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Ouvrage public mal planté (sur une parcelle privée) : pas de prescription civile pour l’action en démolition !

Arrêt rendu par Conseil d’Etat
27-09-2023
n° 466321

Texte intégral :
Vu les procédures suivantes :

Mme A. D. et Mme C. B. ont demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d’annuler la décision de la société Enedis du 4 août 2017 refusant de procéder à la dépose du pylône implanté irrégulièrement sur leur terrain, de condamner la société Enedis à leur verser la somme de 30 000 € au titre de l’absence d’indemnisation de la présence du pylône sur leur parcelle et la somme de 30 000 € au titre de l’implantation illégale de l’ouvrage litigieux et de lui enjoindre de procéder à la dépose de cet ouvrage et au déplacement de la ligne électrique dans un délai de trois mois suivant la notification du jugement sous astreinte de 100 € par jour de retard.

Par un jugement n° 1709239 du 19 décembre 2019, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 20VE00657 du 2 juin 2022, la cour administrative d’appel de Versailles, sur l’appel formé par Mmes D. et B., a annulé ce jugement en tant qu’il rejette leurs conclusions à fin d’injonction, enjoint à la société Enedis de procéder à la dépose du pylône irrégulièrement implanté sur leur propriété et au déplacement ou à l’enfouissement de la ligne électrique dans un délai de six mois à compter de la notification de son arrêt et rejeté le surplus de leurs conclusions.

1° Sous le n° 466321, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 2 août et 31 oct. 2022 et le 3 avril 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la société Enedis demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter l’appel de Mmes D. et B. ;

3°) de mettre à la charge de Mmes D. et B. la somme de 4 000 € au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 468606, par une requête, enregistrée le 31 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la société Enedis demande au Conseil d’Etat, en application de l’article R. 821-5 du code de justice administrative, de prononcer le sursis à exécution de l’arrêt dont elle demande l’annulation sous le n° 466321.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

– le code civil ;

– le code de l’énergie ;

– la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d’énergie ;

– le décret n° 67-886 du 6 octobre 1967 ;

– le code de justice administrative.

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Sophie-Caroline de Margerie, conseillère d’Etat,

– les conclusions de Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique,

La parole ayant été donnée, après les conclusions, au cabinet Munier-Apaire, avocat de la société Enedis, et à la SCP Thouin-Palat, Boucard, avocat de Mmes D. et B. ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 8 septembre 2023, présentée par Mmes D. et B. ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 8 septembre 2023, présentée par la société Enedis ;

Considérant ce qui suit :

1. Le pourvoi et la requête à fin de sursis à exécution présentés par la société Enedis sont dirigés contre le même arrêt de la cour administrative d’appel de Versailles. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

Sur le pourvoi :

2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un courrier du 22 juin 2017, Mme A. D. et Mme C. B., respectivement nue-propriétaire et usufruitière d’une propriété comportant une maison d’habitation située sur le territoire de la commune de Villers-en-Arthies, ont demandé à la société Enedis de procéder à la dépose d’un pylône implanté sur leur terrain et de leur verser une somme de 60 000 € en réparation des préjudices qu’elles estiment subir. Elles ont demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d’annuler la décision rejetant leur demande, de condamner la société Enedis à leur verser une indemnité de 60 000 €, et de lui enjoindre de procéder à la dépose de l’ouvrage et au déplacement de la ligne électrique également située sur le terrain. Par un jugement du 19 décembre 2019, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté ces demandes. Par un arrêt du 2 juin 2022, contre lequel la société Enedis se pourvoit en cassation, la cour administrative d’appel de Versailles a, sur l’appel formé par Mmes D. et B., enjoint à la société Enedis de procéder à la dépose du pylône et au déplacement ou à l’enfouissement de la ligne électrique dans un délai de six mois.

3. Lorsqu’il est saisi d’une demande tendant à ce que soit ordonnée la démolition d’un ouvrage public dont il est allégué qu’il est irrégulièrement implanté par un requérant qui estime subir un préjudice du fait de l’implantation de cet ouvrage et qui en a demandé sans succès la démolition à l’administration, il appartient au juge administratif, juge de plein contentieux, de déterminer, en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue, si l’ouvrage est irrégulièrement implanté, puis, si tel est le cas, de rechercher, d’abord, si eu égard notamment à la nature de l’irrégularité, une régularisation appropriée est possible, puis, dans la négative, en tenant compte de l’écoulement du temps, de prendre en considération, d’une part les inconvénients que la présence de l’ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence, notamment, le cas échéant, pour le propriétaire du terrain d’assiette de l’ouvrage, d’autre part, les conséquences de la démolition pour l’intérêt général, et d’apprécier, en rapprochant ces éléments, si la démolition n’entraîne pas une atteinte excessive à l’intérêt général.

4. Aux termes de l’article 2227 du code civil : « […] les actions réelles immobilières se prescrivent par trente ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. » Compte tenu des spécificités, rappelées au point précédent, de l’action en démolition d’un ouvrage public empiétant irrégulièrement sur une propriété privée, ni ces dispositions ni aucune autre disposition ni aucun principe prévoyant un délai de prescription ne sont applicables à une telle action. L’invocation de ces dispositions du code civil au soutien de l’exception de prescription trentenaire opposée par la société Enedis était donc inopérante. Ce motif devant être substitué au motif par lequel l’arrêt attaqué juge non fondée cette exception, il y a lieu, par suite, d’écarter les moyens de cassation dirigés contre le motif retenu par la cour administrative d’appel de Versailles.

