Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 7 septembre 2022 sous le n° 2208697, la société Dubosq Immobilier, sise 7 cours de l’Elbe à Serris (77700), prise en la personne de son président légal et représentée par Me Steinberg, demande au juge des référés :
1°) d’ordonner, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l’exécution du règlement intercommunal fixant les conditions de délivrance des autorisations de changement d’usage de locaux d’habitation et déterminant les compensations en application de la section 2 du chapitre 1er du titre III du livre VI du code de la construction et de l’habitation, tel qu’approuvé par la communauté d’agglomération Val d’Europe Agglomération (CAVEA) le 7 juillet 2022 ;
2°) de mettre à la charge de la CAVEA la somme de 3 000 € sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
La société Dubosq Immobilier soutient que :
– le tribunal administratif de Melun est territorialement compétent pour connaître du présent recours en application des articles R. 312-1 et R. 221-3 du code de justice administrative ;
– le présent référé suspension est recevable compte tenu, d’une part, de l’existence d’une requête en annulation et, d’autre part, de son intérêt à agir à l’encontre du règlement contesté puisqu’elle établit être directement concernée et affectée par l’entrée en vigueur du règlement critiqué ;
– la condition d’urgence de l’article L. 521-1 du code de justice administrative est satisfaite dès lors que le règlement litigieux a pour objet principal de soumettre au principe dit de « compensation » les personnes souhaitant louer leur résidence principale plus de cent vingt jours par an ou celles louant leur résidence secondaire à une clientèle de passage pour de courtes durées ; en imposant ainsi une restriction drastique à l’activité économique exercée par les loueurs de meublé de tourisme, la réglementation votée le 7 juillet 2022 par la CAVEA porte gravement et immédiatement atteinte à la situation de la requérante, caractérisant dès lors l’existence d’une situation d’urgence, au sens de l’article L. 521-1 précité du code de justice administrative ;
– il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée dès lors que :
– les élus siégeant au sein du conseil de la CAVEA n’ont pas disposé, en temps utile, d’informations claires, complètes et non erronées concernant le projet de règlement soumis à leur approbation, en méconnaissance des dispositions de l’article L. 2121-13 du code général des collectivités territoriales ;
– elle est illégale car subordonner la délivrance d’une autorisation de changement d’usage à un mécanisme de compensation n’est, par principe, pas justifié dans un territoire tel que le Val d’Europe, pour lequel l’existence d’une situation de pénurie de logements destinés au marché de la location longue durée n’est absolument pas démontrée ;
– elle prévoit des critères d’octroi des autorisations qui, d’une part, aboutissent de facto à une interdiction de l’activité de location meublée touristique sur une résidence secondaire et, d’autre part, ne sont pas conformes aux dispositions de l’article L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation ;
– la délivrance et le maintien de l’autorisation sont subordonnés à la preuve qu’aucune stipulation d’un bail ou d’un règlement de copropriété, actes de droit privé difficiles d’interprétation, ne s’opposent à l’activité, et qu’aucune nuisance, danger ou désordre, notions particulièrement incertaines, ne sont causés par cette activité ;
– la réglementation attaquée crée une discrimination injustifiée entre, d’une part, les personnes morales et, d’autre part, les personnes physiques ;
– enfin, la réglementation attaquée porte atteinte au principe de sécurité juridique en ce que, en dépit des restrictions drastiques qu’elle comporte et des effets nocifs qu’elle ne manquera pas de générer à l’égard des loueurs, elle ne prévoit, à l’égard de ces derniers, aucune disposition transitoire.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 octobre 2022, la CAVEA, représentée par Me Seban, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la requérante de la somme de 3 000 € en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative en faisant valoir que :
– l’urgence de l’article L. 521-1 du code de justice administrative n’est manifestement pas caractérisée d’une part, car il ne saurait être contesté qu’aucune atteinte grave et immédiate n’est portée à un intérêt général, à la situation des requérants ou aux intérêts qu’ils entendent défendre, la réflexion ayant abouti au règlement intercommunal contesté ayant été engagée dès le début de l’année 2019, soit il y a plus de trois ans et demi, et d’autre part, car il est indéniable que la défense des intérêts liés à la préservation du logement sur le territoire du Val d’Europe implique l’adoption d’une réglementation contraignante, ce qui fait obstacle à la caractérisation de l’urgence et à la suspension de la délibération contestée ;
– il n’existe aucun doute sérieux quant à la légalité du règlement intercommunal litigieux dès lors que :
– le délai de 5 jours de l’article L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales a été respecté mais plus encore l’envoi a été anticipé pour que les élus disposent du temps nécessaire pour prendre connaissance des éléments qui leur ont été transmis, les conseillers communautaires s’étant en effet vu adresser la convocation au conseil communautaire du 7 juillet 2022 par envoi dématérialisé du 30 juin ; et cet envoi contenait le projet de délibération accompagné d’une note de synthèse exposant le contexte et les enjeux de celle-ci ;
– la réglementation en cause n’est pas disproportionnée compte tenu, d’une part, de la pénurie de logement contre laquelle le mécanisme des articles L. 631-7 et suivants du code de la construction et de l’habitation entend se prémunir, et d’autre part, de la lutte contre la dégradation des conditions d’accès au logement et l’exacerbation des tensions sur le marché immobilier ; le dispositif d’autorisation des articles L. 631-7-1 et suivants du même code vise à maintenir un marché immobilier équilibré ;
– la définition d’une obligation de compensation est tout à fait justifiée, seule la mise en place d’un tel mécanisme étant véritablement de nature à dissuader les investisseurs de soustraire leur bien au marché locatif traditionnel ; la situation sur le territoire de Val d’Europe Agglomération nécessite une intervention urgente de la communauté d’agglomération afin d’encadrer les changements d’usage des locaux destinés à l’habitation en locations de meublés de tourisme ;
– les conditions de délivrance des autorisations de changement d’usage fixées par le règlement intercommunal contesté ne sont pas arbitraires et sont tout à fait proportionnées ;
– la définition de règles différentes pour les personnes physiques ou les personnes morales pour l’obtention d’une autorisation de changement d’usage n’est pas constitutive d’une discrimination ou d’une atteinte au principe d’égalité dès lors que les propriétaires personnes physiques et les propriétaires personnes morales ne se trouvent pas dans une situation identique ;
– le moyen tiré d’une appréciation prétendument irrégulière d’un acte de droit privé est inopérant, les requérants ne pouvant utilement invoquer l’incompétence du juge administratif pour apprécier la validité des actes de droit privé dès lors que l’application de la réglementation en cause n’implique à aucun moment une telle intervention ;
– le moyen tiré de l’atteinte au principe de sécurité juridique est infondé, des mesures transitoires devant être définies en cas d’impossibilité de mise en oeuvre immédiate de la nouvelle réglementation ou lorsque l’absence de telles mesures entraine une atteinte excessive aux intérêts publics ou privés en cause.
Vu :
– le règlement intercommunal litigieux en date du 7 juillet 2022 ;
– la requête à fin d’annulation enregistrée le 7 septembre 2022 sous le n° 2208689 ;
– les autres pièces du dossier.
Vu :
– la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur ;
– les arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne du 22 septembre 2020, Cali Apartments SCI n° C-724/18 et HX n° C-727/18 ;
– le code de la construction et de l’habitation ;
– le code général des collectivités territoriales ;
– le décret n° 2013-392 du 10 mai 2013 relatif au champ d’application de la taxe annuelle sur les logements vacants instituée par l’article 232 du code général des impôts ;
– le code de justice administrative.
