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Préemption : le droit de préemption n’est pas une « opération complexe » !

Conseil d’État

N° 398736   
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
1ère – 6ème chambres réunies
Mme Sandrine Vérité, rapporteur
M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public
SCP GASCHIGNARD ; SCP FOUSSARD, FROGER, avocats

lecture du mercredi 10 mai 2017

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

La société Avenir Bois Habitat, aux droits de laquelle est venue la société ABH Investissements, a demandé au tribunal administratif de Paris d’annuler pour excès de pouvoir la décision du 11 avril 2013 par laquelle le maire de Paris a exercé le droit de préemption sur l’immeuble situé 60 rue de la Convention à Paris 15ème. Par un jugement n° 1305635 du 10 avril 2014, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 14PA02227 du 11 février 2016, la cour administrative d’appel de Paris a rejeté l’appel formé par la société ABH Investissements contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 12 avril et 13 juillet 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la société ABH Investissements demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt de la cour administrative d’appel de Paris du 11 février 2016 ;

2°) de mettre à la charge de la ville de Paris la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code de l’urbanisme ;
– le code de procédure civile ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Sandrine Vérité, maître des requêtes en service extraordinaire,

– les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Gaschignard, avocat de la société ABH Investissements, et à la SCP Foussard, Froger, avocat de la ville de Paris.

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 11 avril 2013, le maire de Paris a préempté un immeuble situé 60, rue de la Convention, dans le 15ème arrondissement de Paris. La société ABH Investissements, acquéreur évincé, se pourvoit en cassation contre l’arrêt par lequel, en appel d’un jugement du tribunal administratif de Paris du 10 avril 2014, la cour administrative d’appel de Paris a rejeté sa demande d’annulation de cette décision de préemption.

2. En premier lieu, aux termes du premier alinéa de l’article L. 210-1 du code de l’urbanisme :  » Les droits de préemption (…) sont exercés en vue de la réalisation, dans l’intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l’article L. 300-1 (…) « . Aux termes du premier alinéa de l’article L. 211-1 du même code :  » Les communes dotées d’un plan d’occupation des sols rendu public ou d’un plan local d’urbanisme approuvé peuvent, par délibération, instituer un droit de préemption urbain sur tout ou partie des zones urbaines et des zones d’urbanisation future délimitées par ce plan (…) « .

3. L’illégalité d’un acte administratif, qu’il soit ou non réglementaire, ne peut être utilement invoquée par voie d’exception à l’appui de conclusions dirigées contre une décision administrative ultérieure que si cette dernière décision a pour base légale le premier acte ou été prise pour son application. En outre, s’agissant d’un acte non réglementaire, l’exception n’est recevable que si l’acte n’est pas devenu définitif à la date à laquelle elle est invoquée, sauf dans le cas où, l’acte et la décision ultérieure constituant les éléments d’une même opération complexe, l’illégalité dont l’acte serait entaché peut être invoquée en dépit du caractère définitif de cet acte.

4. L’illégalité de l’acte instituant un droit de préemption urbain peut être utilement invoquée par voie d’exception à l’appui de conclusions dirigées contre une décision de préemption. Toutefois, cet acte, qui se borne à rendre applicables dans la zone qu’il délimite les dispositions législatives et réglementaires régissant l’exercice de ce droit, sans comporter lui-même aucune disposition normative nouvelle, ne revêt pas un caractère réglementaire et ne forme pas avec les décisions individuelles de préemption prises dans la zone une opération administrative unique comportant un lien tel qu’un requérant serait encore recevable à invoquer par la voie de l’exception les illégalités qui l’affecteraient, alors qu’il aurait acquis un caractère définitif.

5. Par suite, en jugeant que la société ABH Investissements n’était pas recevable à soulever, à l’appui de sa demande d’annulation de la décision de préemption du 11 avril 2013, l’illégalité de la délibération des 16 et 17 octobre 2006 instituant le droit de préemption urbain sur les zones U du plan local d’urbanisme de la ville de Paris, régulièrement publiée dans les conditions prévues par les articles R. 211-2 et R. 211-4 du code de l’urbanisme, au motif que cette délibération était devenue définitive, la cour n’a pas commis d’erreur de droit.

