Qualification d’une opération d’élimination ou de valorisation des déchets
Le Conseil d’État vient de préciser, dans un arrêt du 12 janvier 2009, la distinction entre opération de valorisation et opération d’élimination des déchets. (CE 12 janvier 2009, Syndicat pour la valorisation des déchets, n° 308711)
Frédéric Renaudin
Avocat à la cour
Source : Dalloz.fr
Conseil d’État
N° 308711 Mentionné dans les tables du recueil Lebon6ème et 1ère sous-sections réuniesM. Martin, présidentM. Richard Senghor, rapporteurSCP NICOLAY, DE LANOUVELLE, HANNOTIN ; SCP DELAPORTE, BRIARD, TRICHET, avocats
lecture du lundi 12 janvier 2009REPUBLIQUE FRANCAISEAU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 21 août et 21 novembre 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour le SYNDICAT INTER-ARRONDISSEMENT POUR LA VALORISATION ET L’ELIMINATION DES DECHETS, dont le siège est 5, route de Lourches à Douchy-les-Mines (59282) ; le SYNDICAT INTER-ARRONDISSEMENT POUR LA VALORISATION ET L’ELIMINATION DES DECHETS demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt du 21 juin 2007 par lequel la cour administrative d’appel de Douai a, d’une part, annulé, sur le recours du ministre de l’écologie et du développement durable, le jugement du 23 mars 2006 du tribunal administratif de Lille annulant, à la demande du SYNDICAT INTER-ARRONDISSEMENT POUR LA VALORISATION ET L’ELIMINATION DES DECHETS, la décision du 5 avril 2005 par laquelle le préfet du Nord a rejeté sa demande tendant au renouvellement de l’autorisation de transfert transfrontalier de cendres résiduelles et autres résidus d’épuration des fumées de l’incinération des ordures ménagères vers les installations de remblaiement des cavités de mines de sel situées à Hattorf en Allemagne, et, d’autre part, rejeté la demande présentée par le SYNDICAT INTER-ARRONDISSEMENT POUR LA VALORISATION ET L’ELIMINATION DES DECHETS devant le tribunal administratif de Lille ;
2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter l’appel du ministre de l’écologie et du développement durable ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 8 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le traité de Rome instituant la Communauté économique européenne devenue la Communauté européenne ;
Vu le traité sur l’Union européenne et les protocoles qui y sont annexés ;
Vu le règlement (CEE) n° 259/93, du Conseil, du 1er février 1993 concernant la surveillance et le contrôle des transferts de déchets à l’entrée et à la sortie de la Communauté européenne ;
Vu la directive 75/442/ CEE, du Conseil, du 15 juillet 1975 relative aux déchets ;
Vu la décision C-6/00 du 27 février 2002 de la Cour de justice des Communautés européennes ;
Vu le code de l’environnement ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Richard Senghor, Maître des Requêtes,
– les observations de la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat du SYNDICAT INTER-ARRONDISSEMENT POUR LA VALORISATION ET L’ELIMINATION DES DÉCHETS et de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la Fédération nationale des activités de la dépollution et de l’environnement (FNADE),
– les conclusions de Mme Isabelle de Silva, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le SYNDICAT INTER-ARRONDISSEMENT POUR LA VALORISATION ET L’ELIMINATION DES DECHETS (SIAVED) est propriétaire d’un centre de valorisation énergétique de déchets ménagers, industriels et hospitaliers dans le département du Nord, dont l’activité génère des cendres résiduelles et autres résidus d’épuration des fumées de l’incinération des ordures ménagères (REFIOM) ; qu’il a passé un marché avec la société allemande Kali und Salz en vue du transport, de l’inertage et de la valorisation souterraine de ces déchets dans des cavités de mines de sel de potasse situées à Hattorf en Allemagne ; que le processus de traitement retenu vise à les conditionner sous une forme solidifiée, puis à les confiner dans les galeries désaffectées, après les avoir étayés et liés au moyen d’une projection de résidus d’exploitation des mines ;
Considérant que le SIAVED s’est vu opposer par le préfet du Nord, le 5 avril 2005, une décision de refus à sa demande de renouvellement de l’autorisation de transfert frontalier de ces déchets, au motif qu’un tel transfert ne constituait pas une opération de valorisation des déchets mais une opération d’élimination de ceux-ci, susceptible de pouvoir être menée sur le territoire national ; que le SIAVED se pourvoit en cassation contre l’arrêt de la cour administrative d’appel de Douai qui a infirmé le jugement du tribunal administratif de Lille annulant la décision du 5 avril 2005 ;
Sur la régularité de l’arrêt attaqué :
