LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 2 juin 2020 par le Conseil d’État (décision n°436834 du 29 mai 2020), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Antonio O. par la SCP Hélène Didier et François Pinet, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2020-853 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article L. 480-14 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de l’urbanisme ;
- la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées par la commune de Yèvre-la-Ville, partie au litige à l’occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, enregistrées le 11 juin 2020 ;
- les observations présentées pour le requérant par Me Antoine Plateaux, avocat au barreau de Nantes, enregistrées le 12 juin 2020 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 15 juin 2020 ;
- les secondes observations présentées pour le requérant par Me Plateaux, enregistrées le 29 juin 2020 ;
- les secondes observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 30 juin 2020 ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Wistan Plateaux, avocat au barreau de Nantes, pour le requérant, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l’audience publique du 21 juillet 2020 ;
Au vu des pièces suivantes :
- la note en délibéré présentée par le Premier ministre, enregistrée le 28 juillet 2020 ;
- la note en délibéré présentée pour le requérant par Me Antoine Plateaux, enregistrée le 29 juillet 2020 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L’article L. 480-14 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction résultant de la loi du 12 juillet 2010 mentionnée ci-dessus, prévoit :« La commune ou l’établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d’urbanisme peut saisir le tribunal de grande instance en vue de faire ordonner la démolition ou la mise en conformité d’un ouvrage édifié ou installé sans l’autorisation exigée par le présent livre, en méconnaissance de cette autorisation ou, pour les aménagements, installations et travaux dispensés de toute formalité au titre du présent code, en violation de l’article L. 421-8. L’action civile se prescrit en pareil cas par dix ans à compter de l’achèvement des travaux ».
2. Le requérant soutient que ces dispositions porteraient une atteinte disproportionnée au droit de propriété consacré par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. En effet, il fait valoir qu’elles permettraient, pendant un délai de dix ans, la démolition de toute construction au seul motif qu’elle méconnaît une règle d’urbanisme, sans qu’il soit tenu compte de la bonne foi du propriétaire ou de la possibilité d’une régularisation. Selon le requérant, ces dispositions porteraient, pour les mêmes motifs et parce qu’elles peuvent conduire à la destruction d’un ouvrage constituant un domicile, une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « la démolition » figurant à la première phrase de l’article L. 480-14 du code de l’urbanisme.
4. La propriété figure au nombre des droits de l’homme consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789. Aux termes de son article 17 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité ». En l’absence de privation du droit de propriété au sens de cet article, il résulte néanmoins de l’article 2 de la Déclaration de 1789 que les atteintes portées à ce droit doivent être justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi.
5. Le livre IV du code de l’urbanisme soumet certains travaux, constructions, aménagements ou installations à un régime d’autorisation, par la délivrance de permis de construire ou d’aménager, ou à un régime de déclaration. L’article L. 421-8 du même code prévoit que les constructions, aménagements, installations et travaux dispensés d’autorisation ou de déclaration doivent néanmoins respecter les dispositions législatives et réglementaires relatives à l’utilisation des sols, à l’implantation, la destination, la nature, l’architecture, les dimensions, l’assainissement des constructions et à l’aménagement de leurs abords et ne pas être incompatibles avec une déclaration d’utilité publique.
6. En application de l’article L. 480-14 du code de l’urbanisme, les communes et établissements publics de coopération intercommunale compétents en matière de plan local d’urbanisme peuvent demander au tribunal qu’il ordonne la démolition ou la mise en conformité des ouvrages installés sans permis de construire ou d’aménager, ou sans déclaration préalable, en méconnaissance de ce permis ou en violation des règles de fond dont le respect s’impose sur le fondement de l’article L. 421-8 du même code.
7. En premier lieu, l’action en démolition prévue par les dispositions contestées ne constitue qu’une conséquence des restrictions apportées aux conditions d’exercice du droit de propriété par les règles d’urbanisme. Elle n’a pour objet que de rétablir les lieux dans leur situation antérieure à l’édification irrégulière de la construction concernée. Il en résulte que, si la démolition d’un tel ouvrage a pour effet de priver son propriétaire de la propriété de ce bien irrégulièrement bâti, elle n’entre pas dans le champ d’application de l’article 17 de la Déclaration de 1789.
8. En second lieu, d’une part, l’action en démolition est justifiée par l’intérêt général qui s’attache au respect des règles d’urbanisme, lesquelles permettent la maîtrise, par les collectivités publiques, de l’occupation des sols et du développement urbain.
9. D’autre part, cette action en démolition ne peut être introduite que par les autorités compétentes en matière de plan local d’urbanisme et dans un délai de dix ans qui commence à courir dès l’achèvement des travaux. Par ailleurs, la démolition ne peut être prononcée que par le juge judiciaire et à l’encontre d’un ouvrage édifié ou installé sans permis de construire ou d’aménager, ou sans déclaration préalable, en méconnaissance de ce permis ou en violation des règles de fond dont le respect s’impose sur le fondement de l’article L. 421-8 du code de l’urbanisme. Toutefois, les dispositions contestées ne sauraient, sans porter une atteinte excessive au droit de propriété, être interprétées comme autorisant la démolition d’un tel ouvrage lorsque le juge peut, en application de l’article L. 480-14, ordonner à la place sa mise en conformité et que celle-ci est acceptée par le propriétaire.
10. Il résulte de ce qui précède que les limitations apportées par les dispositions contestées à l’exercice du droit de propriété résultant de l’article 2 de la Déclaration de 1789 sont justifiées par un motif d’intérêt général et, sous la réserve énoncée au paragraphe précédent, proportionnées à cet objectif. Le grief tiré de la méconnaissance de cet article doit donc, sous cette réserve, être écarté.
11. Les dispositions contestées, qui ne méconnaissent pas non plus le droit au respect de la vie privée ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent sous la réserve énoncée au paragraphe 9, être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. – Sous la réserve énoncée au paragraphe 9, les mots « la démolition » figurant à la première phrase de l’article L. 480-14 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, sont conformes à la Constitution.
Article 2. – Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 30 juillet 2020, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Rendu public le 31 juillet 2020.
JORF n°0188 du 1 août 2020, texte n° 135
ECLI:FR:CC:2020:2020.853.QPC