Vu la procédure suivante :
Mme B. A. a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand d’annuler, d’une part, la délibération du 20 avril 2018 du conseil municipal de la commune de Beaulieu (Puy-de-Dôme) mandatant le maire pour émettre des titres exécutoires à son encontre pour le recouvrement des frais de démolition de l’immeuble lui appartenant implanté sur la parcelle cadastrée section A n° 446 et des honoraires d’expertise et, d’autre part, les titres exécutoires n° 204 et n° 205 d’un montant respectif de 40 874,40 € et de 1 128 € émis à son encontre le 27 novembre 2018 par le maire de la commune de Beaulieu. Par un jugement nos 1801391, 1900180 du 31 décembre 2020, ce tribunal a rejeté ces demandes.
Par un arrêt n° 21LY00511, 21LY03564 du 7 avril 2022, la cour administrative d’appel de Lyon a rejeté l’appel formé par Mme A. contre ce jugement ainsi que sa demande tendant à ce qu’il soit sursis à l’exécution de ce jugement.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 6 juin et 6 septembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, Mme A. demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler cet arrêt ;
2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à ses conclusions d’appel ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Beaulieu la somme de 5 000 € au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code de la construction et de l’habitation ;
– le code général des collectivités territoriales ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Julien Autret, maître des requêtes,
– les conclusions de M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Hannotin, avocat de Mme B. A. et à la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat de la commune de Beaulieu ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le maire de Beaulieu (Puy-de-Dôme) a, en application d’un arrêté de péril imminent pris le 31 décembre 2013 sur le fondement de l’article L. 511-3 du code de la construction et de l’habitation, fait procéder à la démolition de l’immeuble implanté sur la parcelle cadastrée section A n° 446 située rue de la Fumille au lieu-dit Fenier, à Beaulieu, appartenant à Mme B. A. et a mis à la charge de celle-ci, par deux titres exécutoires n° 145 et n° 147 pris le 18 décembre 2015, d’un montant respectif de 40 874,40 € et de 1 128 €, les frais correspondant, respectivement, au coût de la démolition de cet immeuble et au montant des honoraires du bureau d’études sollicité. Ces titres ont été annulés par un jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 2 février 2017 devenu définitif. Par une délibération du 20 avril 2018, le conseil municipal de la commune a mandaté le maire pour remettre ces sommes à la charge de Mme A. sur le fondement de l’enrichissement sans cause, et le maire a émis, le 27 novembre 2018, deux nouveaux titres exécutoires n° 204 et n° 205 mettant à sa charge les mêmes montants que ceux figurant sur les titres annulés. Mme A. a saisi le tribunal administratif de Clermont-Ferrand d’une demande tendant à l’annulation de cette délibération et des deux titres exécutoires du 27 novembre 2018. Par un jugement du 31 décembre 2020, ce tribunal a rejeté ses demandes. La cour administrative d’appel de Lyon a, par un arrêt du 7 avril 2022, rejeté la demande de Mme A. tendant à ce qu’il soit sursis à l’exécution de ce jugement, son appel formé contre ce jugement ainsi que ses conclusions à fin d’annulation de la mise en demeure de payer la somme de 42 002,40 € émise à son encontre le 20 janvier 2021. Mme A. se pourvoit en cassation contre cet arrêt. Eu égard aux moyens qu’il soulève, le pourvoi doit être regardé comme dirigé contre l’arrêt en tant seulement qu’il a rejeté les conclusions de la requérante à fin d’annulation des titres exécutoires du 27 novembre 2018 ou de réduction des sommes mises à sa charge.
2. Aux termes de l’article L. 511-2 du code de la construction et de l’habitation, dans sa version applicable au litige : « I.- Le maire, à l’issue d’une procédure contradictoire dont les modalités sont définies par décret en Conseil d’Etat, met le propriétaire de l’immeuble menaçant ruine, et le cas échéant les personnes mentionnées au premier alinéa de l’article L. 511-1-1, en demeure de faire dans un délai déterminé, selon le cas, les réparations nécessaires pour mettre fin durablement au péril ou les travaux de démolition, ainsi que, s’il y a lieu, de prendre les mesures indispensables pour préserver les bâtiments contigus. / Si l’état du bâtiment, ou d’une de ses parties, ne permet pas de garantir la sécurité des occupants, le maire peut assortir l’arrêté de péril d’une interdiction d’habiter et d’utiliser les lieux qui peut être temporaire ou définitive. Les dispositions des articles L. 521-1 à L. 521-4 sont alors applicables. […] / IV.- Lorsque l’arrêté de péril n’a pas été exécuté dans le délai fixé, le maire met en demeure le propriétaire d’y procéder dans un délai qu’il fixe et qui ne peut être inférieur à un mois. / A défaut de réalisation des travaux dans le délai imparti, le maire, par décision motivée, fait procéder d’office à leur exécution. Il peut également faire procéder à la démolition prescrite, sur ordonnance du juge statuant en la forme des référés, rendue à sa demande. / […] Lorsque la commune se substitue au propriétaire défaillant et fait usage des pouvoirs d’exécution d’office qui lui sont reconnus, elle agit en lieu et place des propriétaires, pour leur compte et à leurs frais. » Aux termes de l’article L. 511-3 du même code, dans sa version applicable au litige : « En cas de péril imminent, le maire, après avertissement adressé au propriétaire, demande à la juridiction administrative compétente la nomination d’un expert qui, dans les vingt-quatre heures qui suivent sa nomination, examine les bâtiments, dresse constat de l’état des bâtiments mitoyens et propose des mesures de nature à mettre fin à l’imminence du péril s’il la constate. / Si le rapport de l’expert conclut à l’existence d’un péril grave et imminent, le maire ordonne les mesures provisoires nécessaires pour garantir la sécurité, notamment, l’évacuation de l’immeuble. / Dans le cas où ces mesures n’auraient pas été exécutées dans le délai imparti, le maire les fait exécuter d’office. En ce cas, le maire agit en lieu et place des propriétaires, pour leur compte et à leurs frais. / […]. »
3. Aux termes de l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, dans sa version applicable au litige : « La police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : / 1° Tout ce qui intéresse la sûreté et la commodité du passage dans les rues, quais, places et voies publiques, ce qui comprend le nettoiement, l’éclairage, l’enlèvement des encombrements, la démolition ou la réparation des édifices et monuments funéraires menaçant ruine […]. » Aux termes de l’articles L. 2212-4 du même code : « En cas de danger grave ou imminent, tel que les accidents naturels prévus au 5° de l’article L. 2212-2, le maire prescrit l’exécution des mesures de sûreté exigées par les circonstances. / Il informe d’urgence le représentant de l’Etat dans le département et lui fait connaître les mesures qu’il a prescrites. »
Sur le pourvoi :
4. D’une part, il résulte des dispositions du code de la construction et de l’habitation citées au point 2 ci-dessus que si le maire peut ordonner la démolition d’un immeuble menaçant ruine en application des dispositions de l’article L. 511-2 de ce code, après accomplissement des formalités qu’il prévoit et que, à défaut d’exécution, il peut, sur ordonnance du juge statuant en la forme des référés rendue à sa demande, faire procéder à cette démolition par la commune aux frais du propriétaire, en revanche il doit, lorsqu’il agit sur le fondement de l’article L. 511-3 afin de faire cesser un péril imminent, se borner à prescrire les mesures provisoires nécessaires pour garantir la sécurité, également aux frais du propriétaire.
5. D’autre part, en présence d’une situation d’extrême urgence créant un péril particulièrement grave et imminent qui exige la mise en oeuvre immédiate d’une mesure de démolition, le maire ne peut l’ordonner que sur le fondement des pouvoirs de police générale qu’il tient des dispositions des articles L. 2212-2 et L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales citées au point 3 ci-dessus, en faisant réaliser ces travaux aux frais de la commune. Lorsque la personne publique entend toutefois obtenir le remboursement auprès d’un propriétaire privé des frais qu’elle a exposés à l’occasion de travaux de démolition engagés sur ce fondement en invoquant la responsabilité civile de ce propriétaire, au titre soit d’une faute soit de son enrichissement sans cause, la contestation de la créance invoquée par la personne publique constitue, quel que soit son mode de recouvrement, un litige relevant de la compétence des tribunaux de l’ordre judiciaire, en l’absence d’une disposition législative spéciale régissant une telle action civile.
6. Il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué, non contestées en cassation, que l’immeuble de Mme A. était, au moment de sa démolition, à l’état de ruine imposant cette démolition. Il ressort cependant des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les précédents titres exécutoires émis le 18 décembre 2015 par le maire de Beaulieu ont été annulés par un jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 2 février 2017, devenu définitif, au motif que le maire, en ordonnant la démolition de cet immeuble par un arrêté pris sur le fondement de l’article L. 511-3 du code de la construction et de l’habitation, avait méconnu l’étendue des pouvoirs qu’il tient de cet article. Dans ces conditions, il résulte de ce qui a été dit aux points 4 et 5 que ces travaux de démolition ne pouvaient être réalisés, aux frais de la commune, que sur le fondement des articles L. 2212-2 et L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales et que le litige portant sur le remboursement par Mme A. des sommes ainsi exposées par la commune relevait de la compétence du juge judiciaire, que le fondement de la demande de remboursement soit la faute commise par l’intéressée ou son enrichissement sans cause. En conséquence, en statuant sur les conclusions de Mme A. à fin d’annulation des titres exécutoires du 27 novembre 2018, la cour administrative d’appel a méconnu l’étendue de sa compétence juridictionnelle. Par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner les moyens du pourvoi, son arrêt doit être annulé en tant qu’il statue sur ces conclusions.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative dans la mesure de la cassation prononcée.
Sur le règlement au fond du litige :
8. Pour les motifs énoncés au point 6 ci-dessus, il y a lieu d’annuler le jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand en tant qu’il a rejeté les conclusions de Mme A. tendant à l’annulation des titres exécutoires en litige et de rejeter ces conclusions comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la commune de Beaulieu une somme de 3 000 € à verser à Mme A. au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de Mme A. la somme demandée par la commune de Beaulieu au titre des mêmes dispositions.
Décide :
Article 1er : L’arrêt du 7 avril 2022 de la cour administrative d’appel de Lyon et le jugement du 31 décembre 2020 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand sont annulés en tant qu’ils rejettent les conclusions de Mme A. tendant à l’annulation des titres exécutoires n° 204 et n° 205 du 27 novembre 2018 émis par le maire de Beaulieu.
Article 2 : Les conclusions mentionnées à l’article 1er sont rejetées comme présentées devant une juridiction incompétente pour en connaître.
Article 3 : La commune de Beaulieu versera à Mme A. une somme de 3 000 € au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la commune de Beaulieu sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme B. A. et à la commune de Beaulieu.