Conseil d’État
N° 363282
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
6ème et 1ère sous-sections réunies
M. Didier Ribes, rapporteur
Mme Suzanne von Coester, rapporteur public
SCP NICOLAY, DE LANOUVELLE, HANNOTIN ; LE PRADO, avocats
lecture du vendredi 12 avril 2013
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Texte intégral
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 8 et 22 octobre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, présentés pour la SCI Chalet des Aulnes, dont le siège est 9, rue du Chalet des Aulnes, à Saussay (28260), représentée par son gérant en exercice ; la SCI Chalet des Aulnes demande au Conseil d’État :
1°) d’annuler l’ordonnance n° 12NT00562 du 18 septembre 2012 par laquelle le juge des référés de la cour administrative d’appel de Nantes a, à la demande de la société GDF Suez, d’une part, annulé l’ordonnance n° 11-4146 du 9 février 2012 par laquelle le président du tribunal administratif d’Orléans statuant en référé, a, à sa demande, prescrit une expertise en vue de déterminer les désordres résultant de la pollution affectant une parcelle située route d’Ezy à Anet à la suite d’activités anciennement exploitées sur le terrain par le précédent propriétaire, la société Gaz de France, d’autre part, rejeté sa demande présentée devant le tribunal administratif d’Orléans ;
2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande ;
3°) de mettre à la charge de l’État le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 3 avril 2013, présentée pour la SCI Chalet des Aulnes ;
Vu le code de l’environnement ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Didier Ribes, Maître des Requêtes,
– les observations de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la SCI Chalet des Aulnes, et de Me Le Prado, avocat de la société GDF Suez,
– les conclusions de Mme Suzanne von Coester, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la SCI Chalet des Aulnes, et à Me Le Prado, avocat de la société GDF Suez ;
1. Considérant qu’aux termes de l’article R. 532-1 du code de justice administrative : » Le juge des référés peut, sur simple requête et même en l’absence de décision administrative préalable, prescrire toute mesure utile d’expertise ou d’instruction. (…) » ; que, si le juge des référés n’est pas saisi du principal, l’utilité d’une mesure d’instruction ou d’expertise qu’il lui est demandé d’ordonner sur le fondement de l’article R. 532-1 du code de justice administrative doit être appréciée dans la perspective d’un litige principal, actuel ou éventuel, relevant lui-même de la compétence de la juridiction à laquelle ce juge appartient, et auquel cette mesure est susceptible de se rattacher ;
2. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés de la cour administrative d’appel de Nantes que la société Gaz de France, aux droits de laquelle vient la société GDF Suez, a vendu en 1989 à la SCI Chalet des Aulnes un ensemble immobilier, situé sur le territoire de la commune d’Anet (Eure-et-Loir), sur le site duquel a été exploitée jusqu’en 1964 une usine à gaz ; que cet immeuble renferme en son sous-sol des canalisations de gaz hors service ainsi que les fondations de deux gazomètres et une fosse bouchée, remplie de goudron ; qu’après avoir divisé cet immeuble en deux parcelles et vendu l’une d’elle, la SCI a trouvé en 2009 un acquéreur pour la seconde parcelle, lequel envisageait d’y implanter un atelier de fabrication et de vente de foie gras ; que, préalablement à la vente de cette parcelle dans le sous-sol duquel se trouvent les éléments décrits ci-dessus, elle a fait réaliser un diagnostic de pollution des sols qui a révélé la présence d’une pollution incompatible avec l’usage futur envisagé ; qu’à la suite du refus de la société GDF Suez, de la commune d’Anet et de l’État de prendre en charge les conséquences de cette pollution, la SCI Chalet des Aulnes a saisi le juge des référés du tribunal administratif d’Orléans d’une demande tendant à ce qu’une expertise soit ordonnée sur le fondement de l’article R. 532-1 du code de justice administrative, aux fins, notamment, de déterminer l’origine de la pollution identifiée, sa consistance, le coût d’une remise en état du site, l’ensemble des préjudices subis par la SCI ainsi que les éléments permettant d’établir les responsabilités encourues ;
3. Considérant que, par l’ordonnance attaquée du 18 septembre 2012, le juge des référés de la cour administrative d’appel de Nantes a, d’une part, annulé l’ordonnance du 9 février 2012 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif d’Orléans a fait droit à la demande d’expertise en vue de déterminer les désordres résultant de la pollution du site et, d’autre part, rejeté cette demande ; qu’il s’est fondé, pour ce faire, sur le motif que l’expertise demandée aurait été dépourvue du caractère d’utilité exigé par les dispositions de l’article R. 532-1 du code de justice administrative dès lors que, la prescription trentenaire de l’obligation de remise en état du site pollué pesant sur la société GDF Suez étant acquise, elle faisait obstacle à ce que le préfet lui impose une remise en état du site pollué et s’opposait, par suite, à ce que la requérante puisse rechercher la responsabilité de l’État dans l’exercice de ses pouvoirs de police en matière d’installations classées ;
4. Considérant qu’en statuant ainsi, alors que la prescription trentenaire susceptible d’affecter l’obligation de prendre en charge la remise en état du site pesant sur l’exploitant d’une installation classée, son ayant droit ou celui qui s’est substitué à lui, est sans incidence, d’une part, sur l’exercice, à toute époque, par l’autorité administrative des pouvoirs de police spéciale conférés par la loi en présence de dangers ou inconvénients se manifestant sur le site où a été exploitée une telle installation, et, d’autre part, sur l’engagement éventuel de la responsabilité de l’État à ce titre, le juge des référés de la cour administrative d’appel de Nantes a entaché son ordonnance d’erreur de droit ; que, par suite, la SCI Chalet des Aulnes est fondée à en demander l’annulation ;
5. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’État le versement à la SCI Chalet des Aulnes d’une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu’en revanche, ces mêmes dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de la SCI Chalet des Aulnes, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande la société GDF Suez au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : L’ordonnance n° 12NT00562 du 18 septembre 2012 du juge des référés de la cour administrative d’appel de Nantes est annulée.
Article 2 : L’affaire est renvoyée au juge des référés de la cour administrative d’appel de Nantes.
Article 3 : L’État versera à la SCI Chalet des Aulnes la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la société GDF Suez au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la SCI Chalet des Aulnes, à la société GDF Suez, à la commune d’Anet et à la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.