5. Si, ainsi que l’a relevé la cour pour caractériser un trouble de jouissance résultant notamment de l’inconvénient visuel lié à la présence des ouvrages électriques en cause, la ligne électrique surplombe la voie d’accès à la maison d’habitation de Mmes D. et B. et longe sa façade et son entrée à une distance inférieure à quatre mètres et si l’un des pylônes soutenant cette ligne est implanté sur leur propriété, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu’en dépit de l’ancienneté de la présence de ces ouvrages, les intéressées n’ont pas sollicité de mesures tendant à leur déplacement avant que la commune de Villers-en-Arthies ne décide de procéder à l’enfouissement de certaines lignes électriques par délibération du 7 mars 2014 de son conseil municipal sans intégrer la ligne litigieuse dans ce projet. Par ailleurs, si la cour s’est également fondée sur le refus opposé par le maire de Villers-en-Arthies au projet de construction d’une piscine sur leur propriété au motif des risques liés au surplomb par la ligne électrique, il ressort de ses constations que la demande de déclaration préalable de travaux n’a été présentée que postérieurement aux premières démarches entreprises afin d’obtenir le déplacement de la ligne électrique. En outre, si la cour a retenu l’existence d’un inconvénient pour l’intérêt public qui s’attache à la protection de l’église Saint-Martin, bâtiment inscrit au titre de la législation sur les monuments historiques, il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que la commune n’a pas inclus les ouvrages litigieux dans son programme d’enfouissement des lignes électriques et que ceux-ci ne sont pas situés à proximité immédiate de l’édifice en cause. Dans ces conditions, en estimant qu’eu égard aux inconvénients causés à Mmes D. et B. par la présence des ouvrages sur leur propriété, leur démolition ne portait pas une atteinte excessive à l’intérêt général, malgré les coûts liés à l’enfouissement de la ligne et à la dépose du pylône et malgré les risques d’interruption du service de distribution d’électricité durant les travaux et alors que le temps écoulé depuis l’acquisition de la propriété supportant les ouvrages en cause était de nature à limiter l’importance des inconvénients allégués, la cour a inexactement qualifié les faits de l’espèce.

6. Il résulte de ce qui précède que, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, la société Enedis est fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur l’appel de Mmes D. et B. :

En ce qui concerne la demande de déplacement ou de suppression des ouvrages publics :

8. Il résulte de ce qui a été dit au point 5 qu’en tout état de cause, eu égard aux inconvénients limités pour Mmes D. et B. inhérents à la présence du pylône et de la ligne électrique sur leur parcelle et aux conséquences de la suppression ou du déplacement de ces ouvrages pour l’intérêt général, cette suppression ou ce déplacement porterait une atteinte excessive à l’intérêt général. Par suite, Mmes D. et B. ne sont pas fondées à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, qui est suffisamment motivé, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté leur demande tendant à ce qu’il soit enjoint à la société Enedis de procéder à la dépose du pylône implanté sur leur propriété et au déplacement ou à l’enfouissement de la ligne électrique qui la surplombe.

En ce qui concerne les conclusions subsidiaires à fin d’indemnisation :

9. Pour demander la condamnation de la société Enedis au paiement d’une somme en réparation du préjudice subi du fait de la présence illégale de l’ouvrage public sur leur terrain pendant une longue période, Mmes D. et B. se bornent à invoquer l’atteinte portée à la pleine jouissance de leur propriété. Ce faisant, elles n’établissent pas la réalité du préjudice allégué, alors qu’au demeurant il résulte de l’instruction que lors de l’acquisition du terrain, la présence de la ligne électrique en surplomb ainsi que celle du pylône ne pouvaient être ignorées.

.10. Il résulte de ce qui précède que Mmes D. et B, qui ne contestent pas le rejet, comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître, de leur demande indemnitaire à raison de l’absence d’indemnisation de la présence du pylône sur le fondement des dispositions de l’article L. 323-7 du code de l’énergie, ne sont pas fondées à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté leurs conclusions à fin d’indemnisation.

11. Il résulte de tout ce qui précède que Mmes D. et B. ne sont pas fondées à demander l’annulation du jugement du 19 décembre 2019 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise.

Sur la requête à fin de sursis à exécution :

12. Le Conseil d’Etat se prononçant par la présente décision sur le pourvoi formé par la société Enedis contre l’arrêt du 2 juin 2022 de la cour administrative d’appel de Versailles, les conclusions aux fins de sursis à exécution de cet arrêt sont devenues sans objet. Il n’y a, dès lors, pas lieu d’y statuer.

Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de Mmes D. et B. le versement à la société Enedis d’une somme au titre des dispositions de cet article. Ces dispositions font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de la société Enedis qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

Décide :

Article 1er : L’arrêt du 2 juin 2022 de la cour administrative d’appel de Versailles est annulé.

Article 2 : La requête présentée par Mmes D. et B. devant la cour administrative d’appel de Versailles est rejetée.

Article 3 : Il n’y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de la société Enedis à fin de sursis à exécution.

Article 4 : Les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Enedis, à Mme A. D. et à Mme C. B.

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