbalisateur doit préalablement rechercher laccord manuscrit de loccupant ou recueillir son accord verbal et le consigner dans le procès-verbal. En cas de refus daccès à la propriété, lagent doit consigner le refus opposé par loccupant dans le procès-verbal et transmettre celui-ci au ministère public, qui peut ordonner une enquête préliminaire, voire saisir le juge dinstruction en vue dordonner une visite domiciliaire sur commission rogatoire délivrée aux officiers de police judiciaire. »

36.  La même réponse avaient été apportée les 30 janvier 1989 et 31 janvier 2006 aux questions similaires posées par des parlementaires (réponse ministérielle à la question écrite no 8680, Assemblée nationale, JO du 30 janvier 1989, p. 422, et réponse ministérielle à la question écrite no 74381, Assemblée nationale, JO du 31 janvier 2006, p. 1094).

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE LARTICLE 8 DE LA CONVENTION

37.  Le requérant allègue que la visite effectuée par les agents de lurbanisme le 19 mars 2009 a porté atteinte à son droit au respect de son domicile tel que prévu par larticle de la Convention, ainsi libellé :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2.  Il ne peut y avoir ingérence dune autorité publique dans lexercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et quelle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bienêtre économique du pays, à la défense de lordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés dautrui. »

38.  Le Gouvernement soppose à cette thèse.

A.  Sur la recevabilité

39.  Le Gouvernement considère que la requête est irrecevable ratione materiae. Il estime que larticle 8 de la Convention est inapplicable en lespèce, les locaux visités ne pouvant être qualifiés de domicile du requérant.Il fait valoir que la notion de domicile exige lexistence de liens suffisants et continus avec un lieu déterminé et que la Cour, dans sa jurisprudence (Buckley c. Royaume-Uni, 25 septembre 1996, §§ 52-54, Recueil des arrêts et décisions 1996IV, Winterstein et autres c. France, no 27013/07, § 141, 17 octobre 2013, et Demades c. Turquie, no 16219/90, §§ 31-34, 31 juillet 2003), prend en compte la durée et les modalités doccupation des lieux. Il rappelle que cette propriété appartient à la société Immofra et que le requérant, qui vit à Londres, na pas fourni la moindre précision sur les liens quil entretient avec les lieux visités. Le Gouvernement considère que lerequérant ne démontre nullement avoir tissé des liens émotionnels assez forts avec cette propriété pour quelle soit regardée comme son domicile, même en qualité de résidence secondaire. En tout état de cause, il estime que la visite litigieuse na pas porté sur la maison elle-même, mais uniquement sur deux dépendances, en lespèce une salle de gymnastique et deux logements dont il nest pas établi quils étaient meublés, ni même quils aient eu vocation à accueillir le requérant et sa famille.

40.  Le requérant indique quil est un homme daffaires et un promoteur immobilier britannique résidant à Londres. Il affirme que la propriété visitée constitue sa résidence secondaire avec laquelle il entretient des liens forts, puisquil y passe ses vacances en famille et quil la spécialement équipée pour y recevoir ses amis et ses relations daffaires dans le cadre de séjours prolongés. Se référant aux photographies versées au débat par le Gouvernement, il rappelle que la propriété comporte un château, un parc, une piscine, un terrain de tennis, un héliport, une salle de musculation. Il précise quun sauna et un hammam ont également été aménagés. Il considère que ces éléments attestent incontestablement que la propriété est spécialement et luxueusement équipée pour quil puisse y recevoir ses amis et ses relations daffaires.

