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Permis de construire : peut-on légalement délivrer un permis modificatif de régularisation après les travaux ?

Conseil d’État 

N° 392998    
Publié au recueil Lebon
6ème – 1ère chambres réunies
Mme Laurence Franceschini, rapporteur
Mme Suzanne von Coester, rapporteur public
SCP WAQUET, FARGE, HAZAN ; SCP CELICE, SOLTNER, TEXIDOR, PERIER ; SCP MARLANGE DE LA BURGADE, avocats

lecture du mercredi 22 février 2017

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Mme E…C…, Mme D…B…et M. A…C…ont demandé au tribunal administratif de Basse-Terre d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du 18 décembre 2007 du maire de Baie-Mahault délivrant un permis de construire à la SCI Kefras.

Par un jugement n° 0800091 du 20 septembre 2012, le tribunal administratif de Basse-Terre a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 12BX02902 du 12 juin 2014, la cour administrative d’appel de Bordeaux a décidé, en application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, de surseoir à statuer sur la requête dont elle était saisie et d’impartir à la société pétitionnaire un délai de trois mois aux fins d’obtenir la régularisation du permis de construire initialement délivré. Par un arrêt du 9 juillet 2015, sous le même numéro, la cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté l’appel formé par Mme C…et autres contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 26 août 2015, 25 novembre 2015 et 9 décembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, Mme C…et autres demandent au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt du 9 juillet 2015 ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à leur appel ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Baie-Mahault la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code de l’urbanisme ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Laurence Franceschini, conseiller d’Etat,

– les conclusions de Mme Suzanne von Coester, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de Mme C…et autres, et à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la commune de Baie-Mahault ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 26 janvier 2017, présentée par Mme C… et autres ;

1. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 18 décembre 2007, le maire de Baie-Mahault (Guadeloupe) a délivré un permis de construire à la SCI Kefras en vue de l’édification d’un immeuble de bureaux et de commerces ; que, par un jugement du 20 septembre 2012, le tribunal administratif de Basse-Terre a rejeté la demande de Mme C…et autres tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de ce permis ; que, par un premier arrêt du 12 juin 2014, la cour administrative d’appel de Bordeaux a jugé que le permis attaqué était entaché de vices tenant à l’insuffisance du dossier de demande de permis de construire, mais que ces vices étaient susceptibles de régularisation par la délivrance d’un permis de construire modificatif ; qu’après avoir écarté les autres moyens soulevés par les requérants, elle a décidé, en application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, de surseoir à statuer et d’impartir à la société pétitionnaire un délai de trois mois aux fins d’obtenir la régularisation du permis de construire initialement délivré ; que le maire de Baie-Mahault a délivré le 5 août 2014 un permis de construire modificatif à la SCI Kefras ; que, par un deuxième arrêt du 9 juillet 2015, contre lequel les requérants se pourvoient en cassation, la cour administrative d’appel de Bordeaux a jugé que le permis initial avait été régularisé par ce permis de construire modificatif et a, en conséquence, rejeté l’appel des intéressés ;

2. Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme :  » Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice entraînant l’illégalité de cet acte est susceptible d’être régularisé par un permis modificatif peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation. Si un tel permis modificatif est notifié dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations  » ; qu’il appartient au juge d’appel, lorsqu’il a sursis à statuer en application de ces dispositions, de se prononcer directement sur la légalité du permis de construire modificatif délivré à fin de régularisation ;

3. Considérant que les dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme ont pour objet de permettre au juge administratif de surseoir à statuer sur une demande d’annulation d’un permis de construire lorsque le vice entraînant l’illégalité de ce permis est susceptible d’être régularisé ; qu’elles ne subordonnent pas, par principe, cette faculté de régularisation à la condition que les travaux autorisés par le permis de construire initial n’aient pas été achevés ; qu’il appartient au juge administratif, pour faire usage des pouvoirs qui lui sont ainsi dévolus, d’apprécier si, eu égard à la nature et à la portée du vice entraînant son illégalité, cette régularisation est possible ; que, par suite, en jugeant, que les requérants ne pouvaient utilement se prévaloir, pour contester la légalité de la régularisation, de la seule circonstance que la construction objet du permis contesté aurait été achevée, la cour n’a pas commis d’erreur de droit ;

