Conseil d’État
N° 321219
Publié au recueil Lebon
Section du Contentieux
M. Bernard Stirn, président
M. Raphaël Chambon, rapporteur
M. Cyril Roger-Lacan, rapporteur public
SCP NICOLAY, DE LANOUVELLE, HANNOTIN, avocats
lecture du mercredi 8 février 2012
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée le 1er octobre 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour l’UNION DES INDUSTRIES DE CARRIERES ET MATERIAUX DE CONSTRUCTION DE RHONE-ALPES, dont le siège est Parc Club du Moulin à Vent, 33, rue du Docteur Georges Lévy, Bâtiment 51 à Vénissieux (69693 Cedex) ; l’UNION DES INDUSTRIES DE CARRIERES ET MATERIAUX DE CONSTRUCTION DE RHONE-ALPES demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir l’article 2 du décret du 30 juillet 2008 portant classement du parc naturel régional du massif des Bauges, en tant qu’il adopte les dispositions de la charte du parc naturel régional figurant dans le document intitulé Spécifications particulières des carrières du territoire du Parc, qui imposent aux exploitants de carrière des obligations de procédure et de fond ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de l’environnement ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Raphaël Chambon, Auditeur-rapporteur ;
– les observations de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de l’UNION DES INDUSTRIES DE CARRIÈRES ET MATERIAUX DE CONSTRUCTION DE RHÔNE-ALPES ;
– les conclusions de M. Cyril Roger-Lacan, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de l’UNION DES INDUSTRIES DE CARRIÈRES ET MATERIAUX DE CONSTRUCTION DE RHÔNE-ALPES ;
Sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre d’Etat, ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat :
Considérant que l’UNION DES INDUSTRIES DE CARRIERES ET MATERIAUX DE CONSTRUCTION DE RHONE-ALPES, qui est un syndicat professionnel patronal regroupant des entreprises exploitantes de carrières et productrices de matériaux de construction de la région Rhône-Alpes, justifie d’un intérêt lui donnant qualité pour agir contre l’article 2 du décret du 30 juillet 2008 portant classement du parc naturel régional du massif des Bauges, en tant qu’il adopte les dispositions contestées de la charte qui, figurant au sein du document intitulé Spécifications particulières des carrières du territoire du Parc , édictent des mesures relatives à l’exploitation des carrières ; que, dès lors, sa requête est recevable ;
Sur les conclusions à fin d’annulation :
Considérant qu’à l’appui de sa requête tendant à l’annulation du décret du 30 juillet 2008 portant classement du parc naturel régional du massif des Bauges, dont l’article 2 adopte la nouvelle charte du parc naturel régional, en tant qu’il adopte certaines dispositions de cette charte applicables aux carrières, l’UNION DES INDUSTRIES DE CARRIERES ET MATERIAUX DE CONSTRUCTION DE RHONE-ALPES soulève un moyen unique tiré de ce que les dispositions figurant au point 5 du document intitulé Spécifications particulières des carrières du territoire du Parc imposent aux exploitants de carrières le respect d’obligations pour l’exercice de leur activité et édictent ce faisant des règles de procédure et de fond opposables aux tiers et méconnaissant la législation particulière applicable aux carrières ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 333-1 du code de l’environnement : Les parcs naturels régionaux concourent à la politique de protection de l’environnement, d’aménagement du territoire, de développement économique et social et d’éducation et de formation du public. Ils constituent un cadre privilégié des actions menées par les collectivités publiques en faveur de la préservation des paysages et du patrimoine naturel et culturel. / La charte du parc détermine pour le territoire du parc naturel régional les orientations de protection, de mise en valeur et de développement et les mesures permettant de les mettre en oeuvre. Elle comporte un plan élaboré à partir d’un inventaire du patrimoine indiquant les différentes zones du parc et leur vocation. La charte détermine les orientations et les principes fondamentaux de protection des structures paysagères sur le territoire du parc. / Le projet de charte constitutive est (…) adopté par décret