41.  La Cour rappelle que la notion de « domicile » figurant à larticle 8 de la Convention est un concept autonome, qui ne dépend pas des qualifications du droit interne, mais est défini en fonction des circonstances factuelles, notamment par lexistence de liens suffisants et continus avec un lieu déterminé (Prokopovitch c. Russie, no 58255/00, § 36, CEDH 2004XI (extraits)). La notion de « domicile » se prête à une interprétation extensive et peut sappliquer à une résidence de vacances (Demades c. Turquie, no 16219/90, §§ 31-34, 31 juillet 2003, et Fägerskiöld c. Suède, no 37664/04, 26 février 2008). Dans laffaire Demades, elle a considéré quil pouvait se révéler malaisé détablir des distinctions précises, une personne pouvant répartir son temps entre deux résidences ou être très fortement attachée à un autre logement que sa résidence principale et le considérer comme son domicile. Ainsi, une résidence secondaire entièrement meublée et équipée, utilisée notamment comme résidence de vacances, peut être considérée comme un « domicile » au sens large de larticle 8 (§§ 31-34).Au contraire, la Cour a considéré quune buanderie, qui nétait pas la propriété exclusive du requérant, qui ne servait quà un usage occasionnel et où il nhabitait pas, nétait pas un « domicile », au sens de la Convention (Chelu c. Roumanie, no 40274/04, § 45, 12 janvier 2010). De même, un bâtiment non-habité et vide ou en cours de construction pourrait ne pas être qualifié de « domicile ».

42.  En lespèce, la Cour constate quil nest pas contesté que cette propriété appartient à la société Immofra. Elle relève cependant que, devant le juge dinstruction, le requérant a expliqué que tout le patrimoine familial était au nom de sociétés. De plus, il soutient quen tant quhomme daffaires résidant à Londres, cette propriété constitue pour lui une résidence secondaire pour ses vacances en famille et pour recevoir ses relations daffaires dans le cadre de séjours prolongés.

43.  La Cour observe que les autorités nationales lont dailleurs effectivement considéré comme loccupant de ce domicile, puisque cest à ce titre que le procès-verbal du 9 décembre 2010 a été dressé à son encontre, quil a été mis en examen, puis quil a été condamné pénalement par la juridiction nationale (paragraphes 182026 ci-dessus). Par ailleurs, la coupole italienne audessus de lescalier, édifiée en mémoire de son fils décédé, atteste de liens émotionnels forts entre le requérant et ce domicile (paragraphe 20 cidessus). Enfin, la Cour constate le caractère incontestablement résidentiel des locaux visités indissociables de lensemble immobilier dénommé « château des Bois Murés » dont il constituait une annexe. Elle observe que si certaines pièces étaient encore en travaux et non meublées, les photos (paragraphe 15 ci-dessus) attestent que la visite litigieuse sest également déroulée dans des pièces qui nétaient plus en travaux. Elles étaient meublées, décorées et équipées. Par ailleurs, des objets du quotidien tels que produits dhygiène et serviettes de bain se trouvaient déjà dans ces pièces. En y pénétrant, les agents de lurbanisme sont entrés dans un espace physiquement déterminé où pouvait se développer la vie privée et familiale du requérant. Partant, la Cour estime que, dans les circonstances de lespèce, la propriété ayant fait lobjet de la visite litigieuse doit être qualifiée de «domicile» du requérant au sens de larticle 8 de la Convention.

44.  Constatant que la requête nest pas manifestement mal fondée au sens de larticle 35 § 3 a) de la Convention et quelle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif dirrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

B.  Sur le fond

1.  Thèses des parties

a)  Le requérant

45.  Le requérant fait valoir que linviolabilité du domicile implique que les agents assermentés de la commune ne pouvaient pénétrer dans la propriété quaprès avoir préalablement recueilli son consentement. Il estime que largumentation selon laquelle les portes daccès aux bâtiments étaient ouvertes ou que ces agents se sont bornés à prendre des photographies pour lessentiel depuis lextérieur des locaux ou à lintérieur de locaux vides ne peut justifier une telle ingérence.

46.  Le requérant ne conteste pas que lingérence était prévue par la loi et quelle poursuit un but légitime. Il considère en revanche quelle ne constitue pas une mesure nécessaire dans une société démocratique. Il estime que la recherche des auteurs dinfraction en matière durbanisme ne justifie pas le recours aux visites inopinées et sans consentement préalable, dès lors quil nexiste aucun risque de voir la construction litigieuse disparaître « fortuitement ». Or, ni larticle L. 461-1 du code de lurbanisme ni aucune disposition ne font obligation aux agents assermentés de recueillir préalablement à une visite le consentement des occupants. Il relève que si les recommandations formulées par les réponses ministérielles quant à la recherche dun accord préalable ne sont pas respectées, loccupant des lieux ne dispose daucun recours effectif. Il considère que la faculté de saisir la chambre de linstruction dune requête en annulation des procès-verbaux constatant linfraction est dépourvue de tout effet utile, compte tenu de la décision du Conseil constitutionnel du 9 avril 2015, ce dernier ayant écarté le grief tiré de linviolabilité du domicile « eu égard au caractère spécifique et limité du droit de visite » (paragraphe 33 cidessus).

