Conseil d’État
N° 355370
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
6ème et 1ère sous-sections réunies
M. Bruno Chavanat, rapporteur
M. Xavier de Lesquen, rapporteur public
SCP PIWNICA, MOLINIE ; LE PRADO ; SCP DEFRENOIS, LEVIS ; SCP DELAPORTE, BRIARD, TRICHET, avocats
lecture du mercredi 30 janvier 2013
Vu, 1° sous le n° 355370, le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 30 décembre 2011 et 30 mars 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la société Eole les Patoures, dont le siège est chemin de Lussac-les Eglises, la Bourdaille, lieudit Bois Bardon à Lussac-les-Eglises; la société Eole les Patoures demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt n° 10BX02175 du 2 novembre 2011 par lequel la cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté le recours de la ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer tendant à l’annulation du jugement n°s 0900549, 0900614, 0901209 et 0901405 du 24 juin 2010 du tribunal administratif de Limoges ayant, à la demande de l’association pour la sauvegarde de la Gartempe, de l’association pour la sauvegarde et la préservation de l’environnement rural, de M.F…, de MmeH…, de M.E…, de M. et Mme A…B…, de MmeI…, de M. C…et de M.G…, annulé l’arrêté du 21 janvier 2009 par lequel le préfet de la Haute-Vienne a autorisé la création d’une zone de développement de l’éolien sur le territoire des communes de Lussac-les-Eglises, Jouac et Saint-Martin-le-Mault ;
2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à l’appel de la ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer ;
3°) de mettre conjointement à la charge de l’association pour la sauvegarde et la préservation de l’environnement rural, de M.F…, de MmeH…, de M.E…, de M. et Mme A…B…, de MmeI…, de M. C…et de M. G…le versement d’une somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu, 2° sous le n° 355732, le pourvoi, enregistré le 9 janvier 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présenté par la ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement ; la ministre demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler le même arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux ;
2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à son appel ;
…………………………………………………………………………
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code de l’énergie ;
Vu le code de l’environnement ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 ;
Vu la loi n° 2005-781 du 13 juillet 2005 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Bruno Chavanat, Maître des Requêtes,
– les observations de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Eole les Patoures, de la SCP Defrenois, Levis, avocat de l’association pour la sauvegarde et la préservation de l’environnement rural Asper, de Me Le Prado, avocat de l’association pour la sauvegarde de la Gartempe et de M. D…G…, et de la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de la Région Limousin,
– les conclusions de M. Xavier de Lesquen, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Eole les Patoures, à la SCP Defrenois, Levis, avocat de l’association pour la sauvegarde et la préservation de l’environnement rural Asper, à Me Le Prado, avocat de l’association pour la sauvegarde de la Gartempe et de M. D…G…, et à la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de la Région Limousin ;
1. Considérant qu’il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que la communauté de communes de Brame Benaize a sollicité du préfet de la Haute Vienne la création d’une zone de développement de l’éolien sur le territoire des communes de Lussac-les-Eglises et Saint-Martin-le Mault ; que par un arrêté du 21 janvier 2009, le préfet a autorisé la création de cette zone ; qu’à la demande de l’association pour la sauvegarde de la Gartempe, de l’association pour la sauvegarde et la préservation de l’environnement rural et de riverains du projet, cet arrêté a été annulé par un jugement du 24 juin 2010 du tribunal administratif de Limoges ; que par un arrêt du 2 novembre 2011, contre lequel la société Eole les Patoures et la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie se pourvoient en cassation, la cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté l’appel formé par la ministre de l’écologie contre ce jugement ; qu’il y a lieu de joindre ces pourvois pour statuer par une seule décision ;
Sur le pourvoi de la société Eole-les-Patoures :
2. Considérant que la personne qui, devant la cour administrative d’appel, est régulièrement intervenue en défense, n’est recevable à se pourvoir en cassation contre l’arrêt rendu contrairement aux conclusions de son intervention que lorsqu’elle aurait eu qualité, à défaut d’intervention de sa part, pour former tierce opposition contre l’arrêt faisant droit à l’appel ; que si la société Eole-les-Patoures, société productrice d’électricité ayant installé un mât de mesures sur la commune de Lussac-les-Eglises, fait valoir qu’elle a déposé une demande de permis de construire en vue de l’implantation d’éoliennes au sein de la zone, l’autorisation demandée n’ayant cependant pas encore été délivrée, cette circonstance ne suffit pas à permettre de la regarder comme titulaire d’un droit lésé qui aurait pu lui permettre, en l’absence d’intervention de sa part dans l’instance qui a donné lieu à l’arrêt du 2 novembre 2011 de la cour administrative d’appel de Bordeaux rendu sur appel du ministre chargé de l’énergie, de former une tierce opposition contre cet arrêt ; qu’ainsi, elle ne peut être regardée comme une partie et n’est dès lors pas recevable à demander par la voie du recours en cassation l’annulation de cet arrêt ;
Sur le pourvoi du ministre :
En ce qui concerne la recevabilité du pourvoi :
3. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que la ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement a reçu notification de l’arrêt attaqué le 7 novembre 2011 ; que son pourvoi contre cet arrêt a été enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat le lundi 9 janvier 2012, soit le dernier jour du délai de deux mois imparti par les dispositions de l’article R. 821-1 du code de justice administrative ; qu’il est, par suite, recevable ;
En ce qui concerne les interventions au soutien du pourvoi du ministre :
4. Considérant que la région Limousin et la société Eole les Patoures ont intérêt à l’annulation de l’arrêt attaqué ; qu’ainsi leurs interventions à l’appui du pourvoi sont recevables ;
En ce qui concerne le bien fondé de l’arrêt :
5. Considérant qu’aux termes de l’article 10-1 ajouté à la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité par l’article 37 de la loi du 13 juillet 2005, dans sa rédaction en vigueur à la date de l’arrêté contesté : » Les zones de développement de l’éolien sont définies par le préfet du département en fonction de leur potentiel éolien, des possibilités de raccordement aux réseaux électriques et de la protection des paysages, des monuments historiques et des sites remarquables et protégés. Elles sont proposées par la ou les communes dont tout ou partie du territoire est compris dans le périmètre proposé ou par un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre, sous réserve de l’accord de la ou des communes membres dont tout ou partie du territoire est compris dans le périmètre proposé. / La proposition de zones de développement de l’éolien en précise le périmètre et définit la puissance installée minimale et maximale des installations produisant de l’électricité à partir de l’énergie mécanique du vent pouvant bénéficier, dans ce périmètre, des dispositions de l’article 10. Elle est accompagnée d’éléments facilitant l’appréciation de l’intérêt du projet au regard du potentiel éolien, des possibilités de raccordement aux réseaux électriques et de la protection des paysages, des monuments historiques et des sites remarquables et protégés ./ La décision du préfet du département intervient sur la base de la proposition dans un délai maximal de six mois à compter de la réception de celle-ci, après avis de la commission départementale compétente en matière de nature, de paysages et de sites et des communes limitrophes à celles dont tout ou partie du territoire est compris dans la zone de développement de l’éolien (…)/ Les zones de développement de l’éolien s’imposent au schéma régional éolien défini au I de l’article L. 553-4 du code de l’environnement » ; qu’en vertu de l’article 10 de la loi du 10 février 2000, dans sa rédaction issue de la même loi du 13 juillet 2005, les installations de production d’électricité d’origine éolienne implantées dans ces zones bénéficient, dans les conditions prévues par cet article, d’une obligation d’achat par Electricité de France et les distributeurs non nationalisés, à un tarif réglementaire, de l’électricité produite ;
