Conseil d’État
N° 422569
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
10ème – 9ème chambres réunies
M. Jacques Reiller, rapporteur
Mme Anne Iljic, rapporteur public
SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO ; SCP ZRIBI, TEXIER, avocats
lecture du vendredi 7 juin 2019
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
M. A…B…a demandé au tribunal administratif de Paris, d’une part, d’annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle la SA HLM Antin Résidences a refusé de lui communiquer » la totalité du rapport amiante, c’est-à-dire les résultats de l’intervention du 29 janvier 2016, pour les parties privatives de l’appartement D21, 1 rue Defrance à Vincennes, ainsi que les documents attestant que toutes les précautions nécessaires ont été prises avant la réalisation des travaux dans les parties communes du bâtiment D notamment en matière d’amiante » et, d’autre part, d’enjoindre à cette société de lui communiquer ces informations, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.
Par un jugement n° 1713705 du 31 mai 2018, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision litigieuse et enjoint à la société de lui communiquer les documents demandés dans un délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement, sans assortir cette injonction d’une astreinte.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 25 juillet et 3 octobre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la société HLM Antin Résidences demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler ce jugement ;
2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter la demande de M. B…;
3°) de mettre la somme de 3 500 euros à la charge de M.B…, au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code de la construction et de l’habitation ;
– le code des relations entre le public et l’administration ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Jacques Reiller, conseiller d’Etat,
– les conclusions de Mme Anne Iljic, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de la société HLM Antin Résidences et à la SCP Zribi et Texier, avocat de M. A…B…;
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 31 mai 2018, le tribunal administratif de Paris a annulé pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle la société HLM Antin Résidences a refusé de communiquer à M. B…un rapport et plusieurs autres documents relatifs à la recherche d’amiante dans un bâtiment de logements sociaux situé 1, rue Defrance, à Vincennes, et enjoint à cette société de les lui communiquer dans le délai de deux mois, sous réserve le cas échéant de l’occultation préalable des mentions nominatives concernant des tiers. La société HLM Antin Résidences se pourvoit en cassation contre ce jugement.
2. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B…a demandé à la société HLM Antin Résidences la communication des documents litigieux le 13 mars 2017 et non le 13 mars 2016 comme l’indique à tort, du fait d’une simple erreur de plume, le jugement frappé de pourvoi. Le silence gardé sur cette demande, qui a fait l’objet d’un accusé de réception du 14 mars 2017, a fait naître une décision de refus, le 14 avril 2017 au terme du délai d’un mois prévu par l’article R. 311-13 du code des relations entre le public et l’administration. En saisissant la Commission d’accès aux documents administratifs le 27 avril 2017, M. B…a respecté, contrairement à ce qui est soutenu, la condition de délai impartie par l’article R. 343-1 du même code, aux termes duquel l’intéressé » dispose d’un délai de deux mois à compter de la notification du refus ou de l’expiration du délai prévu à l’article R. 311-13 pour saisir la Commission d’accès aux documents administratifs « . Il s’ensuit que le tribunal administratif de Paris n’a pas commis d’erreur de droit en ne rejetant pas d’office comme tardive la demande dont il était saisi.
3. En deuxième lieu, l’article L. 300-2 du code des relations entre le public et l’administration dispose que : » Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l’Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d’une telle mission. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions « . S’agissant des documents détenus par un organisme privé chargé d’une mission de service public, seuls ceux qui présentent un lien suffisamment direct avec la mission de service public constituent des documents administratifs communicables en vertu de l’article L. 311-1 du code des relations entre le public et l’administration, sous réserve des dispositions de l’article L. 311-6 de ce code et notamment du respect des secrets protégés par la loi.
4. L’article L. 411 du code de la construction et de l’habitation dispose que : » La construction, l’aménagement, l’attribution et la gestion des logements locatifs sociaux visent à améliorer les conditions d’habitat des personnes de ressources modestes ou défavorisées. (…) « . Aux termes de l’article L. 411-2 du même code : » Les organismes d’habitations à loyer modéré comprennent : (…) – les sociétés anonymes d’habitations à loyer modéré (…). [Ils] bénéficient (…) d’exonérations fiscales et d’aides spécifiques de l’Etat au titre du service d’intérêt général défini comme : la construction, l’acquisition, l’amélioration, l’attribution, la gestion et la cession de logements locatifs à loyers plafonnés, lorsqu’elles sont destinées à des personnes dont les revenus sont inférieurs aux plafonds maximum fixés par l’autorité administrative (…) « . Une société anonyme d’habitations à loyer modéré constitue un organisme de droit privé qui, s’il n’a pas été doté de prérogatives de puissance publique, n’en remplit pas moins, eu égard à l’intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation et de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées et aux mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints, une mission de service public.
5. Dès lors qu’elles se rapportent aux conditions d’habitat des personnes de ressources modestes ou défavorisées, les obligations qui pèsent sur une société anonyme d’habitations à loyer modéré relèvent de la mission de service public qui lui est confiée. Les documents sollicités par M. B…portent sur la recherche de la présence d’amiante et les mesures de contrôle et de réduction d’exposition à l’amiante effectuées par la société HLM Antin Résidences dans le bâtiment de logements sociaux situé 1, rue Defrance, à Vincennes. Ils présentent ainsi un lien suffisamment direct avec sa mission de service public. Il s’ensuit que le tribunal administratif n’a pas inexactement qualifié les faits de l’espèce en jugeant que ces documents présentaient le caractère de documents administratifs communicables en application de l’article L. 300-2 du code des relations entre le public et l’administration.
6. En troisième lieu, l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration dispose que : » Ne sont communicables qu’à l’intéressé les documents administratifs : 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée (…) « . Aux termes de l’article L. 311-7 du même code : » Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L. 311-5 et L. 311-6 mais qu’il est possible d’occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions « .
7. La protection de la vie privée des personnes occupant des logements dans le bâtiment faisant l’objet de la demande de communication litigieuse implique seulement l’occultation des mentions nominatives les concernant. Il s’ensuit qu’en enjoignant à la société HLM Antin Résidences, pour assurer l’exécution de l’annulation qu’il prononçait, de procéder à la communication à M. B…des documents litigieux sous réserve de la seule occultation préalable des mentions nominatives concernant des tiers, le tribunal administratif de Paris n’a pas commis d’erreur de droit.
8. Il résulte de tout ce qui précède que la société HLM Antin Résidences n’est pas fondée à demander l’annulation du jugement qu’elle attaque. Son pourvoi doit donc être rejeté, y compris les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la société HLM Antin Résidences la somme de 3 000 euros à verser à M. B…au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
————–
Article 1er : Le pourvoi de la SA HLM Antin Résidences est rejeté.
Article 2 : La SA HLM Antin Résidences versera à M. B…une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3: La présente décision sera notifiée à la SA HLM Antin Résidences et à M. A…B….