6. En deuxième lieu, l’article L. 213-2 du code de l’urbanisme prévoit que :  » (…) Le silence du titulaire du droit de préemption pendant deux mois à compter de la réception de la déclaration [d’intention d’aliéner] vaut renonciation à l’exercice du droit de préemption (…) « . L’article R. 213-25 du code de l’urbanisme dispose que les décisions du titulaire du droit de préemption sont  » notifiées par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, par acte d’huissier, par dépôt contre décharge ou par voie électronique (…) « . Aux termes de l’article 656 du code de procédure civile :  » Si personne ne peut ou ne veut recevoir la copie de l’acte et s’il résulte des vérifications faites par l’huissier de justice, dont il sera fait mention dans l’acte de signification, que le destinataire demeure bien à l’adresse indiquée, la signification est faite à domicile (…) « . Aux termes de l’article 664-1 du même code :  » La date de la signification d’un acte d’huissier de justice (…) est celle du jour où elle est faite à personne, à domicile, à résidence ou, dans le cas mentionné à l’article 659, celle de l’établissement du procès-verbal (…) « .

7. Il résulte des dispositions de l’article L. 213-2 du code de l’urbanisme que le propriétaire qui a décidé de vendre un bien susceptible de faire l’objet d’une décision de préemption doit savoir de façon certaine, au terme du délai de deux mois imparti au titulaire du droit de préemption pour en faire éventuellement usage, s’il peut ou non poursuivre l’aliénation entreprise. La réception de la décision par le propriétaire intéressé dans le délai de deux mois, à la suite de sa notification, constitue, par suite, une condition de la légalité de la décision de préemption. En cas de notification par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, la réception par le propriétaire doit être regardée comme intervenant à la date à laquelle le pli est présenté pour la première fois à l’adresse indiquée dans la déclaration d’intention d’aliéner. En cas de signification par acte d’huissier, celle-ci doit être réputée effective dans les conditions prévues par l’article 656 du code de procédure civile. La cour administrative d’appel n’a donc pas commis d’erreur de droit en jugeant, après avoir constaté que la ville de Paris avait reçu la déclaration d’intention d’aliéner le 12 février 2013, qu’elle avait pu valablement décider de préempter le bien en notifiant sa décision par acte d’huissier signifié au domicile du propriétaire, le 12 avril 2013.

8. En troisième lieu, il résulte des dispositions de l’article L. 210-1 du code de l’urbanisme que la mise en oeuvre du droit de préemption doit, eu égard notamment aux caractéristiques du bien faisant l’objet de l’opération ou au coût prévisible de cette dernière, répondre à un intérêt général suffisant.

9. D’une part, la cour administrative d’appel a explicitement relevé que l’étude de faisabilité technique du projet de rénovation de l’immeuble, objet de la préemption, était fondée sur un phasage progressif des travaux portant d’abord sur les parties communes et la réfection de dix logements puis, à la suite du départ de leurs locataires respectifs, sur la réfection des autres logements. Si elle a fait mention du coût de 11 525 000 euros retenu par cette étude qui n’incluait, outre le prix d’acquisition de l’immeuble à hauteur de 8 681 558 euros, que le montant des travaux de première phase, elle ne peut être regardée comme s’étant méprise sur la nature de l’opération et comme ayant ainsi dénaturé son coût global, dès lors que cette première phase comportait l’ensemble des travaux de structure portant sur l’immeuble lui-même et que le coût de la réfection intérieure des logements renvoyée à des phases ultérieures était nécessairement appelé à demeurer marginal par rapport à cette évaluation initiale, eu égard à l’importance et à la nature des travaux de la première phase. D’autre part, la cour a exactement qualifié les faits de l’espèce, tels qu’elle les a ainsi souverainement appréciés sans les dénaturer, en jugeant que le projet en vue duquel l’immeuble était préempté, consistant en la réalisation de vingt-six logements sociaux dans un arrondissement en comprenant un nombre insuffisant, conformément au programme local de l’habitat, répondait, en dépit de son coût, à un intérêt général suffisant.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la société ABH Investissements n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêt attaqué.

11. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de la ville de Paris, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la société ABH Investissements une somme de 3 000 euros à verser à la ville de Paris.

D E C I D E :
————–
Article 1er : Le pourvoi de la société ABH Investissements est rejeté.
Article 2 : La société ABH Investissements versera à la ville de Paris une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société ABH Investissements et à la ville de Paris.

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