La présidente du tribunal a désigné M. Freydefont, premier-conseiller, pour statuer sur les demandes de référés.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Au cours de l’audience publique tenue le 12 octobre 2022 en présence de Mme Zdini, greffière d’audience, M. Freydefont a lu son rapport et entendu :
– les observations de Me Steinberg, représentant la société Duboscq Immobilier, requérante présente, qui conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens en soutenant, de plus que :
– le règlement intercommunal litigieux approuvé par la CAVEA en juillet dernier est le texte le plus restrictif de tous ceux adoptés en France, y compris à Paris où la densité de population est pourtant 30 fois supérieure à celle du Val d’Europe ; il concerne une zone centrée autour de Disneyland Paris qui génère une forte activité touristique ;
– l’urgence à suspendre ce règlement, qui doit s’apprécier à la date de l’ordonnance, découle de ce que, d’une part, il rentrera en vigueur dans 11 semaines et aura pour conséquence pour la société requérante une diminution très importante voire une cessation de son activité de loueur de meublés de tourisme, qui représente près de la moitié de son chiffre d’affaires, avec une baisse importante de celui-ci, ce qui va la placer dans une situation de péril économique et financier ; contrairement à ce que la CAVEA fait valoir en défense, les éléments précis relatifs à cette perte de rentabilité ont été joints à la requête ; de plus, la société requérante ne pouvait anticiper la nouvelle réglementation dans la mesure où il n’existait sur le Val d’Europe aucune réglementation de ce type avant le 7 juillet dernier ; enfin, c’est en vain que la CAVEA tente de mettre en avant la légitime défense des intérêts liés à la préservation du logement sur son territoire dans la mesure où la pénurie de biens immobiliers alléguée n’est absolument pas démontrée ;
– il existe un doute sérieux quant à la légalité de ce règlement intercommunal dès lors qu’il porte une atteinte disproportionnée au droit de propriété par le mécanisme de la compensation ; le droit de l’Union européenne sanctuarise le principe de libre prestation de services avec comme conséquence que le mécanisme de la compensation ne peut être autorisé qu’à la double condition que, primo, il soit justifié par des spécificités locales dûment constatées, notamment en termes de pénurie de logements, et que, secundo, il soit proportionné aux objectifs poursuivis ; or, au cas d’espèce, aucune de ces deux exigences n’est satisfaite puisque la CAVEA n’apporte aucun élément relatif à la pénurie de logements sur le Val d’Europe et que la mesure de compensation s’apparente à une interdiction déguisée ; la circonstance avancée par le défendeur qu’il y a explosion du nombre d’annonces de location de meublés touristiques est inopérante car sans connexion directe avec une pénurie de logements ; il peut en effet y avoir abondance de logements et de locations de meublés touristiques ou, à l’inverse, pénurie de logements sans explosion des locations de meublés ; au demeurant, à supposer qu’il y ait bien une pénurie de logements sur le Val d’Europe, ce qui reste à démontrer, il aurait alors fallu mettre en oeuvre une réglementation moins contraignante que celle approuvée par la CAVEA qui est passée d’une absence totale de contrainte à une contrainte maximale qui s’apparente à une interdiction déguisée ; en effet, le mécanisme de la compensation va obliger les propriétaires de biens à mettre sur le marché un bien d’habitation, ce qui suppose qu’ils en aient deux, ou qu’ils en acquièrent un deuxième ce qui est totalement impossible dans un cadre temporel aussi restreint ; et ce d’autant que cette obligation doit concerner la même zone communale que le local faisant l’objet du changement d’usage ; or, certaines communes n’ont que quelques centaines de biens immobiliers et il sera impossible d’identifier parmi eux des locaux aptes à la compensation ; de surcroît, il est prévu que les locaux en rez-de-chaussée ne pourront pas servir de compensation, ce qui exclut de facto les locaux commerciaux situés en rez-de-chaussée, c’est-à-dire l’immense majorité de ceux-ci ; enfin, pour les personnes morales, la compensation se fait à 2 pour 1, à savoir 2 locaux proposés à la compensation pour un changement d’usage de logement, ce qui est contraire à l’article L. 631-7-1 du code de la construction et de l’habitation et est discriminatoire pour les personnes morales ; l’instauration de quotas de meublés de tourisme aux taux de 2 % par copropriétés dans certaines zones (1.a et 1.b) et de 1 % dans les autres zones (de 2.a à 2.j) n’est pas moins disproportionnée que le mécanisme de la compensation ; d’abord, elle est unique en France ; ensuite, elle viole le droit de l’Union européenne ; en outre, elle est arbitraire car les données INSEE ne permettent pas, pour certaines communes, de différencier le nombre de logements par zone ; de telle sorte que le système de quotas est inapplicable en fait ; la réglementation attaquée, qui subordonne la délivrance de l’autorisation de changement d’usage à la preuve qu’aucune stipulation contractuelle prévue dans le bail ou le règlement de copropriété ne s’y oppose, méconnait également le principe de séparation des pouvoirs car le juge administratif ne peut pas, du fait même de son existence, se prononcer sur la validité d’un acte de droit privé comme un règlement de copropriété dont l’interprétation relève exclusivement des tribunaux de l’ordre judiciaire ; enfin, la réglementation attaquée porte atteinte au principe de sécurité juridique en ce qu’elle ne prévoit, en dépit de son caractère extrêmement contraignant, aucune disposition transitoire, aucun délai raisonnable pour s’y préparer.