portant classement du territoire en parc naturel régional pour une durée de douze ans au plus. / La révision de la charte du parc naturel régional est assurée par l’organisme de gestion du parc. / L’Etat et les collectivités territoriales adhérant à la charte appliquent les orientations et les mesures de la charte dans l’exercice de leurs compétences sur le territoire du parc. Ils assurent, en conséquence, la cohérence de leurs actions et des moyens qu’ils y consacrent. (…) Les documents d’urbanisme doivent être compatibles avec les orientations et les mesures de la charte ; que selon le III de l’article R. 333-3 du même code : La charte comprend : / 1° Un rapport déterminant les orientations de protection, de mise en valeur et de développement envisagées pour la durée du classement, et notamment les principes fondamentaux de protection des structures paysagères sur le territoire du parc ; le rapport définit les mesures qui seront mises en oeuvre sur le territoire, applicables à l’ensemble du parc ou sur des zones déterminées à partir des spécificités du territoire et fondant la délimitation des zones homogènes reportées sur le plan mentionné au 2° ; / 2° Un plan du périmètre d’étude sur lequel sont délimitées, en fonction du patrimoine, les différentes zones où s’appliquent les orientations et les mesures définies dans le rapport ; le plan caractérise toutes les zones du territoire selon leur nature et leur vocation dominante ;
Considérant qu’il résulte de ces dispositions que la charte d’un parc naturel régional est un acte destiné à orienter l’action des pouvoirs publics dans un souci de protection de l’environnement, d’aménagement du territoire, de développement économique et social et d’éducation et de formation du public sur le territoire du parc et à assurer la cohérence de cette action avec les objectifs qui y sont définis ; qu’il appartient, dès lors, à l’Etat et aux différentes collectivités territoriales concernées de prendre les mesures et de mener les actions propres à assurer la réalisation des objectifs de la charte et de mettre en oeuvre les compétences qu’ils tiennent des différentes législations, dès lors qu’elles leur confèrent un pouvoir d’appréciation, de façon cohérente avec les objectifs ainsi définis ; que toutefois la charte d’un parc naturel régional ne peut légalement imposer par elle-même des obligations aux tiers, indépendamment de décisions administratives prises par les autorités publiques à leur égard ; qu’elle ne peut davantage subordonner légalement les demandes d’autorisations d’installations classées pour la protection de l’environnement à des obligations de procédure autres que celles prévues par les différentes législations en vigueur ; que si les orientations de protection, de mise en valeur et de développement que la charte détermine pour le territoire du parc naturel régional sont nécessairement générales, les mesures permettant de les mettre en oeuvre peuvent cependant être précises et se traduire par des règles de fond avec lesquelles les décisions prises par l’Etat et les collectivités territoriales adhérant à la charte dans l’exercice de leurs compétences devront être cohérentes , sous réserve que ces mesures ne méconnaissent pas les règles résultant des législations particulières régissant les activités qu’elles concernent ; que leur légalité est également subordonnée à leur compatibilité avec l’objet que le législateur a assigné aux parcs naturels régionaux et à leur caractère nécessaire pour la mise en oeuvre des orientations de la charte ;
Considérant que l’activité d’extraction de matériaux étant susceptible de provoquer des nuisances environnementales et paysagères, une charte de parc naturel régional peut légalement comporter des mesures précises la concernant, sous réserve de ne pas méconnaître les prescriptions des autres règles applicables en matière de carrières ;
