Conseil d’État
N° 320970
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
8ème et 3ème sous-sections réunies
M. Arrighi de Casanova, président
M. Nicolas Agnoux, rapporteur
Mme Escaut Nathalie, commissaire du gouvernement
SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO ; FOUSSARD, avocats
lecture du vendredi 17 septembre 2010
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu, 1°) sous le n° 320970, le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 24 septembre et 22 décembre 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la COMMUNE DE SANGATTE, représentée par son maire ; la commune demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt du 24 juillet 2008 par lequel la cour administrative d’appel de Douai, statuant sur l’appel formé par la SCEA Les Bouchots d’Opale, M. Maxime A et M. Henri A, a, d’une part, annulé l’article 1er du jugement du 13 juin 2007 du tribunal administratif de Lille annulant les trois arrêtés du préfet du Pas-de-Calais du 4 avril 2006 leur ayant délivré une autorisation d’exploitation de cultures marines sur le littoral de la commune et, d’autre part, rejeté ses demandes tendant à l’annulation de ces arrêtés ;
2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter la requête d’appel présentée par la SCEA Les Bouchots d’Opale, M. Maxime A et M. Henri A ;
3°) de mettre à la charge solidaire de la SCEA Les Bouchots d’Opale, de M. Maxime A et de M. Henri A le versement d’une somme de 3 500 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu, 2°) sous le n° 320971, le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 24 septembre et 22 décembre 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la COMMUNE DE CALAIS, représentée par son maire ; la commune demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler le même arrêt du 24 juillet 2008 de la cour administrative d’appel de Douai ;
2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter la requête d’appel présentée par la SCEA Les Bouchots d’Opale, M. Maxime A et M. Henri A ;
3°) de mettre à la charge solidaire de la SCEA Les Bouchots d’Opale, de M. Maxime A et de M. Henri A le versement d’une somme de 3 500 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de l’environnement ;
Vu l’ordonnance de la marine d’août 1681 ;
Vu le décret n° 83-228 du 22 mars 1983 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Nicolas Agnoux, chargé des fonctions de Maître des Requêtes,
– les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de la COMMUNE DE SANGATTE et de la COMMUNE DE CALAIS et de Me Foussard, avocat de la SCEA les bouchots d’opale et de M. Maxime A,
– les conclusions de Mme Nathalie Escaut, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de la COMMUNE DE SANGATTE et de la COMMUNE DE CALAIS et à Me Foussard, avocat de la SCEA les bouchots d’opale et de M. Maxime A ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que par trois arrêtés en date du 4 avril 2006 portant autorisation d’exploitation de cultures marines, le préfet du Pas-de-Calais a concédé respectivement à M. Henri A, à M. Maxime A et à la SCEA Les Bouchots d’Opale une parcelle, située sur le domaine public maritime le long du littoral de la commune de Sangatte en vue de l’élevage de moules sur bouchots ; que ces arrêtés ont été précédés de l’enquête publique, prévue par l’article 8 du décret du 22 mars 1983 fixant le régime de l’autorisation des exploitations de cultures marines et ouverte dans les deux communes de Sangatte et de Calais ; que, faisant droit aux demandes présentées par ces deux communes, le tribunal administratif de Lille a, par jugement du 13 juin 2007, annulé ces arrêtés ; que la COMMUNE DE SANGATTE et la COMMUNE DE CALAIS se pourvoient en cassation contre l’arrêt du 24 juillet 2008 par lequel, la cour administrative d’appel de Douai a annulé l’article 1er de ce jugement et rejeté leurs demandes tendant à l’annulation de ces arrêtés ; qu’il y a lieu de joindre leurs pourvois pour statuer par une seule décision ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens des pourvois ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 123-1 du code de l’environnement : I. La réalisation d’aménagements, d’ouvrages ou de travaux exécutés par des personnes publiques ou privées est précédée d’une enquête publique soumise aux prescriptions du présent chapitre, lorsqu’en raison de leur nature, de leur consistance ou du caractère des zones concernées, ces opérations sont susceptibles d’affecter l’environnement. / La liste des catégories d’opérations visées à l’alinéa précédent et les seuils et critères techniques qui servent à les définir sont fixés par décret en Conseil d’Etat. Ces seuils ou critères peuvent être modulés pour tenir compte de la sensibilité du milieu et des zones qui bénéficient au titre de l’environnement d’une protection d’ordre