Conseil d’État
N° 362910
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
1ère / 6ème SSR
M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur
M. Alexandre Lallet, rapporteur public
COPPER-ROYER ; SCP COUTARD, MUNIER-APAIRE, avocats
lecture du vendredi 28 novembre 2014
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. A…B…a demandé au tribunal administratif de Melun, d’une part, d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du 12 mai 2009 par lequel le maire de la commune de Nogent-sur-Marne (Val-de-Marne) a décidé de préempter la parcelle bâtie située 69, rue des Héros Nogentais, d’autre part, d’enjoindre à la commune de lui proposer l’acquisition de ce bien au prix indiqué dans la déclaration d’intention d’aliéner. Par un jugement n° 0905175 du 18 mai 2011, le tribunal administratif de Melun a annulé l’arrêté du 12 mai 2009 et enjoint à la commune de Nogent-sur-Marne de proposer à M. B…d’acquérir, au prix de la déclaration d’intention d’aliéner, le bien préempté.
Par un arrêt n° 11PA03557 du 28 juin 2012, la cour administrative d’appel de Paris a rejeté l’appel formé contre ce jugement par la commune de Nogent-sur-Marne.
Procédure devant le Conseil d’Etat
Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 20 septembre 2012 et 23 mai 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la commune de Nogent-sur-Marne demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler cet arrêt n° 11PA03557 de la cour administrative d’appel de Paris du 28 juin 2012 ;
2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de M. B…la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu :
– les autres pièces du dossier ;
– la Constitution, notamment son article 72 ;
– le code civil ;
– le code de la construction et de l’habitation ;
– le code de l’urbanisme ;
– la loi n° 2009-323 du 25 mars 2009 ;
– le code de justice administrative.
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Rémi Decout-Paolini, maître des requêtes,
– les conclusions de M. Alexandre Lallet, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Copper-Royer, avocat de la commune de Nogent-sur-Marne et à la SCP Coutard, Munier-Apaire, avocat de M. B….
1. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 16 septembre 2008, pris en application de l’article L. 302-9-1 du code de la construction et de l’habitation, le préfet du Val-de-Marne a prononcé la carence de la commune de Nogent-sur-Marne pour méconnaissance de son objectif triennal 2005-2007 de réalisation de logements sociaux ; que, par un arrêté du 12 mai 2009, le maire de Nogent-sur-Marne a décidé de préempter l’ensemble immobilier sis 69, rue des Héros Nogentais, aux fins de permettre la réalisation de logements sociaux ; que cet arrêté, contesté par M.B…, acquéreur évincé, devant le tribunal administratif de Melun, a été annulé par un jugement du 18 mai 2011 ; que la commune de Nogent-sur-Marne se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 28 juin 2012 par lequel la cour administrative d’appel de Paris a rejeté son appel contre ce jugement ;
2. Considérant que l’article 24 de la loi du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier a inséré un article L. 302-9-1 dans le code de la construction et de l’habitation pour prévoir que certaines communes puissent faire l’objet d’une » procédure de constat de carence « , soit parce qu’elles n’ont pas tenu les engagements de construction ou de réalisation de logements locatifs sociaux figurant dans le programme local de l’habitat, soit parce que, à défaut de programme local de l’habitat, le nombre de logements locatifs sociaux à réaliser en application du dernier alinéa de l’article L. 302-8 du même code n’a pas été atteint ; que le constat de la carence de la commune, prononcé par le préfet après avoir invité le maire à présenter ses observations, s’accompagne de la fixation d’une majoration du prélèvement défini à l’article L. 302-7 du même code et confère au préfet le pouvoir de se substituer à la commune pour » conclure une convention avec un organisme en vue de la construction ou l’acquisition des logements sociaux nécessaires à la réalisation des objectifs fixés dans le programme local de l’habitat ou déterminés en application du premier alinéa de l’article L. 302-8 » ; que le législateur a modifié, par la loi du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion, le deuxième alinéa de l’article L. 210-1 du code de l’urbanisme, pour prévoir, en outre, que : » Pendant la durée d’application d’un