4. Considérant, en deuxième lieu, que, dans leur troisième mémoire du 13 février 2015, Mme C…et autres ont soutenu que des informations figurant au dossier du pétitionnaire concernant la distance de la construction par rapport aux limites séparatives étaient erronées, que le pétitionnaire avait trompé sur ce point le service instructeur et que le permis de construire avait ainsi été frauduleusement obtenu ; que, si elle n’a pas expressément écarté l’existence d’une fraude, en relevant, au terme d’une analyse circonstanciée, que l’administration avait pu apprécier, compte tenu des éléments dont elle disposait, la consistance du projet et que les règles de distance avaient été respectées, la cour a nécessairement entendu répondre à cette argumentation et ainsi mis à même le juge de cassation d’exercer le contrôle de légalité qui lui appartient ; que le moyen tiré d’une insuffisance de motivation ne peut être accueilli ;

5. Considérant, en troisième lieu, qu’aux termes de l’article R. 431-23 du même code, dans sa rédaction alors applicable :  » Lorsque les travaux projetés portent sur une construction à édifier dans une zone d’aménagement concerté, la demande est accompagnée : / a) Lorsque le terrain a fait l’objet d’une cession, location ou concession d’usage consentie par l’aménageur de la zone, d’une copie de celles des dispositions du cahier des charges de cession de terrain qui indiquent le nombre de mètres carrés de surface de plancher dont la construction est autorisée sur la parcelle cédée ainsi que, si elles existent, de celles des dispositions du cahier des charges qui fixent des prescriptions techniques, urbanistiques et architecturales imposées pour la durée de la réalisation de la zone (…)  » ; qu’en jugeant que, dans les circonstances de l’espèce, le service instructeur, gestionnaire de la zone d’aménagement, avait pu s’assurer de la conformité du projet de construction au plan de la zone, s’agissant notamment du respect du coefficient d’occupation ses sols, nonobstant la circonstance que le cahier des charges de cession du terrain n’avait pas été joint au permis de construire délivré ainsi que le prévoient les dispositions de l’article R. 431-33, la cour a porté une appréciation souveraine sur les pièces du dossier, qui est exempte de dénaturation, et n’a pas entaché son arrêt d’une erreur de droit ;

6. Considérant, en quatrième lieu, qu’aux termes de l’article R. 431-8 du code de l’urbanisme :  » Le projet architectural comprend une notice précisant : / 1° L’état initial du terrain et de ses abords indiquant, s’il y a lieu, les constructions, la végétation et les éléments paysagers existants ; / 2° Les partis retenus pour assurer l’insertion du projet dans son environnement et la prise en compte des paysages, faisant apparaître, en fonction des caractéristiques du projet : / a) L’aménagement du terrain, en indiquant ce qui est modifié ou supprimé ; / b) L’implantation, l’organisation, la composition et le volume des constructions nouvelles, notamment par rapport aux constructions ou paysages avoisinants ; / c) Le traitement des constructions, clôtures, végétations ou aménagements situés en limite de terrain ; / d) Les matériaux et les couleurs des constructions ; / e) Le traitement des espaces libres, notamment les plantations à conserver ou à créer ; / f) L’organisation et l’aménagement des accès au terrain, aux constructions et aux aires de stationnement  » ; qu’en jugeant que, compte tenu de la notice explicative jointe à la demande de permis de construire modificatif qui décrivait l’état initial du terrain et ses abords ainsi que les éléments paysagers existants, et des photographies qui l’accompagnaient, montrant le bâtiment et son environnement proche et lointain, le dossier du pétitionnaire était suffisant pour permettre à l’autorité administrative d’apprécier l’insertion du projet dans son environnement et écarter, en conséquence, le moyen tiré de la méconnaissance de l’article R. 431-8, la cour a, sans les dénaturer, porté une appréciation souveraine sur les pièces du dossier et n’a pas entaché son arrêt d’erreur de droit ;