6. Considérant que si les dispositions de l’article 10-1 de la loi du 10 février 2000 indiquent que la proposition de zones de développement de l’éolien est accompagnée d’éléments » facilitant notamment l’appréciation de l’intérêt du projet au regard du potentiel éolien « , il ne saurait en être déduit que la seule indication de l’existence d’un gisement éolien sur le site soit suffisante pour que le critère légal tiré du potentiel éolien de la zone soit satisfait ; que, contrairement à ce que soutient la ministre, les dispositions de cet article ont pour objet de subordonner la création de zones de développement éolien, qui ouvrent droit à un régime préférentiel d’achat de l’électricité produite, à l’existence d’un potentiel éolien significatif ; que, par suite, la cour administrative d’appel de Bordeaux n’a pas commis d’erreur de droit en recherchant si le préfet de la Haute-Vienne disposait d’éléments suffisants pour apprécier le potentiel éolien réel de la zone ;
7. Considérant cependant que ni le législateur ni le pouvoir réglementaire n’ont précisé les éléments au vu desquels doit être apprécié le potentiel éolien d’une zone ; que pour pouvoir se livrer à une telle appréciation, l’autorité préfectorale doit disposer de données recueillies selon une méthode scientifique de nature à établir le potentiel éolien de la zone à une échelle géographique et avec une précision suffisante ; qu’aux termes de l’article L. 553-4 du code de l’environnement dans sa rédaction applicable à la date de l’arrêté contesté, les régions peuvent mettre en place un schéma régional éolien qui » indique les secteurs géographiques qui paraissent les mieux adaptés à l’implantation d’installations produisant de l’électricité en utilisant l’énergie mécanique du vent » ; qu’en jugeant que les données fournies par l’atlas du potentiel éolien dressé dans le cadre du schéma régional éolien limousin, après avoir constaté, par une appréciation souveraine, qu’elles étaient fondées sur les résultats d’une modélisation réalisée par Météo France permettant de déterminer le vent moyen sur un an à une hauteur de 80 mètres, et dont la fiabilité avait été vérifiée sur quatorze stations météorologiques de la région Limousin, n’étaient par elles-mêmes pas suffisantes pour permettre d’apprécier la réalité du potentiel éolien d’une zone en application de l’article 10-1 de la loi de 2000 et devaient être complétées par d’autres données spécifiques à la zone en cause, la cour administrative d’appel de Bordeaux a commis une erreur de droit ;
8. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, que la ministre est fondée à demander l’annulation de l’arrêt attaqué ;
Sur les conclusions présentées au titre de l’article L 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’il soit fait droit aux conclusions de l’association pour la sauvegarde de la Gartempe et de M.G…, d’une part, et de l’association pour la sauvegarde et la préservation de l’environnement rural, d’autre part, tendant à ce qu’une somme soit mise à la charge de l’Etat au titre des frais exposés non compris dans les dépens dans l’instance n° 355732 ; qu’elles font également obstacle à ce que la région Limousin qui, étant intervenante, n’a pas la qualité de partie à l’instance, obtienne le versement d’une somme à ce même titre ;
10. Considérant que ces mêmes dispositions font également obstacle à ce qu’il soit fait droit aux conclusions de la société Eole-les-Patoures, dans l’instance n° 355370, tendant au versement de la somme qu’elle réclame sur ce fondement ; qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions présentées dans cette même instance par l’association pour la sauvegarde de la Gartempe et M.G…, d’une part, et par l’association pour la sauvegarde et la préservation de l’environnement rural, d’autre part ;
D E C I D E :
————–
Article 1er : Le pourvoi de la société Eole-les-Patoures est rejeté.
Article 2 : Les interventions de la société Eole-les-Patoures et de la région Limousin sont admises.
Article 3 : L’arrêt du 2 novembre 2011 de la cour administrative d’appel de Bordeaux est annulé.
Article 4 : L’affaire est renvoyée devant la cour administrative d’appel de Bordeaux.
Article 5 : Les conclusions présentées au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative par la région Limousin, la société Eole les Patoures, l’association pour la sauvegarde de la Gartempe, M. G…et l’association pour la sauvegarde et la préservation de l’environnement rural sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, à l’association pour la sauvegarde de la Gartempe, à M.G…, à l’association pour la sauvegarde et la préservation de l’environnement rural, à la société Eole-les-Patoures et à la région Limousin.
Copie en sera adressé à M.F…, MmeH…, M.E…, M. et Mme duB…, Mme I…et M.C….