– les observations de Me Seban, représentant la CAVEA, défendeur présent en la personne de Mme A., sa directrice générale, qui maintient les conclusions de son mémoire en défense par les mêmes moyens en faisant valoir, en outre que :
– le territoire du Val d’Europe, impacté par une demande de logements très importante nécessitant la construction de milliers de logements dans le respect des objectifs de mixité sociale et d’équilibre entre territoires, connaît depuis plusieurs années un développement exponentiel des locations de meublés de tourisme pour une courte durée, ce qui accroît les tensions sur le marché de l’immobilier ; d’où la mise en place par la CAVEA d’un outil destiné à encadrer les transformations de logements en meublés de tourisme ;
– l’urgence n’est pas démontrée puisque, d’une part, la réglementation attaquée, approuvée le 7 juillet 2022, ne rentrera en vigueur que le 1er janvier 2023, soit près de six mois après son adoption ; au surplus, la société Duboscq Immobilier ne peut invoquer un effet de surprise puisque d’autres tentatives d’une réglementation similaire ont été faites dès 2019 ; d’autre part, le règlement intercommunal litigieux ne fait pas disparaître l’offre de biens immobiliers qui pourront continuer à être exploités dans des conditions lucratives ; de plus, il n’interdit pas, contrairement à ce qui est soutenu par la société requérante, la location de meublés de tourisme et ne préjudicie donc pas de manière suffisamment grave et immédiate à sa situation ; enfin, il y a au contraire urgence à réglementer une activité qui bouleverse l’équilibre du marché immobilier, crée de la pénurie de logement ce qui se traduit concrètement par des hausses de prix importantes de l’ordre de 8 à 10 % sur un an quand ceux- ci n’ont augmenté que de moins de 1 % en Ile-de-France ;
– il n’existe aucun doute sérieux quant à la légalité de la réglementation litigieuse dès lors que le mécanisme de la compensation ne peut pas être disproportionné puisque c’est le seul qui soit à même de maintenir l’équilibre du marché immobilier ; s’agissant plus spécifiquement du critère du double (2 locaux proposés à la compensation pour un changement d’usage de logement) applicable aux personnes morales, il n’est pas disproportionné dans la mesure où à Paris, c’est le triple de la surface qui doit être transformé ; il n’est pas davantage discriminatoire puisque c’est la loi elle-même qui institue une différence possible de traitement entre personnes physiques et personnes morales ; au contraire, si cette différence n’avait pas été prévue par le règlement litigieux, la requérante aurait pu à bon droit soulever l’erreur de droit ; en ce qui concerne les quotas de 1 et 2 %, leurs critères de mise en oeuvre sont clairs à la fois en ce qui concerne leurs modalités de calcul et leur champ d’application par zones ; il n’y a aucune atteinte au principe de séparation des pouvoirs dès lors que l’application de la réglementation en litige n’implique à aucun moment l’intervention du juge administratif pour examiner la régularité des règlements de copropriété ; au surplus, subordonner la délivrance de l’autorisation de changement d’usage à la preuve qu’aucune stipulation contractuelle prévue dans le bail ou le règlement de copropriété ne s’y oppose est expressément prévu à l’article L. 631-7-2 du code de la construction et de l’habitation ; enfin, aucune atteinte n’est portée au principe de sécurité juridique puisqu’il doit s’écouler un peu moins de six mois entre son adoption et son entrée en vigueur alors que le tribunal administratif de Pau a validé un délai de quatre mois pour permettre aux acteurs économiques de s’adapter et la cour administrative de Lyon un délai d’un mois et demi.