Considérant que le rapport d’orientations stratégiques que comporte la charte du parc naturel régional des Bauges et qui fixe les grandes orientations de cette charte, énonce que le syndicat mixte du parc a pris l’initiative d’élaborer des Spécifications particulières concernant l’activité carrières sur le massif , qui serviront de ligne de conduite pour les avis du Syndicat Mixte du Parc sur ce sujet ainsi que pour les communes approuvant la Charte , et qui n’ont absolument pas vocation à se substituer aux Schémas départementaux des carrières élaborés par l’Etat ; que le document intitulé Spécifications particulières des carrières du territoire du Parc indique, dans son préambule, qu’il est décidé d’inclure un volet complet concernant l’exploitation des carrières et la gestion des matériaux sur le territoire classé, qui s’inscrit comme une déclinaison des schémas départementaux des carrières de Savoie et de Haute-Savoie, auxquels il apporte un certain nombre de compléments générés par les caractéristiques propres au territoire ; qu’il ajoute que certaines de ces prescriptions orienteront les documents d’urbanisme des communes et que d’autres pourront venir alimenter les réflexions et travaux engagés par l’Etat, à l’occasion de la révision des schémas départementaux qui interviendrait pendant la durée de validité de la charte ; que ces dispositions, qui soulignent la portée limitée des orientations et mesures relatives aux carrières contenues dans la charte, assignent à celles-ci pour seul objectif d’orienter l’action des différentes collectivités publiques intéressées, dans le respect des principes d’opposabilité aux personnes publiques des chartes de parc naturel régional ;
Considérant, toutefois, que le point 5.1 Spécifications applicables à toutes les carrières de ce document comporte un troisième et un cinquième alinéas qui prescrivent la réalisation de nouvelles études ; que, selon le troisième alinéa de ce point, les exploitants de carrière doivent fournir une étude d’impact très détaillée avec l’élaboration d’une étude paysagère et environnementale montrant visuellement l’évolution de la carrière tous les trois ans (photos montages, simulations plans / coupes / vues 3D), et indiquant les dispositions techniques nécessaires à une renaturation progressive et coordonnée entre les méthodes d’exploitation et de réaménagement. Les contraintes liées à l’eau, à la biodiversité, aux transports, aux nuisances visuelles ou sonores, à l’émission de poussières devront être traitées au même degré d’exigence. L’étude devra sortir du cadre du périmètre de l’exploitation et disposer d’une analyse des impacts autour de l’exploitation et en aval de la production (transport, bruit, poussière) notamment sur les communes concernées par le flux de matériau. L’étude d’impact devra ainsi développer une série d’indicateurs mesurables permettant d’évaluer l’effet de l’exploitation lors de son suivi régulier ; que le cinquième alinéa prévoit que toute demande d’ouverture ou d’extension de carrière doit être accompagnée d’une étude complète portant sur la logistique d’acheminement des matériaux intégrant les exigences des communes traversées et la capacité des axes empruntés ; que ces dispositions imposent aux exploitants de carrière, pour l’exercice de leur activité ainsi que pour toute demande d’une autorisation d’ouverture ou d’extension de carrière, le respect d’obligations de procédure qui s’ajoutent à celles prévues pour la délivrance des autorisations d’installations classées et par la législation relative aux carrières ; qu’il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que le décret attaqué ne pouvait légalement les adopter ;
Considérant, en revanche, que, contrairement à ce qui est soutenu, les autres dispositions contestées du point 5 du document édictant des spécifications particulières aux carrières du parc se bornent à déterminer des orientations de protection, de mise en valeur et de développement ainsi que des mesures permettant leur mise en oeuvre, destinées à guider l’action des différentes collectivités publiques intéressées dans l’exercice des compétences qui leur sont reconnues par la loi sur le territoire d’un parc naturel régional ; que nonobstant leur degré de précision, ces orientations et mesures particulières aux carrières n’ont pas pour effet d’imposer par elles-mêmes des obligations aux tiers ; qu’en particulier, le treizième alinéa du point 5.1 du document intitulé Spécifications particulières des carrières du territoire du Parc , aux termes duquel L’exploitation, à ciel ouvert