7. Considérant, en cinquième lieu, qu’aux termes de l’article R. 431-9 du code de l’urbanisme :  » Le projet architectural comprend également un plan de masse des constructions à édifier ou à modifier coté dans les trois dimensions. Ce plan de masse fait apparaître les travaux extérieurs aux constructions, les plantations maintenues, supprimées ou créées et, le cas échéant, les constructions existantes dont le maintien est prévu. / Il indique également, le cas échéant, les modalités selon lesquelles les bâtiments ou ouvrages seront raccordés aux réseaux publics ou, à défaut d’équipements publics, les équipements privés prévus, notamment pour l’alimentation en eau et l’assainissement (…)  » ; que l’article ZA4 du plan de zone dispose :  » (…) 5. L’écoulement et/ou le captage des eaux pluviales sur la parcelle s’effectueront dans des conditions qui ne nuisent pas aux parcelles voisines en accord avec les aménagements collectifs prévus à cet effet dans le programme de travaux de viabilisation (…)  » ; qu’en relevant, pour écarter le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions, qu’il ressortait des pièces du dossier que le pétitionnaire avait joint au dossier de demande de permis de construire modificatif un plan de masse et une notice précisant les modalités du raccordement de la construction aux réseaux et le traitement prévu des eaux pluviales, dont il était indiqué qu’elles seraient acheminées aux réseaux publics d’égout et que, dans ces conditions, le dossier de demande de permis de construire ainsi modifié était suffisant et permettait d’apprécier la conformité du projet à la règlementation applicable dans la zone d’aménagement concerté, la cour la cour a, sans les dénaturer, porté une appréciation souveraine sur les pièces du dossier et n’a pas entaché son arrêt d’erreur de droit ;

8. Considérant, en sixième lieu, que l’article ZA7 du règlement de la zone d’aménagement concerté impose aux constructions une distance minimale de 4 mètres par rapport aux limites séparatives ; qu’en estimant que cette règle était respectée, compte tenu notamment du plan de masse et d’implantation fourni à l’appui de la demande de permis de construire modificatif, qui mentionnait une distance de 4,22 m, alors même que les plans joints au dossier comportaient des indications de distance contradictoires, la cour a porté une appréciation souveraine sur les pièces du dossier, qui est exempte de dénaturation, et n’a pas entaché son arrêt d’une erreur de droit ;

9. Considérant, en septième lieu, qu’en relevant que, eu égard à son caractère non substantiel, la modification de la distance aux limites séparatives de la construction avait pu être légalement opérée par le permis de construire modificatif, la cour a, sans les dénaturer, porté une appréciation souveraine sur les pièces du dossier et n’a pas entaché son arrêt d’erreur de droit ;

10. Considérant, en dernier lieu, qu’en relevant que la légalité du permis devait être appréciée en tenant compte des modifications dont il a fait l’objet par l’arrêté du 5 août 2014 et en en déduisant, au vu de cet arrêté, que les moyens tirés de ce que le permis de construire du 18 décembre 2007 avait été délivré au vu d’un dossier insuffisant ne pouvaient qu’être écartés, la cour s’est également livrée à une appréciation souveraine sur les pièces du dossier, qui est exempte de dénaturation, et n’a pas entaché son arrêt d’erreur de droit ;

11. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que Mme C…et autres ne sont pas fondés à demander l’annulation de l’arrêt qu’ils attaquent ;

12. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce soit mise à la charge de la commune de Baie-Mahault, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demandent Mme C…et autres au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ; qu’il n’y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la commune de Baie-Mahaut et par la SCI Kefras au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :
————–
Article 1er : Le pourvoi de Mme C…et autres est rejeté.
Article 2 : Les conclusions présentées par la commune de Baie-Mahaut et la SCI Kefras au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme E…C…, premier requérant dénommé, à la commune de Baie-Mahault et à la SCI Kefras. Les autres requérants seront informés de la présente décision par la SCP Marlange, de la Burgade, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, qui les représente devant le Conseil d’Etat.
Copie en sera adressée à la ministre du logement et de l’habitat durable.

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