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Permis de construire : est-il possible de régulariser un permis de construire en sollicitant des adaptations mineures (au PLU) ?

Conseil d’État, 6ème – 5ème chambres réunies, 17/12/2020, 432561

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

La société civile de construction vente (SCCV) Lapeyre a demandé au tribunal administratif de Poitiers d’annuler pour excès de pouvoir les arrêtés des 18 juillet 2016 et 3 janvier 2017 par lesquels le maire de La Rochelle a délivré à la société BC Promotion un permis de construire une résidence pour étudiants, comportant 67 unités d’hébergement, au 49, boulevard Joffre, et un permis de construire modificatif relatif à l’apposition d’une oeuvre de  » street art  » sur l’un des murs pignon de la construction, ainsi que les décisions des 18 novembre 2016 et 26 avril 2017 rejetant ses recours gracieux contre ces arrêtés.

Par un premier jugement nos 1700116, 1701522 du 5 juillet 2018, le tribunal administratif a, en application des dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, sursis à statuer sur ces demandes afin de permettre à la société BC Promotion d’obtenir un permis de construire propre à assurer la conformité de l’implantation de la construction projetée aux dispositions de l’article UC+7 du règlement du plan local d’urbanisme de la commune de La Rochelle.

Par arrêté du 22 juin 2018, le maire de La Rochelle a délivré un permis modificatif à la société BC Promotion, dont la société Lapeyre a également demandé l’annulation pour excès de pouvoir. Par arrêté du 16 novembre 2018, le maire de La Rochelle a délivré un nouveau permis modificatif à la société BC Promotion, notamment sur le fondement des dispositions de l’article L. 152-6 du code de l’urbanisme.

Par un second jugement nos 1700116, 1701522, 1803007 du 28 mars 2019, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté les demandes de la société Lapeyre dirigées contre les arrêtés des 18 juillet 2016 et 3 janvier 2017 et dit qu’il n’y avait plus lieu de statuer sur la demande dirigée contre l’arrêté du 22 juin 2018.

Par une ordonnance n° 19BX02262 du 28 juin 2019, le président de la cour administrative d’appel de Bordeaux a transmis au Conseil d’Etat, en application de l’article R. 351-2 du code de justice administrative, le pourvoi, enregistré le 30 mai 2019, présenté par la société Lapeyre contre ce jugement.

Par ce pourvoi, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 1er octobre 2019 et 1er juillet 2020, au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la société Lapeyre demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler le jugement du 28 mars 2019 du tribunal administratif de Poitiers ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à ses demandes ;

3°) de mettre à la charge de la commune de La Rochelle et la société BC Promotion la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

 

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code de l’urbanisme ;
– le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme B… A…, maître des requêtes,

– les conclusions de M. Olivier Fuchs, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de la SCCV Lapeyre, à la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, Sebagh, avocat de la commune de La Rochelle et à la SCP L. Poulet, Odent, avocat de la société BC Promotion ;

 

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 18 juillet 2016, le maire de La Rochelle a délivré à la société BC Promotion un permis de construire en vue de la réalisation d’une résidence pour étudiants comportant 67 logements. Par un arrêté du 3 janvier 2017, le maire a délivré à la société un permis de construire modificatif autorisant l’apposition d’une oeuvre d’art urbain sur l’un des murs pignon de la construction, puis, par un arrêté du 22 juin 2018, un permis de construire modificatif procédant à la réduction du volume du dernier niveau de la construction projetée. Par un jugement du 5 juillet 2018, le tribunal administratif de Poitiers a, en application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, sursis à statuer sur les requêtes présentées par la société Lapeyre aux fins d’annulation pour excès de pouvoir du permis de construire et du premier permis de construire modificatif et accordé à la société BC Promotion un délai de deux mois pour obtenir un permis régularisant le vice tiré de la méconnaissance de l’article UC+7 du règlement du plan local d’urbanisme de la commune. A la suite de ce jugement, le maire a, par un arrêté du 16 novembre 2018, délivré un nouveau permis de construire modificatif à la société BC Promotion lui accordant une dérogation aux dispositions de l’article UC+7 du règlement d’un plan local d’urbanisme sur le fondement des dispositions de l’article L. 152-6 du code de l’urbanisme et procédant au rétablissement de la construction projetée dans son volume initial. La société Lapeyre se pourvoit en cassation contre le jugement du tribunal administratif de Poitier du 28 mars 2019 qui a rejeté ses conclusions aux fins d’annulation dirigées contre les arrêtés des 18 juillet 2016 et 3 janvier 2017 et dit qu’il n’y avait plus lieu de statuer contre celles dirigées contre l’arrêté du 22 juin 2018.