notamment, constituant une atteinte durable et irréversible au paysage et à l’environnement, retenir le principe de compensation. A cet effet, il sera étudié sur le plan juridique et financier, les dispositifs à mettre en oeuvre pour enrichir le patrimoine sur le site, ou à proximité de celui-ci. Le(s) dispositif(s) sera(ont) géré(s) par le Syndicat mixte du Parc en relation avec le comité de suivi de la carrière. Les ressources financières pourront venir par exemple d’un prélèvement sur le chiffre d’affaires de la carrière, des produits issus de la valorisation des matériaux provenant de terrassements en souterrain et/ou à l’air libre réalisés sur le territoire du Parc, et dans le cadre de grands travaux , n’impose par lui-même aucune obligation aux exploitants de carrière ni à aucune autre personne privée ; que cet alinéa n’a pas, eu égard aux termes employés, pour objet, et n’aurait pu avoir légalement pour effet, d’imposer une quelconque obligation financière aux exploitants de carrière ; que si les décisions prises par le préfet sur les demandes d’ouverture, d’extension ou de renouvellement d’autorisation de carrière doivent être cohérentes avec ces orientations et mesures, ces dernières ne méconnaissent pas la réglementation particulière à laquelle sont soumises par ailleurs les carrières, qu’elles ne font que compléter, conformément à l’objet de la charte, en fonction des caractéristiques propres du territoire ; qu’en particulier, les dispositions du point 5.2.2 Spécifications particulières applicables aux carrières en Terrasses Alluvionnaires de ce document fixant une durée maximale d’autorisation et une quantité maximale autorisée pour de telles carrières, qui ne méconnaissent pas la législation relative aux carrières et n’imposent par elles-mêmes aucune obligation aux tiers indépendamment d’une décision administrative, visent à limiter l’impact de l’activité d’exploitation de carrières en terrasses alluvionnaires sur les ressources naturelles, conformément à l’objet assigné aux parcs naturels régionaux par l’article L. 333-1 du code de l’environnement, aux termes duquel les parcs concourent à la politique de protection de l’environnement et aux orientations de la charte que ces mesures permettent de mettre en oeuvre ; qu’il ne ressort pas des pièces du dossier qu’en fixant ladite durée maximale d’autorisation à quinze ans et la quantité maximale autorisée à 100 000 tonnes par an, ces dispositions soient entachées d’erreur manifeste d’appréciation ; que le décret attaqué a donc pu les adopter sans illégalité ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que sont entachées d’illégalité les dispositions de la charte figurant aux alinéas 3 et 5 du point 5.1 du document intitulé Spécifications particulières des carrières du territoire du Parc ; que ces dispositions étant divisibles du reste de la charte, l’UNION DES INDUSTRIES DE CARRIERES ET MATERIAUX DE CONSTRUCTION DE RHONE-ALPES n’est, dès lors, fondée à demander l’annulation du décret attaqué qu’en tant qu’il adopte les dispositions mentionnées ci-dessus de la charte ;
Sur les conclusions de l’UNION DES INDUSTRIES DE CARRIERES ET MATERIAUX DE CONSTRUCTION DE RHONE-ALPES présentées au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros à verser à l’UNION DES INDUSTRIES DE CARRIERES ET MATERIAUX DE CONSTRUCTION DE RHONE-ALPES au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
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Article 1er : L’article 2 du décret du 30 juillet 2008 portant classement du parc naturel régional du massif des Bauges est annulé en tant qu’il adopte les dispositions de la charte figurant, au sein du document intitulé Spécifications particulières aux carrières, aux alinéas 3 et 5 du point 5.1.
Article 2 : L’Etat versera à l’UNION DES INDUSTRIES DE CARRIERES ET MATERIAUX DE CONSTRUCTION DE RHONE-ALPES une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de l’UNION DES INDUSTRIES DE CARRIERES ET MATERIAUX DE CONSTRUCTION DE RHONE-ALPES est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à l’UNION DES INDUSTRIES DE CARRIERES ET MATERIAUX DE CONSTRUCTION DE RHONE-ALPES, à la ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement et au Premier ministre.