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Urbanisme commercial : l’article L752-21 du code de commerce oblige t-il la CNAC à tenir compte du premier avis défavorable et des observations du pétitionnaire ?

Conseil d’État, 4ème – 1ère chambres réunies, 21/07/2023, 461753

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

La société Distribution Casino France a demandé à la cour administrative d’appel de Marseille d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du 8 septembre 2020 par lequel le maire de Trets (Bouches-du-Rhône) a délivré à la société 3B Invest un permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale en vue de la réalisation, sur le territoire de cette commune, d’un ensemble commercial d’une surface de vente de 4 990 m², comprenant un hypermarché, une galerie marchande et une moyenne surface, ainsi que d’un point de retrait permanent. Par un arrêt n°s 20MA03986 – 20MA41000 du 20 décembre 2021, la cour administrative d’appel a rejeté sa requête.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les
21 février et 23 mai 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la société Distribution Casino France demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à sa requête ;

3°) de mettre à la charge, solidairement, de la commune de Trets et de la société 3B Invest la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code du commerce ;
– le code des relations entre le public et l’administration ;
– le code de l’urbanisme ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Pierre Vaiss, maître des requêtes en service extraordinaire,

– les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la société Distribution Casino France et à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat de la société 3B Invest ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société 3B Invest a déposé, le 28 mars 2018, une demande de permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale pour la création, sur le territoire de la commune de Trets, d’un ensemble commercial d’une surface de vente de 7 540 m², comprenant un hypermarché  » Carrefour « , une galerie marchande, une moyenne surface non alimentaire, ainsi que d’un point permanent de retrait. Le projet a reçu un avis favorable de la commission départementale d’aménagement commercial des Bouches-du-Rhône le 11 juillet 2018. Saisie d’un recours formé par les sociétés Utine et Lidl ainsi par que l’association  » En toute franchise département des Bouches-du-Rhône « , la Commission nationale d’aménagement commercial a émis un avis défavorable au projet le 8 novembre 2018. La société 3B Invest a déposé, le 20 décembre 2019, une nouvelle demande de permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale pour un projet ayant le même objet et implanté sur le même terrain, la surface totale de vente étant ramenée à 4 990 m2. Ce projet a reçu, le 4 mars 2020, l’avis favorable de la commission départementale d’aménagement commercial des Bouches-du-Rhône. Saisie d’un recours formé par les sociétés Utine, Lidl et Distribution Casino France ainsi que par l’association  » En toute franchise département des Bouches-du-Rhône « , la Commission nationale d’aménagement commercial a émis, le 22 juillet 2020, un avis favorable au projet. Par un arrêté du 8 septembre 2020, le maire de Trets a délivré à la société 3B Invest un permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale pour la réalisation de ce projet. La société Distribution Casino France se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 20 décembre 2021 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille a, après les avoir jointes, rejeté sa requête ainsi que celle de l’association  » En toute franchise département des Bouches-du-Rhône  » tendant à l’annulation de cet arrêté en tant qu’il vaut autorisation d’exploitation commerciale.

2. En premier lieu, aux termes de l’article L. 752-20 du code de
commerce :  » Les décisions de la commission nationale (…) doivent être motivées conformément aux articles L. 211-2 à L. 211-7 du code des relations entre le public et l’administration « . Aux termes de l’article R. 752-38 du même code, relatif au recours contre les décisions ou avis des commissions départementales d’aménagement commercial présenté devant la Commission nationale d’aménagement commercial :  » (…) L’avis ou la décision est motivé (…) « . Cette obligation de motivation n’implique pas que la Commission soit tenue de prendre explicitement parti sur le respect, par le projet qui lui est soumis, de chacun des objectifs et critères d’appréciation fixés par les dispositions législatives applicables.

3. Aux termes de l’article L. 752-21 du code de commerce :  » Un pétitionnaire dont le projet a été rejeté pour un motif de fond par la Commission nationale d’aménagement commercial ne peut déposer une nouvelle demande d’autorisation sur un même terrain, à moins d’avoir pris en compte les motivations de la décision ou de l’avis de la commission nationale « . Il résulte de ces dispositions que lorsqu’un projet soumis à permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale fait l’objet d’un avis défavorable de la Commission nationale d’aménagement commercial pour un motif de fond, une nouvelle demande d’autorisation de construire valant autorisation d’exploitation commerciale à raison d’un nouveau projet sur le même terrain ne peut être soumise, pour avis, à une commission d’aménagement commercial que pour autant que le pétitionnaire justifie que sa demande comporte des modifications en lien avec la motivation de l’avis antérieur de la Commission nationale d’aménagement commercial. Il en découle qu’il appartient à la commission d’aménagement commercial saisie de ce nouveau projet de vérifier que cette condition préalable est satisfaite et, seulement dans l’hypothèse où elle l’est, de procéder au contrôle qui lui incombe du respect des autres exigences découlant du code de commerce, y compris, s’agissant des exigences de fond, de celles dont il avait été antérieurement estimé qu’elles avaient été méconnues ou dont il n’avait pas été fait mention dans l’avis de la Commission nationale d’aménagement commercial.

4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, dans son avis défavorable du 8 novembre 2018, la Commission nationale d’aménagement commercial a relevé que le projet était disproportionné pour une commune de 15 000 habitants et menaçait la survie du tissu commercial des centres-villes des communes voisines, que du fait de la surface de plancher du projet, d’un faible nombre de places de stationnement perméables, et dès lors que les espaces verts ne représentaient que 20,61% de l’emprise foncière, l’imperméabilisation générée par le projet était excessive et ne répondait pas aux impératifs légaux de consommation économe de l’espace et de qualité environnementale, que la zone d’implantation du projet était inondable sans que les mesures proposées pour remédier à ce risque n’éliminent toutes les incertitudes concernant la sécurité des consommateurs, enfin que le projet ne répondait pas de manière satisfaisante aux exigences de qualité environnementale dès lors notamment qu’il faisait peu appel aux énergies renouvelables. Il ressort également des pièces du dossier soumis aux juges du fond que dans son avis du 22 juillet 2020, la Commission nationale d’aménagement commercial décrit le projet, dont la surface totale de vente a été ramenée à 4 990 m2, ainsi que son implantation, mentionne sa compatibilité avec le schéma de cohérence territoriale du pays d’Aix, relève en particulier que le projet permet de répondre aux besoins de la population de la zone de chalandise qui a connu une importante croissance démographique de l’ordre de 13% entre 2007 et 2017, que parallèlement le taux de vacance commerciale de la commune de Trets est faible, que le site bénéficie d’une bonne desserte routière et est accessible tant en transports en commun qu’aux piétons, que le projet prévoit que 208 des 260 places de stationnement sont perméables, qu’il comportera 11 225 m2 d’espaces libres et de plantation représentant 36% du tènement foncier, qu’il prévoit une isolation thermique supérieure à la norme applicable ainsi que l’implantation de 450 m2 de panneaux photovoltaïques. En jugeant que la Commission nationale d’aménagement commercial a ce faisant mentionné les considérations de droit et de fait sur lesquelles elle s’est fondée pour conclure au respect des exigences découlant du code de commerce et rendre un avis favorable à la nouvelle demande d’autorisation présentée par la société 3B Invest, alors même que cet avis ne comporte de référence explicite ni à l’avis défavorable du 8 novembre 2018, ni par ailleurs aux éléments apportés par le pétitionnaire pour justifier que sa demande comporte des modifications en lien avec la motivation de l’avis antérieur de la Commission nationale d’aménagement commercial, ni enfin à l’ensemble des motifs de fond l’ayant justifié, la cour administrative d’appel de Marseille n’a pas commis d’erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier.

5. En deuxième lieu, après avoir relevé que l’étude des différents flux de circulation, prévue au c) du 4° de l’article R. 752-6 du code de commerce, avait été effectuée en octobre 2019 par un bureau d’études spécialisé à partir de comptages réalisés en septembre 2018 et n’avait donné lieu à aucune réserve de la part de la direction départementale des territoires et de la mer dans son avis du 19 février 2020, la cour administrative d’appel de Marseille a jugé que la société Casino Distribution France n’apportait pas d’éléments permettant d’établir l’insuffisance ou l’obsolescence des données de cette étude et qu’aucune disposition n’imposait de réaliser les comptages au cours de la période estivale. Elle n’a, ce faisant, ni dénaturé les pièces du dossier ni commis d’erreur de droit.

6. En troisième et dernier lieu, il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que, contrairement à ce que soutient la société requérante, la cour a évalué la consommation d’espace résultant du projet en tenant compte des caractéristiques du terrain d’assiette et non uniquement par comparaison avec la superficie de la zone sur laquelle il est implanté. La cour a relevé à cet égard le caractère relativement compact du projet, l’effort du pétitionnaire relatif à la perméabilisation du stationnement ainsi que la préservation d’espaces libres de construction représentant plus du tiers de la surface du projet. En statuant ainsi, la cour a porté une appréciation souveraine, exempte de dénaturation, quant au respect du critère lié à la consommation économe de l’espace et n’a pas commis d’erreur de droit.

7. Il résulte de tout ce qui précède que la société Distribution Casino France n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêt attaqué.

8. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de la commune de Trets et de la société 3B Invest qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la société Distribution Casino France une somme de 3 000 euros à verser à la société 3B Invest, au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la société Distribution Casino France est rejeté.
Article 2 : La société Distribution Casino France versera à la société 3B Invest une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Distribution Casino France, à la société 3B Invest, à la commune de Trets, au ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la Commission nationale d’aménagement commercial.

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