Considérant, d’une part, qu’en relevant qu’il ressortait des pièces du dossier que, compte tenu des caractéristiques géologiques et physiques du site ainsi que des conditions d’exploitation et d’extraction mises en oeuvre, le comblement des cavités de mines situées à Hattorf ne s’avérait pas nécessaire et que, par suite, l’opération envisagée ne présentait pas un caractère d’utilité avéré, la cour administrative d’appel a suffisamment motivé son arrêt ;
Considérant, d’autre part, que, pour écarter le moyen soulevé devant elle, et tiré de ce que le préfet se serait cru lié par une circulaire ministérielle illégale, relative à la gestion des REFIOM, la cour a jugé que le bien-fondé de cette assertion ne ressortait pas de l’instruction ; qu’il résultait de cette motivation que la seconde branche du moyen, tirée de l’illégalité des critères ainsi appliqués, était inopérante ; que la cour n’a donc pas entaché son arrêt d’irrégularité en s’abstenant d’y répondre ;
Sur le bien-fondé de l’arrêt attaqué :
Considérant que la directive 75/442 / CEE, du Conseil, du 15 juillet 1975 relative aux déchets prévoit que leur traitement peut faire l’objet soit d’une opération d’élimination, soit d’une opération de valorisation ;
Considérant qu’aux termes de l’article 4 du chapitre A, relatif aux « déchets destinés à être éliminés », du titre II du règlement (CEE) n° 259/93, du Conseil, du 1er février 1993 : « (…) 3. a) i) Afin de mettre en oeuvre les principes de proximité, de priorité à la valorisation et d’autosuffisance aux niveaux communautaire et national, conformément à la directive 75/442/CEE, les Etats membres peuvent prendre, conformément au traité, des mesures d’interdiction générale ou partielle ou d’objection systématique concernant les transferts de déchets (…) » ;
Considérant que la Cour de justice des Communautés européennes a jugé dans son arrêt du 27 février 2002 (C-6/00 Abfall Service AG), d’une part, qu’il ne ressort d’aucune disposition de la directive 75/442/CEE « que le fait que des déchets sont ou non dangereux, soit en tant que tel un critère pertinent pour apprécier si une opération de traitement des déchets doit être qualifiée de valorisation » et, d’autre part, qu’il « découle (…) de l’article 3, paragraphe 1, sous b), de la directive, ainsi que du quatrième considérant de celle-ci, que la caractéristique essentielle d’une opération de valorisation de déchets réside dans le fait que son objectif principal est que les déchets puissent remplir une fonction utile, en se substituant à l’usage d’autres matériaux qui auraient dû être utilisés pour remplir cette fonction, ce qui permet de préserver les ressources naturelles », le dépôt de déchets dans une mine désaffectée ne constituant ainsi « pas nécessairement » une opération d’élimination et devant donc « faire l’objet d’une appréciation au cas par cas » ;
Considérant que s’il résulte de cette interprétation, d’une part, qu’une opération peut être qualifiée de valorisation si elle remplit une fonction utile, d’autre part qu’on ne saurait écarter une telle qualification pour un seul motif tiré du caractère dangereux des déchets, la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit en prenant en compte, parmi d’autres éléments retenus pour apprécier la fonction utile des déchets, les risques de l’opération pour l’environnement et pour la salubrité publique ;
Considérant que pour apprécier la fonction utile de l’opération envisagée, la cour a relevé que la mine de Hattorf était encore en activité, et qu’il n’était pas établi que la nécessité de combler ses cavités se serait imposée à court terme ; que les déchets utilisés ne convenaient pas particulièrement à l’opération litigieuse, compte tenu des caractéristiques de la mines et des risques liés à l’utilisation des REFIOM ; qu’elle a ainsi, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, estimé que les déchets n’avaient pas de fonction utile ; qu’elle a donc pu en déduire, sans commettre d’erreur de qualification juridique, que l’opération envisagée avait le caractère non d’une valorisation, mais d’une élimination de déchets ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le SIAVED n’est pas fondé à demander l’annulation de l’arrêt attaqué et que doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :————–
Article 1er : Le pourvoi du SYNDICAT INTER-ARRONDISSEMENT POUR LA VALORISATION ET L’ELIMINATION DES DECHETS est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée au SYNDICAT INTER-ARRONDISSEMENT POUR LA VALORISATION ET L’ELIMINATION DES DECHETS, à la fédération nationale des activités de dépollution de l’environnement et au ministre d’Etat, ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire.