Conseil d’État
N° 377088
ECLI:FR:CESSR:2014:377088.20141015
Inédit au recueil Lebon
6ème / 1ère SSR
Mme Sophie-Justine Lieber, rapporteur
M. Xavier de Lesquen, rapporteur public
SCP NICOLAY, DE LANOUVELLE, HANNOTIN, avocats
lecture du mercredi 15 octobre 2014
Vu le pourvoi, enregistré le 3 avril 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présenté par la ministre du logement et de l’égalité des territoires ; elle demande au Conseil d’Etat d’annuler l’ordonnance n° 1400509 du 24 février 2014 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Lyon, statuant sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, a suspendu, à la demande de la commune de Privas, l’exécution de la décision du 13 janvier 2014 par laquelle le préfet de l’Ardèche, après transmission de la délibération du conseil municipal de Privas du 16 décembre 2013 approuvant le plan local d’urbanisme de la commune, a décidé de surseoir au caractère exécutoire de ce plan sur le fondement de l’article L. 123-12 du code de l’urbanisme ;
elle soutient que le juge des référés a commis une erreur de droit en regardant comme sérieux le moyen tiré de ce que le PLU de la commune de Privas ne compromettait pas l’objectif de sécurité publique, alors que, d’une part, le classement en zone naturelle de la majeure partie des terrains de la commune exposés au risque minier ne permet pas d’assurer la prévention du risque minier et la sécurité publique, et que, d’autre part, les risques en question ne peuvent être prévenus par des prescriptions techniques concernant les constructions plutôt que par une interdiction de construire ;
Vu l’ordonnance attaquée ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 21 juillet 2014, présenté pour la commune de Privas, qui conclut au rejet du pourvoi et à ce qu’une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de l’Etat au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; elle soutient qu’aucun des moyens soulevés par la ministre du logement et de l’égalité des territoires n’est fondé ;
Vu le mémoire, enregistré le 21 juillet 2014, présenté pour la commune de Privas en application de l’article 23-5 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ; la commune demande au Conseil d’Etat, à l’appui de sa défense, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l’article L. 123-12 du code de l’urbanisme ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution, notamment ses articles 61-1 et 72 ;
Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
Vu le code de l’urbanisme, notamment son article L. 123-12 ;
Vu la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de Mme Sophie-Justine Lieber, maître des requêtes,
– les conclusions de M. Xavier de Lesquen, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la commune de Privas ;
1. Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-1 du code de justice administrative : » Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision (…) » ;
2. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que, par une ordonnance du 24 février 2014, le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a ordonné la suspension de l’exécution de la décision en date du 13 janvier 2014 par laquelle, sur le fondement de l’article L. 123-12 du code de l’urbanisme, le préfet de l’Ardèche avait sursis au caractère exécutoire du plan local d’urbanisme de la commune de Privas et demandé au maire de la commune d’y apporter les modifications nécessaires pour prendre en compte les risques miniers en interdisant, dans tous les secteurs concernés par une zone d’aléas, toute nouvelle construction ou modification substantielle du bâti ; que la ministre du logement et de l’égalité des territoires se pourvoit en cassation contre cette ordonnance ; que la commune de Privas soulève, à cette occasion, la question de la conformité de l’article L. 123-12 du code de l’urbanisme au principe de libre administration des collectivités territoriales garanti par l’article 72 de la Constitution ;
Sur la question prioritaire de constitutionnalité présentée pour la commune de Privas :
3. Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : » Le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (…) à l’occasion d’une instance devant le Conseil d’Etat (…) » ; qu’il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;
4. Considérant qu’aux termes de l’article L. 123-12 du code de l’urbanisme, dans sa version issue de la loi du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, applicable au litige : » Dans les communes non couvertes par un schéma de cohérence territoriale, l’acte publié approuvant le plan local d’urbanisme devient exécutoire un mois suivant sa transmission au préfet. / Toutefois, il ne devient exécutoire qu’après l’intervention des modifications demandées par le préfet lorsque celui-ci, dans le délai d’un mois mentionné au premier alinéa, notifie par lettre motivée à l’établissement public de coopération intercommunale ou à la commune les modifications qu’il estime nécessaire d’apporter au plan, lorsque les dispositions de celui-ci : / a) Ne sont pas compatibles avec les directives territoriales d’aménagement maintenues en vigueur après la publication de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement ou avec les prescriptions particulières prévues par le III de l’article L. 145-7 et, en l’absence de celles-ci, avec les dispositions particulières aux zones de montagne et au littoral mentionnées à l’article L. 111-1-1 ; / b) Compromettent gravement les principes énoncés aux articles L. 110 et L. 121-1, sont contraires à un projet d’intérêt général, autorisent une consommation excessive de l’espace, notamment en ne prévoyant pas la densification des secteurs desservis par les transports ou les équipements collectifs, ou ne prennent pas suffisamment en compte les enjeux relatifs à la préservation ou à la remise en bon état des continuités écologiques ; / c) Font apparaître des incompatibilités manifestes avec l’utilisation ou l’affectation des sols des communes voisines (…) » ;
5. Considérant que, pour demander au Conseil d’Etat de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l’article L. 123-12 du code de l’urbanisme, la commune de Privas soutient qu’en permettant que l’acte approuvant le plan local d’urbanisme ne devienne exécutoire qu’après l’intervention des modifications demandées par le préfet, ces dispositions méconnaissent le principe de libre administration des collectivités territoriales garanti par l’article 72 de la Constitution ;
6. Considérant que si, en vertu de cet article, les collectivités territoriales » s’administrent librement par des conseils élus « , chacune d’elles le fait » dans les conditions prévues par la loi » ; que les dispositions de l’article L. 123-12 du code de l’urbanisme donnant au préfet, dans un délai d’un mois suivant la transmission du plan local d’urbanisme d’une commune non couverte par un schéma de cohérence territoriale, le pouvoir de suspendre le caractère exécutoire de cet acte poursuivent un objectif d’intérêt général consistant à assurer la compatibilité du plan avec les principes et documents d’urbanisme qu’elles mentionnent ; que le moyen tiré de ce que les dispositions litigieuses porteraient à la libre administration des collectivités territoriales une atteinte qui excèderait la réalisation de l’objectif d’intérêt général poursuivi ne présente pas de caractère sérieux ; qu’ainsi, sans qu’il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que l’article L. 123-12 du code de l’urbanisme porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté ;
Sur le pourvoi en cassation présenté par la ministre :
7. Considérant que, pour retenir que le moyen selon lequel le plan local d’urbanisme de la commune ne compromettait pas l’objectif de sécurité publique énoncé à l’article L. 110 du code de l’urbanisme était propre, en l’état de l’instruction, à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée, le juge des référés s’est notamment fondé sur le classement en zone naturelle de la majeure partie des terrains exposés à un faible aléa et sur les possibilités de prescriptions techniques en matière de construction pour prévenir l’incidence des risques miniers ;
8. Considérant, d’une part, qu’en application de l’article R. 123-8 du code de l’urbanisme, le classement, par le règlement d’un plan local d’urbanisme, d’un secteur en zone naturelle et forestière dite » zone N « , a pour effet de n’y autoriser que de manière exceptionnelle les installations et constructions ; que, d’autre part, l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme prévoit que : » Le projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales s’il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d’autres installations » ; que, dans ces conditions, le juge des référés, qui a tenu compte non seulement du classement en zone N des zones de la commune comportant un aléa mais également d’un ensemble de prescriptions contenues dans le plan local d’urbanisme, notamment des possibilités de prescriptions techniques dans les secteurs à faible aléa, n’a, eu égard à son office, pas commis d’erreur de droit ;
9. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la ministre du logement et de l’égalité des territoires n’est pas fondée à demander l’annulation de l’ordonnance attaquée ;
10. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 000 euros à verser à la commune de Privas au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
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Article 1er : Il n’y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la commune de Privas.
Article 2 : Le pourvoi de la ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité est rejeté.
Article 3 : L’Etat versera la somme de 2 000 euros à la commune de Privas.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la ministre du logement et de l’égalité des territoires et à la commune de Privas.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.