Conseil d’État
N° 344710
ECLI:FR:CESSR:2012:344710.20120713
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
6ème et 1ère sous-sections réunies
M. Jacques Arrighi de Casanova, président
M. Didier Ribes, rapporteur
M. Xavier de Lesquen, rapporteur public
SCP GATINEAU, FATTACCINI ; FOUSSARD, avocats
lecture du vendredi 13 juillet 2012
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Texte intégral
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 3 décembre 2010 et 3 mars 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, présentés pour Mme Anne-Marie C, demeurant … ; Mme C demande au Conseil d’État :
1°) d’annuler l’arrêt n° 10DA00033 du 30 septembre 2010 par lequel la cour administrative d’appel de Douai a annulé, sur la requête de M. et Mme Lemaître, le jugement n° 0702954 du 6 novembre 2009 du tribunal administratif de Rouen et l’arrêté du 15 septembre 2007 par lequel le maire de Saint-Thurien a, au nom de l’État, délivré à Mme C un permis de construire un bâtiment agricole ;
2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter l’appel de M. et Mme Lemaître ;
3°) de mettre à la charge de M. et Mme Lemaître le versement d’une somme de 4 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code rural et de la pêche maritime ;
Vu le code de l’urbanisme ;
Vu le règlement sanitaire départemental de l’Eure ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Didier Ribes, Maître des Requêtes,
– les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini, avocat de Mme C et de Me Foussard, avocat de M. et Mme A
– les conclusions de M. Xavier de Lesquen, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Gatineau, Fattaccini, avocat de Mme C et à Me Foussard, avocat de M. et Mme A ;
1. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le maire de Saint-Thurien (Eure) a, par un arrêté du 15 septembre 2007 pris au nom de l’Etat, délivré à Mme C un permis de construire un bâtiment à usage agricole de 84 m2 de superficie destiné, selon les termes de la demande, au stockage de fourrage pour les bovins ; que, par un jugement du 6 novembre 2009, le tribunal administratif de Rouen a rejeté la demande de M. et Mme Lemaître, propriétaires voisins du bâtiment litigieux, tendant à l’annulation de cet arrêté ; que par un arrêt du 30 septembre 2010, contre lequel Mme C se pourvoit en cassation, la cour administrative d’appel de Douai a annulé ce jugement et cet arrêté ;
2. Considérant qu’en vertu des règles générales énoncées à l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme, le projet soumis à permis de construire peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales s’il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait notamment de son implantation à proximité d’autres installations ; que ces dispositions étaient, pour le département de l’Eure, précisées par l’article 153-4 du règlement sanitaire départemental alors applicable, qui imposait que les bâtiments renfermant des élevages de bovins ne soient pas implantés à moins de 50 mètres des immeubles habités ou habituellement occupés par des tiers ;
3. Considérant qu’un permis de construire n’a pas d’autre objet que d’autoriser des constructions conformes aux plans et indications fournis par le pétitionnaire ; que la circonstance que ces plans et indications pourraient ne pas être respectés ou que ces constructions risqueraient d’être ultérieurement transformées ou affectées à un usage non-conforme aux documents et aux règles générales d’urbanisme n’est pas par elle-même, sauf le cas d’éléments établissant l’existence d’une fraude à la date de la délivrance du permis, de nature à affecter la légalité de celui-ci ; que la survenance d’une telle situation après la délivrance du permis peut conduire le juge pénal à faire application des dispositions répressives de l’article L. 480-4 du code de l’urbanisme ; qu’en revanche, elle est dépourvue d’incidence sur la légalité du permis de construire, sans qu’il soit besoin pour le juge administratif de rechercher l’existence d’une fraude ;
4. Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’en se fondant, pour annuler le permis litigieux, sur les motifs tirés de ce que son bénéficiaire aurait d’emblée donné à la construction litigieuse un usage autre que celui pour lequel l’autorisation avait été accordée et de ce que la demande de permis n’aurait ainsi été présentée qu’afin d’échapper aux prescriptions de l’article 153-4 du règlement sanitaire départemental, la cour a entaché son arrêt d’une erreur de droit ; que, par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, Mme C est fondée à demander l’annulation de l’arrêt attaqué ;
5. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de M. et Mme Lemaître le versement à Mme C de la somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; que les mêmes dispositions font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de Mme C qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;
D E C I D E :
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Article 1er : L’arrêt du 30 septembre 2010 de la cour administrative d’appel de Douai est annulé.
Article 2 : L’affaire est renvoyée à la cour administrative d’appel de Douai.
Article 3 : M. et Mme Lemaître verseront à Mme C la somme de 3 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par M. et Mme Lemaître au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme Anne-Marie C, à M. et Mme Pierre Lemaître et à la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.
Copie en sera adressée pour information à la commune de Saint-Thurien.