Sur la compétence du Conseil d’Etat :

2. Aux termes de l’article R. 811-1-1 du code de justice administrative :  » Les tribunaux administratifs statuent en premier et dernier ressort sur les recours contre les permis de construire ou de démolir un bâtiment à usage principal d’habitation ou contre les permis d’aménager un lotissement lorsque le bâtiment ou le lotissement est implanté en tout ou partie sur le territoire d’une des communes mentionnées à l’article 232 du code général des impôts et son décret d’application à l’exception des permis afférents aux opérations d’urbanisme et d’aménagement des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 mentionnées au 5o de l’article R. 311-2. / Les dispositions du présent article s’appliquent aux recours introduits entre le 1er décembre 2013 et le 31 décembre 2022 « .

3. Ces dispositions ont pour objectif, dans les zones où la tension entre l’offre et la demande de logements est importante, de réduire le délai des recours contentieux afin d’accélérer la réalisation d’opérations de construction de logements.

4. D’une part, la commune de La Rochelle figure sur la liste annexée au décret du 10 mai 2013 relatif au champ d’application de la taxe annuelle sur les logements vacants instituée par l’article 232 du code général des impôts. D’autre part, les demandes de la société Lapeyre ont été introduites devant le tribunal administratif de Poitiers postérieurement au 1er décembre 2013. Enfin, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les permis de construire litigieux ont pour objet la construction d’une résidence pour étudiants, qui doit être regardée comme ayant le caractère d’un bâtiment à usage principal d’habitation au sens des dispositions de l’article R. 811-1-1 du code de justice administrative.

5. Il résulte de ce qui précède que le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 28 mars 2019 a été rendu en dernier ressort. Par suite, le recours formé par la société Lapeyre contre ce jugement présente le caractère d’un pourvoi en cassation qui relève de la compétence du Conseil d’Etat.

Sur le pourvoi :

6. Aux termes de l’article L. 152-6 du code de l’urbanisme dans sa rédaction applicable en l’espèce :  » Dans les communes appartenant à une zone d’urbanisation continue de plus de 50 000 habitants figurant sur la liste prévue à l’article 232 du code général des impôts et dans les communes de plus de 15 000 habitants en forte croissance démographique figurant sur la liste prévue au dernier alinéa du II de l’article L. 302-5 du code de la construction et de l’habitation, il peut être autorisé des dérogations au règlement du plan local d’urbanisme ou du document en tenant lieu, dans les conditions et selon les modalités définies au présent article. / En tenant compte de la nature du projet et de la zone d’implantation dans un objectif de mixité sociale, l’autorité compétente pour délivrer le permis de construire peut, par décision motivée : (…) / 5° Déroger aux règles de retrait fixant une distance minimale par rapport aux limites séparatives, dans des conditions précisées par décret en Conseil d’Etat, pour autoriser une construction destinée principalement à l’habitation, sous réserve que le projet s’intègre harmonieusement dans le milieu urbain environnant. / (…) « .

7. En premier lieu, le tribunal administratif n’a pas commis d’erreur de droit en recherchant, pour écarter le moyen tiré du caractère incomplet du dossier de demande de permis, si les éléments du dossier de demande étaient de nature à permettre au service instructeur d’apprécier si le projet s’intégrait de manière harmonieuse dans le milieu urbain environnant. En estimant que les éléments du dossier étaient en l’espèce suffisants, le tribunal s’est livré, sans dénaturation, à une appréciation souveraine des pièces du dossier et a suffisamment motivé sa décision.