arrêté préfectoral pris sur le fondement de l’article L. 302-9-1 du code de la construction et de l’habitation, le droit de préemption est exercé par le représentant de l’Etat dans le département lorsque l’aliénation porte sur un terrain, bâti ou non bâti, affecté au logement ou destiné à être affecté à une opération ayant fait l’objet de la convention prévue à l’article L. 302-9-1 précité. (…) Les biens acquis par exercice du droit de préemption en application du présent alinéa doivent être utilisés en vue de la réalisation d’opérations d’aménagement ou de construction permettant la réalisation des objectifs fixés dans le programme local de l’habitat ou déterminés en application du premier alinéa de l’article L. 302-8 du même code » ;
3. Considérant, en premier lieu, qu’en prévoyant l’exercice par le représentant de l’Etat dans le département du droit de préemption des terrains affectés au logement ou destinés à être affectés à une opération de construction ou d’acquisition de logements sociaux, les dispositions de l’article L. 210-1 du code de l’urbanisme ont pour finalité, dans un but d’intérêt général et pendant la durée limitée d’application d’un arrêté de carence, de permettre la réalisation de logements sociaux prévue à l’article L. 302-8 du code de la construction et de l’habitation et de contribuer ainsi à la mise en oeuvre de l’objectif que la commune concernée s’était elle-même fixé dans son programme local de l’habitat ou qui lui avait été fixé par le programme local de l’habitat de l’établissement public de coopération intercommunale dont elle est membre ; qu’il suit de là que ce transfert de l’exercice du droit de préemption, qui constitue l’un des effets d’un arrêté de carence, ne présente pas le caractère d’une sanction ; que, par suite, la loi du 25 mars 2009 ne présente pas le caractère d’une loi répressive plus sévère insusceptible, en vertu du principe de nécessité des peines, de s’appliquer à des faits commis avant son entrée en vigueur ;
4. Considérant, en deuxième lieu, qu’il résulte des dispositions des articles 1er et 2 du code civil que, si elle n’en dispose pas autrement, la loi nouvelle entre en vigueur le lendemain de sa publication, sous réserve de celles de ses dispositions dont l’exécution nécessite des mesures d’application, et n’a pas d’effet rétroactif ; qu’elle s’applique ainsi immédiatement aux situations en cours, sous réserve des situations juridiquement constituées à la date de son entrée en vigueur ; que les communes qui faisaient déjà l’objet d’un arrêté de carence à la date de publication de la loi du 25 mars 2009 ne pouvant être regardées comme placées, de ce fait, dans une situation juridiquement constituée, la circonstance que cet arrêté est intervenu antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi ne fait pas obstacle, pour le reste de sa durée d’application, au transfert de l’exercice du droit de préemption ;
5. Considérant, en troisième lieu, qu’aucune disposition ni aucun principe n’impose que la procédure contradictoire prévue par l’article L. 302-9-1 du code de la construction et de l’habitation avant l’édiction d’un arrêté de carence soit reprise avant que s’y attachent les effets prévus par la loi nouvelle ;
6. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède qu’en jugeant que les dispositions du deuxième alinéa de l’article L. 210-1 du code de l’urbanisme sont entrées en vigueur le 28 mars 2009, au lendemain de la publication de la loi du 25 mars 2009 au Journal officiel, et qu’elles se sont appliquées immédiatement y compris dans le cas où un arrêté de carence était antérieurement intervenu, la cour administrative d’appel, qui a suffisamment motivé son arrêt sur ce point, n’a pas commis d’erreur de droit ; que la commune de Nogent-sur-Marne n’est, par suite, pas fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque ;
7. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de M.B…, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu’il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la commune de Nogent-sur-Marne, sur le fondement des mêmes dispositions, le versement à M. B…d’une somme de 3 000 euros.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la commune de Nogent-sur-Marne est rejeté.
Article 2 : La commune de Nogent-sur-Marne versera à M. B…la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la commune de Nogent-sur-Marne et à M. A… B….
Copie en sera adressée à la ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité.