Vu la procédure suivante :
La société anonyme (SA) SNCF Réseau a demandé au juge des référés du tribunal administratif d’Amiens, d’une part, de suspendre, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, l’exécution de l’arrêté du 20 juin 2022 par lequel le maire de Tergnier (Aisne) lui a enjoint de prendre des mesures conservatoires de mise en sécurité de la passerelle piétonne surplombant les voies ferrées aux abords de la gare de cette ville et, d’autre part, de mettre à la charge de la commune la mise en oeuvre toute mesure conservatoire de sécurisation de la passerelle dans l’attente de sa démolition prochaine.
Par une ordonnance n° 2202346 du 26 juillet 2022, le juge des référés du tribunal administratif a ordonné la suspension de l’exécution de cet arrêté et rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 10 et 26 août 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la commune de Tergnier demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler cette ordonnance, en tant qu’elle lui est défavorable ;
2°) statuant en référé dans cette mesure, de rejeter la demande de la société SNCF Réseau ;
3°) de mettre à la charge de la société SNCF Réseau la somme de 4 200 € au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code général de la propriété des personnes publiques ;
– le code général des collectivités territoriales ;
– le code de la construction et de l’habitation ;
– le code des transports ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Sébastien Ferrari, maître des requêtes en service extraordinaire,
– les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Buk Lament – Robillot, avocat de la commune de Tergnier et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société SNCF Réseau ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du premier alinéa de l’article L. 521-1 du code de justice administrative : « Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ».
2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que, par un arrêté du 20 juin 2022 pris sur le fondement de l’article L. 511-19 du code de la construction et de l’habitation, le maire de Tergnier a mis la société SNCF Réseau en demeure de faire cesser le péril résultant de l’état dangereux de la passerelle piétonne surplombant les voies ferrées aux abords de la gare de cette ville et lui a prescrit de réaliser des travaux de mise en sécurité dans un délai de quinze jours, au-delà duquel il serait procédé d’office à ces travaux pour son compte et à ses frais. La commune de Tergnier se pourvoit en cassation contre l’ordonnance du 26 juillet 2022 du juge des référés du tribunal administratif d’Amiens en tant qu’elle a, sur la demande de la société SNCF Réseau, suspendu l’exécution de cet arrêté.
3. D’une part, aux termes de l’article L. 511-2 du code de la construction et de l’habitation, la police de la sécurité et de la salubrité des immeubles, locaux et installations a « pour objet de protéger la sécurité et la santé des personnes en remédiant aux situations suivantes : / 1° Les risques présentés par les murs, bâtiments ou édifices quelconques qui n’offrent pas les garanties de solidité nécessaires au maintien de la sécurité des occupants et des tiers […] ». L’article L. 511-4 de ce code dispose que : « L’autorité compétente pour exercer les pouvoirs de police est : / 1° Le maire dans les cas mentionnés aux 1° […] de l’article L. 511-2 […] ». Selon l’article L. 511-10 du même code : « L’arrêté de mise en sécurité ou de traitement de l’insalubrité est pris à l’issue d’une procédure contradictoire avec la personne qui sera tenue d’exécuter les mesures : le propriétaire ou le titulaire de droits réels immobiliers sur l’immeuble, le local ou l’installation, tels qu’ils figurent au fichier immobilier […] ». L’article L. 511-19 dudit code énonce que : « En cas de danger imminent, manifeste ou constaté par le rapport mentionné à l’article L. 511-8 ou par l’expert désigné en application de l’article L. 511-9, l’autorité compétente ordonne par arrêté et sans procédure contradictoire préalable les mesures indispensables pour faire cesser ce danger dans un délai qu’elle fixe ».
4. D’autre part, les biens immobiliers appartenant à une personne publique et affectés au service public du transport ferroviaire ont le caractère de dépendances du domaine public. L’article L. 2111-1 du code des transports dispose que : « […] La société SNCF Réseau est attributaire des lignes du réseau ferré national, propriété de l’Etat ». Le I de l’article L. 2111-20 du même code précise que : « La société SNCF Réseau et sa filiale mentionnée au 5° de l’article L. 2111-9 exercent tous pouvoirs de gestion sur les biens immobiliers qui leur sont attribués par l’Etat ou qu’elles acquièrent au nom de l’Etat. […] / Elles assument toutes les obligations du propriétaire ».
5. Il résulte de ces dispositions que la société SNCF Réseau, qui assume, directement ou par l’intermédiaire d’une filiale, toutes les obligations du propriétaire pour les biens relevant du domaine public ferroviaire que l’Etat lui a attribués, doit être regardée comme le propriétaire de ces biens pour l’exercice des pouvoirs de police de la sécurité et de la salubrité des immeubles, locaux et installations.
6. Pour juger qu’était propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté du 20 juin 2022 le moyen tiré de ce que la société SNCF Réseau n’était pas tenue de prendre les mesures conservatoires de mise en sécurité prescrites par cet arrêté, le juge des référés s’est fondé sur ce que la passerelle en cause ne pouvait appartenir à cette société dès lors qu’elle assurait la jonction entre une voie communale et une voie départementale. En statuant ainsi alors, d’une part, que le procès-verbal du 2 octobre 1933 de récolement et de remise des travaux conduits par la Compagnie du Chemin de fer du Nord établissait que cet ouvrage avait été édifié, dans l’intérêt du service public du chemin de fer, par cette entreprise en sa qualité de concessionnaire de ce service public et appartenait ainsi au domaine public ferroviaire, d’autre part, qu’aucun élément du dossier ne permettait d’établir qu’il en serait sorti depuis lors, de sorte que la société SNCF Réseau, attributaire des lignes du réseau ferré national, assument à ce titre toutes les obligations du propriétaire, était susceptible de faire l’objet d’un arrêté de mise en sécurité, le juge des référés a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.
7. La commune de Tergnier est, par suite, fondée, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, à demander l’annulation des articles 1er et 2 de l’ordonnance qu’elle attaque, ainsi que de son article 3 en tant qu’il rejette ses conclusions.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative pour régler dans cette mesure l’affaire au titre de la procédure de référé engagée.
9. Eu égard à ce qui a été dit au point 6, le moyen tiré de ce que la société SNCF Réseau ne serait pas propriétaire de la passerelle en cause n’est pas propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté litigieux, sans qu’ait d’incidence à cet égard la circonstance que la charge d’entretien de cette parcelle ait pu être partagée entre la Compagnie du Chemin de fer du Nord et la commune.
10. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la condition d’urgence ni sur la fin de non-recevoir opposée par la commune de Tergnier, que la demande de la société SNCF Réseau tendant à la suspension de l’exécution de l’arrêté du 20 juin 2022 doit être rejetée.
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la société SNCF Réseau la somme de 3 000 € à verser à la commune de Tergnier au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de la commune de Tergnier qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
Décide :
Article 1er : Les articles 1er et 2 de l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif d’Amiens du 26 juillet 2022, ainsi que son article 3, en tant qu’il rejette les conclusions de la commune de Tergnier, sont annulés.
Article 2 : La demande de suspension présentée par la société SNCF Réseau devant le juge des référés du tribunal administratif d’Amiens est rejetée.
Article 3 : La société SNCF Réseau versera à la commune de Tergnier la somme de 3 000 € au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de la société SNCF Réseau tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.