législatif ou réglementaire ; / (…) ; qu’aux termes du premier alinéa de l’article R. 123-1 du même code : I. La liste des catégories d’aménagements, d’ouvrages ou de travaux qui doivent être précédés d’une enquête publique en application de l’article L. 123-1 est définie aux annexes I à III du présent article ; que le 16° de l’annexe I mentionne parmi les catégories d’aménagements, ouvrages ou travaux soumis à cette enquête publique les Travaux réalisés sur le rivage, le sol ou le sous-sol de la mer en dehors des ports (endigages, exondements, affouillements, constructions, édifications d’ouvrages de défense contre la mer, réalisation de plages artificielles), dès lors que l’emprise de ces travaux est supérieure à 2 000 m² en ce qui concerne les opérations liées à une activité maritime afférente… aux cultures marines (…) ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que chacune des autorisations d’exploitation de cultures marines délivrées par les trois arrêtés préfectoraux litigieux et portant sur une parcelle de 3 000 mètres de longueur et d’une largeur de 200 à 300 mètres nécessite l’enfoncement dans le sol de la mer de pieux de bois correspondant aux bouchots servant à l’élevage des moules et s’élevant au total à 22 500 ; qu’en jugeant que la mise en place de ces bouchots n’était pas au nombre des travaux mentionnés par le 16° de l’annexe I à l’article R. 123-1 du code de l’environnement, la cour a inexactement qualifié les faits ; que, par suite, la COMMUNE DE SANGATTE et la COMMUNE DE CALAIS sont fondées, pour ce motif, à demander l’annulation de l’arrêt attaqué ;
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative ;
Considérant, d’une part, qu’il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que la mise en oeuvre de chacune des autorisations nécessitera la plantation dans le sol de la mer de pieux de bois, emportant ainsi la réalisation de travaux dans le sol de la mer ; que les bénéficiaires de ces autorisations ne peuvent utilement invoquer les dispositions de l’article 2 du titre VII du livre IV de l’ordonnance de la marine d’août 1681, en vigueur à la date de ces autorisations, interdisant à toute personne de bâtir sur les rivages de la mer, d’y planter aucuns pieux, ni faire aucuns ouvrages qui puissent porter préjudice à la navigation, à peine de démolition des ouvrages, de confiscation des matériaux et d’amende arbitraire pour soutenir que l’implantation de pieux ne saurait être assimilée à la réalisation d’un ouvrage et par suite à des travaux, au sens du 16° de l’annexe I à l’article R. 123-1 du code de l’environnement ;
Considérant, d’autre part, qu’eu égard à la configuration de chacune des installations, comportant, sur une longueur de 3 000 mètres, deux lignes de pieux sur une largeur totale de 200 à 300 mètres, pour un nombre total de 22 500, l’emprise de chacun des projets, qui doit être calculée globalement et non, comme le soutiennent les bénéficiaires des autorisations, mesurée à partir de la seule superficie occupée verticalement par les pieux sur le sol de la mer, excède le seuil de 2 000 m² fixé au 16° de l’annexe I à l’article R. 123-1 du code de l’environnement ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les bénéficiaires de ces autorisations ne sont pas fondés à soutenir que c’est à tort que, par jugement du 13 juin 2007, le tribunal administratif de Lille a annulé les arrêtés du préfet du Pas-de-Calais du 4 avril 2006 ;
Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la COMMUNE DE SANGATTE et de la COMMUNE DE CALAIS qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, le versement d’une somme au titre des frais exposés par la SCEA Les Bouchots d’Opale et M. Maxime A et non compris dans les dépens ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des mêmes dispositions et de mettre à la charge de la SCEA Les Bouchots d’Opale, de M. Maxime A et de M. Henri A le versement, par chacun, de la somme de 1 000 euros, respectivement à la COMMUNE DE SANGATTE et à la COMMUNE DE CALAIS ;
D E C I D E :
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Article 1er : L’arrêt du 24 juillet 2008 de la cour administrative d’appel de Douai est annulé.
Article 2 : La requête présentée par la SCEA Les Bouchots d’Opale, M. Maxime A et M. Henri A devant la cour administrative d’appel de Douai est rejetée.
Article 3 : La SCEA Les Bouchots d’Opale, M. Maxime A et M. Henri A verseront chacun, respectivement à la COMMUNE DE SANGATTE et à la COMMUNE DE CALAIS, une somme de 1 000 euros au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la COMMUNE DE SANGATTE, à la COMMUNE DE CALAIS, à la SCEA Les Bouchots d’Opale, à M. Maxime A, à M. Henri A et au ministre de l’alimentation, de l’agriculture et de la pêche.
Copie en sera adressée au ministre d’Etat, ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat.