CAA de BORDEAUX
N° 17BX00301
Inédit au recueil Lebon
5ème chambre (formation à 3)
Mme JAYAT, président
Mme Elisabeth JAYAT, rapporteur
M. de la TAILLE LOLAINVILLE, rapporteur public
lecture du mardi 18 décembre 2018
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le préfet de la Haute-Garonne a déféré au tribunal administratif de Toulouse la délibération du 6 mai 2015 par laquelle le conseil municipal de Lapeyrouse-Fossat a approuvé la révision du plan local d’urbanisme en tant qu’elle crée un sous-secteur Ac au sein d’une zone agricole.
Par un jugement n°1504322 du 2 décembre 2016, le tribunal administratif de Toulouse a annulé la délibération du conseil municipal de Lapeyrouse-Fossat approuvant la révision du plan local d’urbanisme en tant qu’elle porte sur la création d’une zone Ac.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire présentés respectivement les 7 février 2017 et 9 avril 2018, la commune de Lapeyrouse-Fossat, représentée par MeB…, demande à la cour :
1°) d’annuler ce jugement du 2 décembre 2016 du tribunal administratif de Toulouse ;
2°) de rejeter le déféré préfectoral ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat le versement à son profit d’une somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– sa requête est recevable ;
– le jugement est entaché de dénaturation de ses écritures et de ses pièces ;
– c’est à tort que les premiers juges ont considéré que les conditions de l’article L. 123-1-5 du code de l’urbanisme n’étaient pas remplies ; la création de ce secteur de taille et de capacité d’accueil limitées (STECAL) dans lequel sont autorisées les constructions à usage agricole et d’habitation a pour objectif de maintenir de jeunes agriculteurs sur la commune ; le seuil du caractère exceptionnel du STECAL n’a pas été précisé par la jurisprudence ; le règlement de cette zone vise, conformément à l’article L. 123-1-5 du code de l’urbanisme, à assurer le maintien du caractère naturel, agricole ou forestier de la zone ; l’avis simple de la CDCEA a été recueilli ; il a été tenu compte de cet avis par une réduction de 42 % du périmètre de la zone qui est passé de 1,02 ha à 0,59 ha et par la modification de la réglementation qu’elle a prévu d’y appliquer ;
– c’est à tort que le préfet a repris à son compte le second avis de la CDCEA qui nie la nécessité d’une présence permanente et rapprochée sur site des agriculteurs du GAEC Jérémie alors que ce GAEC, qui est une des dernières entreprises agricoles de la commune, est en grande précarité et que les exploitants, à la suite d’un partage familial, doivent aller habiter à plusieurs kilomètres de leurs bâtiments agricoles ; le commissaire enquêteur, a admis la pertinence de la création du secteur Ac qui favorise la limitation de la consommation agricole ; le syndicat mixte du SCOT a abondé en ce sens ; la création de ce STECAL répond aux objectifs du SCOT de protection des espaces agricoles ; de même la chambre d’agriculture a également émis un avis favorable à condition d’une réduction de la surface, ce qui a été fait ; le préfet a donc entaché sa décision d’une erreur d’appréciation ; le projet de STECAL est par ailleurs conforme aux objectifs du PADD, qui visent à conforter la place de l’agriculture et à favoriser un développement économique corrélatif cohérent ;
– la loi ALUR ne précise pas la nature des constructions possibles dans un STECAL ; la réponse ministérielle n° 49690 JOAN du 3 juin 2014, p. 4582, indique que » la construction d’habitations non nécessaires à l’activité agricole peut être autorisée par le plan local d’urbanisme dans les secteurs de taille et de capacité limitées des zones agricoles » ; la création du STECAL procède d’une volonté de pérenniser et de dynamiser l’activité agricole sur le territoire communal que la seule application de l’article R. 123-7 du code de l’urbanisme en zone A ne suffirait pas à satisfaire ;
– contrairement à ce que soutient le préfet, l’objectif de la loi ALUR de lutte contre l’étalement urbain et de réduction de consommation des espaces agricoles n’est pas méconnu dès lors que l’objectif visé est la pérennité de l’activité agricole ; le préfet ne peut donc pas se prévaloir de la violation de l’article L. 101-2 du code de l’urbanisme.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 mai 2017, le préfet de la Haute-Garonne conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
– la requête est tardive ;
– la création d’un STECAL doit respecter les conditions posées par l’article L. 123-1-5 du code de l’urbanisme ; ainsi que l’a précisé la réponse ministérielle publiée dans le JO Sénat du 11/12/2014 page 2764, la création des STECAL, conformément à l’intention du législateur doit demeurer exceptionnelle et ce afin d’éviter le mitage des espaces qu’il convient de protéger de l’urbanisation ;
– la nécessité d’une présence permanente et rapprochée des agriculteurs sur le site n’est pas démontrée et la seule pérennité de l’activité sur la commune ne saurait légitimer la création de ce secteur ; l’application de l’article R 151-23 du code de l’urbanisme en zone A suffit à permettre les constructions nécessaires à l’exploitation agricole et à l’habitation des exploitants ; la loi ALUR autorise des constructions mais il ne peut s’agir de la construction de simples maisons individuelles au sein des espaces agricoles sans justification ;
– la création du STECAL méconnaît l’article L. 121-2 du code de l’urbanisme (article L. 101-2 nouveau) relatif à l’utilisation économe des espaces dès lors qu’elle est de nature à créer du mitage au sein de la zone agricole ; elle vise en effet uniquement à permettre la création de trois logements individuels dans un vaste secteur agricole cultivé.
Par ordonnance du 9 avril 2018 la clôture d’instruction a été fixée au 25 avril 2018 à 12h00.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
– le code de l’urbanisme ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme Elisabeth Jayat,
– les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville, rapporteur public,
– et les observations de Me A…, représentant la commune de Lapeyrouse-Fossat.
Considérant ce qui suit :
1. Le conseil municipal de la commune de Lapeyrouse-Fossat (Haute-Garonne) a, par délibération du 6 mai 2015, approuvé la révision du plan local d’urbanisme de la commune. Dans le cadre du contrôle de légalité, le préfet de la Haute-Garonne, par courrier du 24 juin 2015, a demandé au maire d’inviter son assemblée délibérante à retirer la délibération au principal motif que la création en zone agricole d’un secteur de taille et de capacité d’accueil limitées (STECAL) référencé Ac, ne paraissait pas justifiée. Par courrier du 24 juillet 2015, le maire de Lapeyrouse-Fossat a opposé un refus à cette demande. Le préfet de la Haute-Garonne a déféré au tribunal administratif de Toulouse la délibération du 6 mai 2015 en tant qu’elle crée ce STECAL au sein d’une zone agricole. La commune relève appel du jugement du 2 décembre 2016 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a annulé la délibération de son conseil municipal approuvant la révision du plan local d’urbanisme en tant qu’elle porte sur la création de ce secteur.
Sur la fin de non-recevoir opposée à la requête :
2. Il ressort des pièces du dossier que le jugement attaqué a été notifié le 6 décembre 2016 à la commune, laquelle a introduit sa requête d’appel le 7 février 2017, soit dans le délai de recours contentieux. La fin de non-recevoir opposée par le préfet de la Haute-Garonne, tirée de la tardiveté de la requête d’appel, doit, par suite, être écartée.
Sur le fond du litige :
3. Aux termes de l’article L. 123-1-5 du code de l’urbanisme applicable en l’espèce : » (…) II. Le règlement peut fixer les règles suivantes relatives à l’usage des sols et la destination des constructions : (…) 6° A titre exceptionnel, délimiter dans les zones naturelles, agricoles ou forestières des secteurs de taille et de capacité d’accueil limitées dans lesquels peuvent être autorisées : 1° des constructions (…) Le règlement précise les conditions de hauteur, d’implantation et de densité des constructions permettant d’assurer leur insertion dans l’environnement et leur compatibilité avec le maintien du caractère naturel agricole ou forestier de la zone (…) Ces secteurs sont délimités après avis de la commission départementale de la préservation des espaces naturels agricoles et forestiers (…) « .
4. Il résulte de ces dispositions, notamment éclairées par les travaux préparatoires à la loi du 24 mars 2014 pour l’accès du logement et un urbanisme rénové dont est issue la rédaction du texte applicable en l’espèce, que le législateur a entendu notamment autoriser à titre exceptionnel dans les zones agricoles la délimitation de sous-secteurs en nombre et en superficie restreints dans lesquels des constructions sont autorisées, en vue de favoriser l’entretien du bâti ou la construction de bâtiments non strictement liés à l’activité agricole, dans l’intérêt de la vocation agricole des lieux environnants.
5. Il ressort des pièces du dossier que la création du secteur litigieux a pour but d’aider trois agriculteurs à maintenir le siège de leur exploitation dans la commune en leur permettant d’y installer leurs habitations. Sa finalité principale est ainsi de favoriser la vocation agricole de la zone. Dès lors, compte tenu de ce qui a été dit au point 4 ci-dessus, c’est à tort que le tribunal, pour prononcer l’annulation de l’acte déféré, s’est fondé sur le motif tiré de ce que l’objectif d' » affirmation du caractère rural de la commune en aidant de jeunes agriculteurs à s’y maintenir » n’était pas de nature à justifier » la création d’un îlot constructible dans un vaste ensemble agricole « .
6. Il appartient à la cour, saisie de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens invoqués par le préfet de la Haute-Garonne.
7. La révision du plan local d’urbanisme de la commune de Lapeyrouse-Fossat porte notamment sur la création contestée, en zone agricole, d’un secteur Ac dans lequel sont admises notamment les constructions et installations nécessaires à l’exploitation agricole ainsi que les constructions à usage d’habitation liées à l’activité agricole et les annexes à l’habitation.
8. Pour justifier la création de ce secteur, d’une superficie de 0,59 hectare et situé dans la continuité du bâti existant, la commune invoque dans le rapport de présentation du document d’urbanisme un objectif de pérennisation de l’activité agricole dans la commune. Il est en particulier exposé que le secteur est destiné à accueillir les trois habitations des associés d’un groupement agricole d’exploitation en commun exploitant 180 hectares sur le territoire de la commune, soit plus du tiers des espaces agricoles de cette commune qui, à la suite d’un partage familial, sont contraints de quitter leurs habitations actuelles et de déplacer le siège actuel de l’exploitation. Il est également indiqué que la création de ce secteur permettra de maintenir le siège de l’exploitation dans la commune. Alors même que la création du secteur ne serait pas indispensable à la pérennité de l’exploitation de ces agriculteurs, l’objectif de favoriser la situation d’agriculteurs en les aidant à maintenir leurs habitations et le siège de leur exploitation dans la commune est de nature à renforcer la vocation agricole des lieux et, par suite, à justifier la création de ce secteur. La circonstance qu’un permis de construire a été sollicité par un pétitionnaire dans ce secteur pour un projet n’ayant aucun lien avec l’exploitation agricole n’est pas de nature à traduire un détournement de pouvoir dès lors en particulier que le règlement du secteur en litige précise qu’il ne pourra accueillir que des constructions à usage d’habitation liées à l’activité agricole.
9. Il ne résulte d’aucune pièce du dossier, alors que ce secteur est le seul secteur de ce type créé lors de la révision approuvée le 6 mai 2015, que la commune comporterait un nombre important de secteurs de taille et de capacité d’accueil limitées. Le règlement de la zone prévoit notamment dans ce secteur, en plus des prescriptions applicables à l’ensemble de la zone, que les habitations liées à l’exploitation agricole sont limitées à 150 m² de surface de plancher par unité foncière, que leurs annexes, qui devront être implantées à 30 mètres au moins de la construction principale, sont limitées à une emprise au sol de 30 m², qu’un seul accès sécurisé à la route départementale 61 sera autorisé pour le secteur, que l’emprise au sol est limitée à 10 %, qu’au moins 65 % de l’unité foncière doit être maintenu en espace végétalisé et qu’en limite avec la zone agricole, des plantations denses et diversifiées devront composer un écrin végétal autour de la zone urbanisée. Dans ces circonstances, et alors même que la commission départementale de consommation des espaces agricoles a émis un avis défavorable, la création de ce secteur d’une superficie restreinte, en continuité du bâti existant, qui doit être regardée comme présentant un caractère exceptionnel, dans lequel s’appliquent des règles dont il n’est pas contesté qu’elles permettent d’assurer l’insertion des constructions dans l’environnement et leur compatibilité avec le maintien du caractère agricole de la zone, ne procède ni d’une erreur de droit ni d’une inexacte application des dispositions précitées de l’article L. 123-1-5 du code de l’urbanisme.
10. Comme il a été précédemment indiqué, le règlement applicable à la zone prévoit que le secteur Ac peut accueillir, notamment, non seulement les constructions et installations nécessaires à l’exploitation agricole mais également les constructions à usage d’habitation liées à l’activité agricole ainsi que les annexes à l’habitation. Ainsi, si les constructions nécessaires à l’exploitation agricole sont déjà admises en zone agricole par application de l’article R. 123-7 du code de l’urbanisme en vigueur à la date de l’acte attaqué, ces dispositions, qui ne permettent pas les constructions qui, sans être nécessaires à l’activité agricole lui sont simplement liées, ne privent pas d’intérêt la création du secteur Ac, contrairement à ce que soutient le préfet de la Haute-Garonne. Contrairement à ce que soutient également le préfet, aucune disposition ni aucun principe ne subordonne la création des secteurs de taille et de capacité d’accueil limitées en zone agricole à la condition qu’ils soient destinés à accueillir des constructions nécessaires à l’exploitation agricole. Si la commune ne justifie pas de ce que la création du secteur Ac est destinée à accueillir des constructions nécessaires à l’exploitation agricole, cette circonstance est sans influence sur la légalité de cette création.
11. En application de l’article L. 121-1 du code de l’urbanisme, que le préfet doit être regardé comme ayant entendu invoquer, les plans locaux d’urbanisme » déterminent les conditions permettant d’assurer, dans le respect des objectifs du développement durable : 1° L’équilibre entre : a) Le renouvellement urbain, le développement urbain maîtrisé, la restructuration des espaces urbanisés, la revitalisation des centres urbains et ruraux ; b) L’utilisation économe des espaces naturels, la préservation des espaces affectés aux activités agricoles et forestières, et la protection des sites, des milieux et paysages naturels (…) « . Dès lors que, comme il a été dit précédemment, la création en zone agricole d’un secteur de taille et de capacité d’accueil limitées à Lapeyrouse-Fossat doit être regardée comme exceptionnelle, le plan local d’urbanisme n’est pas, du seul fait de cette création, incompatible avec les objectifs fixés par ces dispositions.
12. Il résulte de tout ce qui précède que c’est à tort que le tribunal, par le jugement attaqué, a prononcé l’annulation de la délibération du conseil municipal de Lapeyrouse-Fossat approuvant la révision du plan local d’urbanisme en tant qu’elle porte sur la création du secteur Ac.
Sur l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l’Etat le versement à la commune de Lapeyrouse-Fossat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 2 décembre 2016 est annulé.
Article 2 : Le déféré du préfet de la Haute-Garonne présenté devant le tribunal administratif de Toulouse est rejeté.
Article 3 : L’Etat versera à la commune de Lapeyrouse-Fossat une somme de 1 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Lapeyrouse-Fossat et au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Copie en sera transmise pour information au préfet de la Haute-Garonne.
Délibéré après l’audience du 4 décembre 2018 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, président,
M. Frédéric Faïck, premier conseiller,
Mme Florence Madelaigue, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 18 décembre 2018.
Le premier assesseur,
Frédéric Faïck
Le président,
Elisabeth Jayat
Le greffier,
Florence Deligey
La République mande et ordonne au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution du présent arrêt. Pour expédition certifiée conforme.
N° 17BX003016