47.  Le requérant conclut donc que labsence dencadrement juridique des visites domiciliaires visées à larticle L. 461-1 du code de lurbanisme, conjuguée à labsence de recours effectif, traduisent une nette disproportion entre les moyens mis en œuvre pour constater une infraction en matière durbanisme et la nécessaire protection de linviolabilité du domicile.

b)  Le Gouvernement

48.  Le Gouvernement considère que la visite litigieuse ne constitue pas une ingérence dans la mesure où aucune forme de contrainte na été exercée et quelle na nullement empêché le requérant de jouir des lieux en toute tranquillité. Ainsi, il indique que les agents assermentés de la commune sont entrés librement dans les lieux grâce aux portes daccès du bâtiment restées ouvertes et que ces agents se sont contentés de prendre des photographies pour lessentiel depuis lextérieur des locaux ou à lintérieur de locaux vides.

49.  En tout état de cause, le Gouvernement fait valoir que la mesure contestée était prévue par la loi, en lespèce larticle L. 461-1 du code de lurbanisme. Il estime que cette base légale répond aux critères daccessibilité et de prévisibilité et satisfait la condition de compatibilité avec la prééminence du droit. En effet, les visites prévues par larticle L. 461-1 du code de lurbanisme ont un champ bien délimité et ne sauraient être assimilées à des perquisitions. Les agents habilités à les réaliser ne disposent daucun pouvoir de contrainte et ne peuvent prendre aucune mesure coercitive de type saisie de documents.

50.  Le Gouvernement établit une différence entre les constructions en cours qui ne sauraient être qualifiées de domicile et celles qui sont achevées depuis moins de trois ans. Il fait valoir quil ressort de la lecture a contrario de la jurisprudence de la Cour de cassation et des réponses ministérielles à des questions de parlementaires que le consentement préalable du propriétaire ou de loccupant dune construction achevée est en principe recueilli, même si larticle L. 461-1 ne le prévoit pas. Il rappelle que la simple manifestation dun refus du propriétaire ou de loccupant fait automatiquement obstacle à la visite, les agents sexposant alors à la sanction pénale prévue par larticle 432-8 du code pénal (paragraphe 30 cidessus).

51.  Le Gouvernement relève également que la jurisprudence de la Cour nimpose pas que toute visite domiciliaire soit précédée dune autorisation judiciaire, mais veille en revanche à ce quun contrôle judiciaire a posteriori efficace soit disponible (Gutsanovi c. Bulgarie, no 34529/10, §§ 220 et 222, CEDH 2013 (extraits)). Il soutient quen lespèce, des voies de recours juridictionnelles a posteriori effectives sont disponibles.

52.  Le Gouvernement fait valoir que lingérence prévue par larticle L. 461-1 du code de lurbanisme poursuit les objectifs de « prévention des infractions pénales » et de « protection des droits et libertés dautrui », lesquelles constituent des buts légitimes au sens de larticle 8.

53.  Il considère, que si la Cour jugeait que la visite du 19 mars 2009 constituait une ingérence, celle-ci serait en tout état de cause justifiée et nécessaire dans une société démocratique. Il rappelle que la visite sest avérée justifiée au regard des constatations de non-respect des règles de lurbanisme, quelle na eu aucune conséquence sur la vie privée et familiale du requérant, ainsi que sur la jouissance des locaux et quenfin la sanction était limitée et na pas empêché la société Immofra dobtenir un permis de construire de régularisation.