La clôture de l’instruction a été prononcée à l’issue de l’audience à 12 heures 20.
Considérant ce qui suit :
Sur les conclusions à fin de suspension présentées au titre de l’article L. 521-1 du code de justice administrative :
En ce qui concerne l’office du juge des référés suspension :
1. Aux termes de l’article L. 521-1 du code de justice administrative : « Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. » ; aux termes de l’article L. 522-1 du même code : « Le juge des référés statue au terme d’une procédure contradictoire écrite ou orale. Lorsqu’il lui est demandé de prononcer les mesures visées aux articles L. 521-1 et L. 521-2, de les modifier ou d’y mettre fin, il informe sans délai les parties de la date et de l’heure de l’audience publique […] » ; aux termes de l’article R. 522-1 de ce code : « La requête visant au prononcé de mesures d’urgence doit contenir l’exposé au moins sommaire des faits et moyens et justifier de l’urgence de l’affaire. »
En ce qui concerne les dispositions applicables :
2. D’une part, aux termes de l’article L. 631-7 du code de l’habitation et de la construction : « La présente section est applicable aux communes de plus de 200 000 habitants et à celles des départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val- de-Marne. […] / Constituent des locaux destinés à l’habitation toutes catégories de logements et leurs annexes, y compris les logements-foyers, logements de gardien, chambres de service, logements de fonction, logements inclus dans un bail commercial, locaux meublés donnés en location dans les conditions de l’article L. 632-1 ou dans le cadre d’un bail mobilité conclu dans les conditions prévues au titre Ier ter de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 […] » ; aux termes de l’article L. 631-7-1-A du même code : « Une délibération du conseil municipal peut définir un régime d’autorisation temporaire de changement d’usage permettant à une personne physique de louer pour de courtes durées des locaux destinés à l’habitation à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile. / La délibération fixe les conditions de délivrance de cette autorisation temporaire par le maire de la commune dans laquelle est situé l’immeuble […]. Elle détermine également les critères de cette autorisation temporaire, qui peuvent porter sur la durée des contrats de location, sur les caractéristiques physiques du local ainsi que sur sa localisation en fonction notamment des caractéristiques des marchés de locaux d’habitation et de la nécessité de ne pas aggraver la pénurie de logements. Ces critères peuvent être modulés en fonction du nombre d’autorisations accordées à un même propriétaire personne physique. / Si la commune est membre d’un établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d’urbanisme, la délibération est prise par l’organe délibérant de cet établissement. » ; aux termes de l’article L. 631-7-1 de ce code : « L’autorisation préalable au changement d’usage est délivrée par le maire de la commune dans laquelle est situé l’immeuble […]. Elle peut être subordonnée à une compensation sous la forme de la transformation concomitante en habitation de locaux ayant un autre usage. […] / Pour l’application de l’article L. 631-7, une délibération du conseil municipal fixe les conditions dans lesquelles sont délivrées les autorisations et déterminées les compensations par quartier et, le cas échéant, par arrondissement, au regard des objectifs de mixité sociale, en fonction notamment des caractéristiques des marchés de locaux d’habitation et de la nécessité de ne pas aggraver la pénurie de logements. Si la commune est membre d’un établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d’urbanisme, la délibération est prise par l’organe délibérant de cet établissement. »
3. D’autre part, aux termes de l’article L. 631-9 du code de la construction et de l’habitation : « Dans les communes autres que celles mentionnées au premier alinéa de l’article L. 631-7, les dispositions dudit article peuvent être rendues applicables par décision de l’autorité administrative sur proposition du maire ou, pour les communes appartenant à une zone d’urbanisation continue de plus de 50 000 habitants dont la liste est fixée par le décret mentionné au I de l’article 232 du code général des impôts, par une délibération de l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d’urbanisme ou, à défaut, du conseil municipal. » ; aux termes de l’article 1er du décret n° 2013-392 du 10 mai 2013 susvisé : « La taxe annuelle sur les logements vacants instituée par l’article 232 du code général des impôts s’applique dans les communes dont la liste figure en annexe. »