8. En deuxième lieu, aux termes de l’article R. 151-28 du code de l’urbanisme dans sa rédaction applicable à la date de la mesure de régularisation en cause :  » Les destinations de constructions prévues à l’article R. 151-27 comprennent les sous-destinations suivantes : (…) / 2° Pour la destination  » habitation  » : logement, hébergement ; (…) / 3° Pour la destination  » commerce et activités de service  » : (…) activités de service où s’effectue l’accueil d’une clientèle, cinéma, hôtels, autres hébergements touristiques ; (…) « . Par ailleurs, en vertu de l’article 2 de l’arrêté du 10 novembre 2016 pris pour l’application de ces dispositions, la sous-destination  » hébergement « , mentionnée à l’article R. 151-28 du code de l’urbanisme,  » recouvre les constructions destinées à l’hébergement dans des résidences ou foyers avec service. Cette sous-destination recouvre notamment les maisons de retraite, les résidences universitaires, les foyers de travailleurs et les résidences autonomie « . En jugeant que la construction projetée, consistant en une résidence pour étudiants comportant 67 logements, constituait une construction destinée principalement à l’habitation au sens du 5° de l’article L. 152-6 du code de l’urbanisme, le tribunal administratif, qui n’a pas commis d’erreur de droit en se référant à la classification opérée par l’article R. 151-28 du code de l’urbanisme et a suffisamment motivé son jugement, s’est livré à une appréciation souveraine des faits de l’espèce, exempte de dénaturation.

9. En troisième lieu, il résulte des dispositions de l’article L. 152-6 du code de l’urbanisme que le respect de l’objectif de mixité sociale auquel est subordonnée la dérogation qu’elles permettent doit être apprécié tant au regard de la nature du projet que de sa zone d’implantation. En jugeant que le projet de construction de la société BC Promotion répondait à un objectif de mixité sociale pour l’application des dispositions de l’article L. 152-6, le tribunal administratif a suffisamment motivé son jugement, eu égard à la teneur de l’argumentation dont il était saisi, et s’est livré, sans erreur de droit, à une appréciation souveraine des faits de l’espèce, exempte de dénaturation.

10. En quatrième lieu, aux termes de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme :  » Sans préjudice de la mise en oeuvre de l’article L. 600-5, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice entraînant l’illégalité de cet acte est susceptible d’être régularisé, sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation, même après l’achèvement des travaux. Si une mesure de régularisation est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. Le refus par le juge de faire droit à une demande de sursis à statuer est motivé.  »

11. La mesure de la régularisation prise au titre de ces dispositions peut, le cas échéant, prendre la forme d’une dérogation aux règles d’urbanisme applicables, sur le fondement notamment des dispositions de l’article L. 152-6 du code de l’urbanisme, à la condition que le pétitionnaire ait formé une demande en ce sens conformément aux dispositions de l’article R. 431-31-2 du code de l’urbanisme.

12. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu’après le jugement du 5 juillet 2018 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a décidé de surseoir à statuer, en application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, sur les requêtes de la société Lapeyre tendant à l’annulation pour excès de pouvoir des arrêtés des 18 juillet 2016 et 3 janvier 2017, la société BC Promotion a présenté une demande valant à la fois permis modificatif et mesure de régularisation, enregistrée le 30 août 2018, sollicitant le bénéfice d’une dérogation aux règles de retrait fixées à l’article UC+7 du règlement du plan local d’urbanisme, sur le fondement du 5° de l’article L. 152-6 du code de l’urbanisme. Par suite, le tribunal administratif n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que le permis de construire modificatif délivré le 16 novembre 2018 par le maire de La Rochelle avait régularisé le vice de légalité relevé par le premier jugement, tiré de la méconnaissance des règles de retrait fixées à l’article UC+7 du règlement du plan local d’urbanisme.

13. Enfin, le tribunal administratif n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que les conclusions dirigées contre le permis modificatif délivré le 22 juin 2018 avaient perdu leur objet, les modifications que ce permis comporte ayant été entièrement rapportées par le permis de construire modificatif du 16 novembre 2018.

14. Il résulte de tout ce qui précède que la société Lapeyre n’est pas fondée à demander l’annulation du jugement du tribunal administratif de Poitiers qu’elle attaque.

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de la commune de La Rochelle ou de la société BC promotion qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante. Dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées sur le même fondement par la commune de La Rochelle et la société BC promotion.

 

D E C I D E :
————–
Article 1er : Le pourvoi de la société Lapeyre est rejeté.
Article 2 : Les conclusions présentées au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative par la commune de La Rochelle et la société BC promotion sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SCCV Lapeyre, à la commune de La Rochelle et à la société BC promotion.

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