2.  Appréciation de la Cour

a)  Sur lexistence dune ingérence dans le domicile

54.  La Cour rappelle que le domicile est normalement le lieu, lespace physiquement déterminé où se développe la vie privée et familiale. Lindividu a droit au respect de son domicile, conçu non seulement comme le droit à un simple espace physique mais aussi comme le droit à la jouissance, en toute tranquillité, de cet espace (Giacomelli c. Italie, no 59909/00, § 76, CEDH 2006XII, et Fédération nationale des associations et syndicats de sportifs (FNASS) et autres c. Francenos 48151/11 et 77769/13§ 154, 18 janvier 2018)À ce titre, il est notamment protégé des atteintes matérielles ou corporelles, telles que lentrée dans le domicile dune personne non autorisée (ibidem).

55.  La Cour observe que les juridictions internes ont considéré que ladministration, en procédant à une visite prévue par larticle L. 461-1 du code de lurbanisme, nexerçait « aucune coercition » de nature à porter atteinte à linviolabilité du domicile ou à la liberté individuelle de loccupant des lieux (paragraphes 24-25 ci-dessus). De lavis de la Cour, il y a certes lieu de distinguer, de par leur nature même, les visites effectuées par les agents de lurbanisme dautres visites domiciliaires, telles celles entreprises par exemple, par les douanes, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), ou ladministration fiscale qui peuvent conduire à saisir de nombreux documents, données ou objets (Funke, Crémieux et Miailhe c. France, 25 février 1993, série A no 256A, B et C, Ravon et autres c. France, no 18497/03, 21 février 2008, et Vinci Construction et GTM Génie Civil et Services c. France, nos 63629/10 et 60567/10, 2 avril 2015). En règle générale, ces visites domiciliaires sont davantage susceptibles de porter atteinte au respect du domicile et de la vie privée car elles révèlent plus dinformations sur la personne qui en fait lobjet (voir, mutatis mutandis, Uzun c. Allemagne, no 35623/05, § 52, CEDH 2010 (extraits)). Néanmoins, eu égard au principe consacré par sa jurisprudence, la Cour estime que lentrée dagents publics au sein du domicile du requérant, sans son autorisation, ainsi que la prise de photos à lintérieur de cet espace utilisé par le requérant pour des activités relevant de sa vie privée, constitue une ingérence.

56.  Pareille ingérence méconnaît larticle 8 sauf si, « prévue par la loi », elle poursuit un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2 et, de plus, est « nécessaire dans une société démocratique » pour les atteindre.

b)  Sur la base légale

57.  La Cour rappelle quen vertu de sa jurisprudence constante les mots « prévue par la loi » impliquent quun ingérence aux droits garantis par larticle 8 doit reposer sur une base légale interne, que la législation en question doit être suffisamment accessible et prévisible et que celle-ci doit être compatible avec le principe de la prééminence du droit (voir parmi beaucoup dautres, Matheron c. France, no 57752/00, § 29, 29 mars 2005,Gutsanoviprécité, § 218, et Fédération nationale des associations et syndicats de sportifs, précité, § 160).

58.  La Cour observe que la visite litigieuse reposait sur larticle L. 461-1 du code de lurbanisme. Elle estime que cette disposition législative ne pose aucun problème, sagissant tant de son accessibilité que sa prévisibilité, au sens de la jurisprudence précitée. Elle considère quà la lecture de cet article, toute personne sollicitant une autorisation durbanisme est en mesure de prévoir que les constructions réalisées sur le fondement de cette autorisation, en cours de travaux ou dans les trois ans suivant leur achèvement, sont susceptibles de faire lobjet dune visite dagents assermentés afin de vérifier le respect des règles de lurbanisme.

59.  Concernant la dernière condition, de nature qualitative, à laquelle doit répondre la législation interne, à savoir la compatibilité avec le principe de la prééminence du droit, la Cour observe que larticle L. 461-1 du code de lurbanisme ne précise les modalités dintervention des agents de lurbanisme quen termes très généraux, sans indiquer les garanties qui encadrent leur intervention. Cependant, elle relève que le requérant ne remet pas en cause la base légale de lingérence. Aussi, la Cour ne juge pas nécessaire en loccurrence de trancher la question de la qualité de la loi, car de toute manière lingérence litigieuse se révèle incompatible avec larticle à dautres égards (paragraphes 6270 ci-dessous).

c)  Sur le but de lingérence

60.  La Cour observe que lingérence dans le domicile du requérant visait à vérifier la conformité des travaux aux autorisations délivrées et à rechercher lexistence déventuelles infractions au code de lurbanisme. Les visites prévues par larticle L. 461-1 du code de lurbanisme se justifient par ailleurs par la protection de lenvironnement, la prévention des nuisances, et la garantie de la santé et de la sécurité des personnes.

61.  La Cour considère donc que lingérence poursuivait les objectifs de « prévention des infractions pénales », de « protection de la santé », et de « protection des droits et libertés dautrui », lesquels constituent des buts légitimes au sens de larticle 8 § 2 de la Convention.

d)  Sur la nécessité dans une société démocratique

62.  Selon la jurisprudence constante de la Cour, les États contractants jouissent dune certaine marge dappréciation pour juger de la nécessité de lingérence, mais elle va de pair avec un contrôle européen. Les exceptions que ménage le paragraphe 2 de larticle 8 appellent une interprétation étroite et leur nécessité dans un cas donné doit se trouver établie de manière convaincante (Société Colas Est et autres c. France, no37971/97, § 47, CEDH 2002III, et André et autre c. France, no 18603/03, § 40, 24 juillet 2008). La Cour rappelle que la notion de nécessité implique que lingérence corresponde à un besoin social impérieux et, en particulier, quelle soit proportionnée au but légitime poursuivi (Uzunprécité, §§ 78-79).

63.  La Cour observe en lespèce, que la visite des agents sest avérée justifiée puisquun certain nombre dinfractions aux règles de lurbanisme ont été constatées lors de cette visite litigieuse (paragraphe 14 ci-dessus)et quà lissue de linformation judiciaire, le requérant a été condamné par le tribunal correctionnel de Grasse, notamment pour lexécution de travaux non autorisés par un permis de construire et lexécution irrégulière de travaux soumis à une déclaration préalable (paragraphe 26 ci-dessus). Elle relève également que la sanction retenue était dune ampleur limitée. Enfin, la Cour note quun permis de construire de régularisation a été délivréet que les conséquences de lingérence sur la jouissance par le requérant de son domicile ont donc été limitées.

64.  Cependant, sagissant en particulier des visites domiciliaires et des saisies, la Cour a déjà eu loccasion de souligner que, si les États peuvent estimer nécessaire de recourir à de telles mesures pour établir la preuve matérielle des délits et en poursuivre le cas échéant les auteurs, il faut que leur législation et leur pratique en la matière offrent des garanties suffisantes contre les abus (Société Canal Plus et autres c. France, no 29408/08, § 54, 21 décembre 2010). Ainsi, la Cour doit redoubler de vigilance lorsque le droit national habilite les autorités à conduire une perquisition sans mandat judiciaire : la protection des individus contre des atteintes arbitraires de la puissance publique aux droits garantis par larticle 8 réclame un encadrement légal et une limitation des plus strictes de tels pouvoirs (Camenzind c. Suisse, 16 décembre 1997, § 45, Recueil des arrêts et décisions1997VIII).

65.  La Cour rappelle que larticle L. 461-1 du code de lurbanisme permet aux agents de lurbanisme de visiter les constructions en cours, procéder aux vérifications quils jugent utiles et se faire communiquer tous documents techniques se rapportant à la réalisation des bâtiments (paragraphe 29 ci-dessus). Elle observe quune telle visite, effectuée sur un chantier ou une construction en travaux comporte moins de risque de porter atteinte au droit au respect du domicile. Elle note cependant que larticle L. 461-1 sapplique non seulement aux « constructions en cours », mais également aux constructions terminées, jusquà trois ans après leur achèvement. Ainsi quelle la déjà relevé (paragraphe 55 cidessus), elle considère que ce droit de visite et de communication constitue une ingérence moins importante que celle résultant de lintervention dautres agents de ladministration disposant du pouvoir de fouiller et de saisir des documents et des objets. Aussi, si la Cour peut sinspirer des principes dégagés en matière de perquisition et de saisie, elle estime que ces critères relativement stricts, établis et suivis dans ce contexte spécifique, ne sont pas applicables en tant que tels aux contrôles comme celui en cause dans le cas despèce qui a trait à une visite ne donnant pas lieu à un pouvoir de contrainteElle vérifiera néanmoins si le requérant bénéficiait de garanties suffisantes et effectives contre les abus.

66.  La Cour constate que les visites prévues par larticle L. 461-1 peuvent être effectuées dans un domicile, à tout moment et hors la présence dun officier de police judiciaire, sans que soit explicitement mentionnée la nécessité de laccord de loccupant, et sans avoir été préalablement autorisée par un juge. Elle relève, certes, que labsence de pouvoir coercitif des agents habilités leur interdit de pénétrer dans les lieux en cas de refus de loccupant, sous peine des sanctions pénales prévues par larticle 432-8 du code pénal (paragraphe 30 ci-dessus).

67.  Néanmoins, la Cour observe que lobligation de recueillir lassentiment de loccupant nest pas inscrite dans larticle L. 461-1. Seules des réponses ministérielles font état de cette nécessité qui, dans le cas despèce,na pas été suivie. En effet, dune part, la Cour constate que les agents habilités en matière durbanisme ont pénétré dans le domicile du requérant en son absence et sans son autorisation. Dautre part, elle considère que la possibilité pour loccupant de sopposer à une telle visite est purement théorique dans la mesure où un tel refus est en lui-même constitutif dune infraction pénale prévue par larticle L. 480-12 du code de lurbanisme(paragraphe 29 ci-dessus). Elle note quen matière durbanisme, le risque de dépérissement des preuves dune infraction est susceptible dêtre, comme en lespèce, très limité, pour ne pas dire inexistant, et quil ne peut donc justifier une ingérence dans un domicile sans lassentiment de son occupant ou, à défaut, sans lautorisation dune autorité judicaire.

68.  Par ailleurs, la Cour a déjà jugé que labsence dautorisation préalable dun juge, ne pouvait être contrecarrée que par un contrôle judiciaire ex post factum sur la légalité et la nécessité de cette mesure dinstruction et que ce contrôle devait être efficace (Gutsanovi, précité, §§ 220-222). Or, en lespèce, la Cour observe que le recours devant la chambre de linstruction tendant à lannulation du procès-verbal de visite domiciliaire, dressésans assentiment préalable de son occupant, est dépourvu de tout effet utile, les juridictions internes ayant refusé dannuler cprocès-verbal sur le fondement de linviolabilité du domicile (paragraphes 22-25 ci-dessus).

69.  La Cour considère dès lors que, faute daccord de loccupant ou à défaut dune autorisation judiciaire, et a fortiori en labsence dune voie de recours effective, la visite effectuée le 19 mars 2009 en matière durbanisme ne saurait passer comme proportionnée aux buts légitimes recherchés.

70.  Il sen suit quil y a eu violation de larticle 8 de la Convention.

II.  SUR LAPPLICATION DE LARTICLE 41 DE LA CONVENTION

71.  Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare quil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet deffacer quimparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, sil y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Frais et dépens

72.  Le requérant demande 26 338 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes (dont 4 784 EUR pour sa défense devant la Cour de cassation) et 10 200 EUR pour ceux engagés devant la Cour, soit une somme totale de 36 538 EUR.

73.  Le Gouvernement soutient que certaines factures émises pour des procédures internes nont aucun lien avec la violation alléguée par le requérant. Il considère également que les montants sollicités, tant au titre des frais devant la Cour de cassation que devant la Cour, paraissent excessifs. Il indique quil pourrait être proposé au requérant, au titre des frais et dépens, une somme allant de 4 000 à 6 000 EUR.

74.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En lespèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 16 000 EUR tous frais confondus et laccorde au requérant.

B.  Intérêts moratoires

75.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux dintérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À LUNANIMITÉ,

1.  Déclare la requête recevable ;

 

2.  Dit quil y a eu violation de larticle 8 de la Convention ;

 

3.  Dit

a)  que lÉtat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où larrêt sera devenu définitif conformément à larticle 44 § 2 de la Convention, la somme de 16 000 EUR (seize mille euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre dimpôt, pour frais et dépens ;

b)  quà compter de lexpiration dudit délai et jusquau versement, ces montants seront à majorer dun intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

 

4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 16 mai 2019, en application de larticle 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Milan BlaškoAngelika Nußberger
Greffier adjointPrésidente

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