4. Enfin, ainsi que l’a jugé la Cour de justice de l’Union européenne dans son arrêt du 22 septembre 2020, Cali Apartments SCI et HX (affaires C-724/18 et C-727/18), les autorités nationales peuvent adopter des réglementations imposant une autorisation préalable pour l’exercice d’activités de location de locaux meublés pour de courtes durées, dès lors qu’elles sont conformes aux exigences figurant aux articles 9 et 10 de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur. Il s’ensuit qu’il revient au juge administratif de contrôler si cette réglementation est, d’une part, justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général tenant à la lutte contre la pénurie de logements destinés à la location et, d’autre part, proportionnée à l’objectif poursuivi, en ce que celui-ci ne peut pas être réalisé par une mesure moins contraignante, notamment parce qu’un contrôle a posteriori interviendrait trop tardivement pour avoir une efficacité réelle. Par ailleurs, si la réglementation instaure une obligation de compensation, sous la forme d’une transformation accessoire et concomitante en habitation de locaux ayant un autre usage, celle-ci devra être justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général, proportionnelle à cet objectif, non discriminatoire, instituée dans des termes clairs, non ambigus et rendus publics à l’avance, et cette obligation devra pouvoir être satisfaite dans des conditions transparentes et accessibles.
En ce qui concerne les conclusions à fin de suspension :
5. Il résulte de l’instruction que, par délibération du 7 juillet 2022, le conseil de la communauté d’agglomération Val d’Europe Agglomération (CAVEA) a approuvé à l’unanimité le règlement intercommunal fixant les conditions de délivrance des autorisations de changement d’usage de locaux d’habitation et déterminant les compensations en application de la section 2 du chapitre 1er du titre III du livre VI du code de la construction et de l’habitation. Par la requête susvisée, la société Dubosq Immobilier, propriétaire et gestionnaire de logements loués en meublé pour une courte durée et situés sur le territoire de la communauté d’agglomération Val d’Europe Agglomération, demande au juge des référés, sur le fondement des dispositions précitées de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l’exécution de ce règlement intercommunautaire.
S’agissant de la condition d’urgence :
6. D’une part, il résulte des dispositions précitées des articles L. 521-1 et R. 522-1 du code de justice administrative que la condition d’urgence à laquelle est subordonné le prononcé d’une mesure de suspension doit être regardée comme remplie lorsque la décision contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre. Il appartient au juge des référés, saisi d’une demande tendant à la suspension d’une telle décision, d’apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de celle-ci sur la situation de ce dernier ou le cas échéant, des personnes concernées, sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l’exécution de la décision soit suspendue. L’urgence doit s’apprécier objectivement et globalement. Enfin, la condition d’urgence s’apprécie à la date de la présente ordonnance.
7. D’autre part, au cas où la collectivité auteur de la réglementation fixant les conditions de délivrance des autorisations de changement d’usage de locaux d’habitation et déterminant le régime des compensations correspondantes justifie de circonstances particulières tenant à la pénurie de logements destinés à la location de longue durée, à la dégradation des conditions d’accès au logement et à l’exacerbation des tensions sur le marché immobilier, tous éléments constituant une raison impérieuse d’intérêt général, elle démontre par là même l’urgence qu’il y a à ne pas suspendre sa réglementation. Il appartient dans ce cas au juge de procéder à une appréciation globale de l’ensemble des circonstances de l’espèce qui lui est soumise.
8. Primo, il résulte de l’instruction que pour la société Duboscq Immobilier, dont l’activité de location de meublés de courte durée représente désormais 45 % de son chiffre d’affaires, contre 18 % pour l’activité de gestion locative traditionnelle et 36 % pour l’activité de transaction immobilière, l’entrée en vigueur de la réglementation contestée aurait pour effet de la priver de près de la moitié de son chiffre d’affaires, ce qui aurait, pour elle, des conséquences graves et irrémédiables. Si la réglementation litigieuse ne fait pas obstacle, il est vrai, à l’exercice d’une activité de location de longue durée, il n’est toutefois pas contesté en défense que les conditions d’une telle activité ne sont pas de nature à lui procurer des revenus équivalents. Par suite, la société Duboscq Immobilier démontre l’atteinte grave et immédiate que la délibération en litige porte à ses intérêts.
9. Secundo, il ne résulte pas des éléments chiffrés fournis par la CAVEA en défense, que celle-ci démontre que la défense des intérêts liés à la préservation du logement destiné à la location de longue durée sur le territoire du Val d’Europe implique l’adoption d’une réglementation contraignante du type de celle contestée. En effet, si la CAVEA précise dans son mémoire en défense que le nombre de locations de meublés de tourisme a augmenté sur la commune de Serris de plus de + 40 % en un an, du second quadrimestre 2021 au second quadrimestre 2022, et même de + 28 % en un quadrimestre, entre le premier et le deuxième quadrimestre 2022, et que le même phénomène est également observé à Chessy, qui a vu le nombre des annonces de meublés de tourisme augmenter de + 32,5 % en un an sur son territoire, ces données, accessibles sur la plateforme AIRDNA, ne sont que partielles car elles ne concernent, sur les dix communes que compte la communauté d’agglomération, que deux communes Serris et Chessy, qui comptent pour un tiers seulement du nombre de logements recensés en 2019 (7 918 sur 23 500). Lors de l’audience publique du 12 octobre 2022, la CAVEA a produit un tableau récapitulatif du nombre d’annonces pour les locations de courte durée sur les dix communes de l’agglomération dont il ressort qu’elles sont passées de 729 à 900 du 1er trimestre 2021 au 1er trimestre 2022, soit une augmentation globale de +171 annonces représentant une hausse de +23,5 %. Toutefois, cette hausse est concentrée sur les deux communes de Chessy et Serris qui totalisent à elles seules une augmentation de 125 annonces, soit 73 % de la hausse constatée sur l’ensemble de l’agglomération. Surtout, la comparaison de 2022 avec 2021 n’est pas très pertinente dans la mesure où 2021 a été une année perturbée par les mesures prises pour lutter contre la pandémie de covid-19 avec l’instauration de couvre-feu, de confinements localisés, et de fermetures de certains établissements regroupant du public (restaurants, bars, musées, cinémas, spectacles…) ; par suite, la hausse enregistrée en 2022 par rapport à 2021 n’est sans doute révélatrice d’une tendance de fond mais plutôt l’illustration d’un rattrapage ; il eût été de ce point de vue beaucoup plu pertinent pour la CAVEA de comparer 2022 avec 2019, dernière année ante- covid. Enfin, il n’est nullement démontré par la CAVEA que la hausse des annonces de locations de courte durée soit corrélée à une baisse correspondante des locations de longue durée, faute pour l’agglomération de produire des statistiques sur ce point, statistiques qui ne doivent pourtant pas être plus difficiles à trouver que celles relatives à la location de courte durée. Ainsi, quand bien même il serait établi que le nombre de locations de meublés de tourisme a augmenté de manière structurelle et non conjoncturelle sur l’ensemble du territoire de la communauté d’agglomération du Val d’Europe, il n’est pas démontré par la CAVEA que cette augmentation ait entraîné une pénurie de logements.
10. Pour tenter de démontrer cette pénurie de logements, la CAVEA procède de manière indirecte en invoquant par ailleurs l’augmentation des prix de l’immobilier depuis un an (2021-2022) sur les communes de Chessy (+ 8,3 %) et Serris (+ 8,0 %), manifestation selon elle d’une inadéquation entre offre et demande de logements, alors que cette augmentation a été contenue en Seine-et-Marne (+ 3,7 %) et est quasi-nulle en Ile-de-France (+ 0,6 %). Or, là encore, ces données ne concernent que deux communes sur dix qui ne concentrent qu’un tiers du parc de logements de l’agglomération ; de plus, les tensions sur le marché de l’immobilier sont anciennes sur ces deux communes du territoire du Val d’Europe puisque les prix de l’immobilier y ont grimpé en dix ans de + 26,8 % à Chessy et de + 22,8 % à Serris, soit beaucoup plus qu’en Seine-et-Marne (+ 10,3 %) ou même en Ile-de-France (+ 19,8 %), démontrant que si pénurie il y a, elle est bien antérieure au « développement exponentiel » du nombre de locations de meublés de tourisme alléguée depuis quelques années par la CAVEA pour justifier sa réglementation. C’est bien d’ailleurs la raison pour laquelle le territoire du Val d’Europe est concerné par plusieurs programmes de construction de milliers de logements s’étalant jusqu’en 2028. Par suite, la CAVEA ne démontre pas l’urgence qu’il y aurait à ne pas suspendre sa réglementation, faute pour elle d’établir, en l’état de l’instruction, de manière certaine et probante que la pénurie de logements destinés à la location de longue durée est directement liée à l’augmentation du nombre de locations de meublés de tourisme.
11. Il résulte de ce qui précède que la condition d’urgence de l’article L. 521-1 du code de justice administrative est au cas d’espèce démontrée.
S’agissant du doute sérieux quant à la légalité de la délibération contestée :
12. Ainsi qu’il a été dit au point 4, si la CAVEA peut adopter sur le fondement des dispositions citées aux points 2 et 3, une réglementation contraignante imposant une autorisation préalable pour l’exercice d’activités de location de locaux meublés pour de courtes durées, c’est à la condition que cette réglementation soit, d’une part, justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général tenant à la lutte contre la pénurie de logements destinés à la location et, d’autre part, proportionnée à l’objectif poursuivi. Or, ainsi qu’il a été dit aux points 9 et 10 précédents, la CAVEA ne démontre pas de manière probante, en l’état de l’instruction, la pénurie de logements sur le territoire de la communauté d’agglomération du Val d’Europe. Par suite, c’est à bon droit que la société Duboscq Immobilier soutient qu’il existe un doute sérieux quant à la légalité de la réglementation litigieuse qui n’est pas justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général liée à une pénurie de logements non démontrée.
13. Les deux conditions de l’article L. 521-1 du code de justice administrative étant réunies, il convient donc d’ordonner la suspension de l’exécution de la délibération litigieuse du 7 juillet 2022.
Sur les frais de l’instance :
14. Aux termes de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : « Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation. » D’une part, ces dispositions font obstacle à ce qu’il soit mis à la charge de la société Duboscq Immobilier, qui n’est pas la partie perdante la présente instance, la somme que demande la CAVEA sur le fondement de ces dispositions ; d’autre part, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la CAVEA la somme de 800 € au titre des frais exposés par la requérante et non compris dans les dépens.
Ordonne :
Article 1er : L’exécution du règlement intercommunal litigieux de la CAVEA en date du 7 juillet 2022 est suspendue jusqu’à ce qu’il soit statué au fond.
Article 2 : La CAVEA versera à la société Duboscq Immobilier la somme de 800 € au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions de la CAVEA présentées sur le fondement de cet article L. 761-1 sont rejetées.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Duboscq Immobilier et au préfet de Seine-et-Marne.