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ICPE : comment analyser les effets sur l’environnement d’un projet d’installation classée ?

Arrêt rendu par Conseil d’Etat
27-03-2023
n° 450135
Texte intégral :
Vu la procédure suivante :

L’association France Nature Environnement Bouches-du-Rhône, l’association Convergence écologique du Pays de Gardanne, M. B. A., l’association Les Amis de la Terre des Bouches-du-Rhône, l’association Cèze et Ganière, l’association Collectif Vigilance Gaz de Gardanne-Pays d’Aix, l’association de lutte contre toutes formes de nuisances et de pollutions sur les communes de Meyreuil et Gardanne, l’association France Nature Environnement Provence-Alpes-Côte-d’Azur, l’association France Nature Environnement Alpes de Haute-Provence, le syndicat national unifié des personnels des forêts et de l’espace naturel, le syndicat mixte du parc naturel régional du Lubéron, la communauté de communes du Pays de Forcalquier – Montagne de Lure, la communauté de communes du Pays de Banon et le syndicat mixte du parc naturel régional du Verdon ont demandé au tribunal administratif de Marseille d’annuler la décision du préfet des Bouches-du-Rhône du 29 novembre 2012 autorisant la société E.ON Société Nationale d’Electricité et de Thermique à poursuivre l’exploitation des installations de la centrale de Provence et à exploiter la biomasse sur la tranche n° 4, à créer des bâtiments de stockage de plaquettes de bois sur la zone de la centrale et une aire de stockage de bois bruts et un bâtiment de broyage sur la zone de la Mounine et à créer des convoyeurs, sur le territoire des communes de Gardanne et de Meyreuil. Par un jugement n° 1307619, 1404665, 1502266 du 8 juin 2017, le tribunal administratif de Marseille a fait droit à leur demande.

Par un arrêt n° 17MA03489 – 17MA03528 du 24 décembre 2020, la cour administrative d’appel de Marseille a, sur appel de la société Uniper France Power, devenue en cours d’instance Gazel Energie Génération, et du ministre de la transition écologique, annulé l’arrêté du 29 novembre 2012 en tant seulement qu’il fixait les valeurs limites d’émission des eaux résiduaires après épuration du mercure et de ses composés et du zinc dissous, réformé le jugement du tribunal administratif en ce qu’il avait totalement annulé cet arrêté et rejeté le surplus des conclusions des associations requérantes présentées devant le tribunal administratif.

Par un pourvoi sommaire et deux mémoires complémentaires, enregistrés les 25 février et 25 mai 2021 et le 2 mars 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’association France Nature Environnement Bouches-du-Rhône, l’association France Nature Environnement Provence-Alpes-Côte d’Azur, l’association France Nature Environnement Alpes de Haute-Provence, l’association Convergence Ecologique du Pays de Gardanne, l’association de lutte contre toutes les formes de nuisances et de pollutions sur les communes de Meyreuil et Gardanne et M. B. A. demandent au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à leur appel ;

3°) de mettre à la charge de la société Gazel Energie Génération et de l’Etat la somme de 3 000 € au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

– la directive 85/337/CEE du 27 juin 1985 ;

– la directive 2011/92/UE du 13 décembre 2011 ;

– le code de l’environnement ;

– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Rozen Noguellou, conseillère d’Etat,

– les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Hannotin Avocats, avocat de l’association France Nature Bouches-du-Rhône et autres et à la SCP Bauer-Violas-Feschotte-Desbois-Sebagh, avocat de la société Gazel Energie Generation ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 7 mars 2023, présentée par la société Gazel Energie Génération.

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que par un arrêté du 29 novembre 2012, pris au titre de la législation sur les installations classées pour la protection de l’environnement, le préfet des Bouches-du-Rhône a autorisé la société E.ON Société Nationale d’Electricité et de Thermique, devenue société Gazel Energie Génération, à poursuivre l’exploitation des installations de la centrale de Provence et à exploiter la biomasse sur la tranche n° 4, à créer des bâtiments de stockage de plaquettes de bois sur la zone de la centrale et une aire de stockage de bois bruts et un bâtiment de broyage sur la zone de la Mounine et à créer des convoyeurs, sur le territoire des communes de Gardanne et de Meyreuil. Par un jugement du 8 juin 2017, le tribunal administratif de Marseille a, à la demande de l’association France nature environnement Bouches-du-Rhône et autres, annulé cet arrêté. Les associations requérantes se pourvoient en cassation contre l’arrêt du 24 décembre 2020 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille n’a annulé l’arrêté du 29 novembre 2012 qu’en tant seulement qu’il fixe les valeurs limites d’émission des eaux résiduaires après épuration du mercure et de ses composés et du zinc dissous et réformé le jugement du tribunal administratif en ce qu’il avait totalement annulé cet arrêté, puis a rejeté le surplus des conclusions présentées par les associations devant le tribunal administratif. Leur pourvoi doit ainsi être regardé comme dirigé contre cet arrêt en tant qu’il a reformé le jugement du tribunal administratif de Marseille du 8 juin 2017 et rejeté le surplus de leurs demandes.

2. Aux termes de l’article L. 122-1 du code de l’environnement dans sa rédaction applicable en l’espèce : « I. – Les projets de travaux, d’ouvrages ou d’aménagements publics et privés qui, par leur nature, leurs dimensions ou leur localisation sont susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement ou la santé humaine sont précédés d’une étude d’impact. / II. – Lorsque ces projets concourent à la réalisation d’un même programme de travaux, d’aménagements ou d’ouvrages et lorsque ces projets sont réalisés de manière simultanée, l’étude d’impact doit porter sur l’ensemble du programme. Lorsque la réalisation est échelonnée dans le temps, l’étude d’impact de chacun des projets doit comporter une appréciation des impacts de l’ensemble du programme. Lorsque les travaux sont réalisés par des maîtres d’ouvrage différents, ceux-ci peuvent demander à l’autorité administrative de l’Etat compétente en matière d’environnement de préciser les autres projets du programme, dans le cadre des dispositions de l’article L. 122-1-2. / Un programme de travaux, d’aménagements ou d’ouvrages est constitué par des projets de travaux, d’ouvrages et d’aménagements réalisés par un ou plusieurs maîtres d’ouvrage et constituant une unité fonctionnelle. / […] ». Aux termes de l’article R. 512-6 du code de l’environnement, dans sa rédaction alors en vigueur : « I. – A chaque exemplaire de la demande d’autorisation doivent être jointes les pièces suivantes : / […] / 4° L’étude d’impact prévue à l’article L. 122-1 dont le contenu, par dérogation aux dispositions de l’article R. 122-3, est défini par les dispositions de l’article R. 512-8 ; / […] ». Aux termes de l’article R. 512-8 du même code dans sa rédaction alors en vigueur : « I. – Le contenu de l’étude d’impact mentionnée à l’article R. 512-6 doit être en relation avec l’importance de l’installation projetée et avec ses incidences prévisibles sur l’environnement, au regard des intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1. / II. – Elle présente successivement : / 1° Une analyse de l’état initial du site et de son environnement, portant notamment sur les richesses naturelles et les espaces naturels agricoles, forestiers, maritimes ou de loisirs, ainsi que sur les biens matériels et le patrimoine culturel susceptibles d’être affectés par le projet ; / 2° Une analyse des effets directs et indirects, temporaires et permanents de l’installation sur l’environnement et, en particulier, sur les sites et paysages, la faune et la flore, les milieux naturels et les équilibres biologiques, sur la commodité du voisinage (bruits, vibrations, odeurs, émissions lumineuses) ou sur l’agriculture, l’hygiène, la santé, la salubrité et la sécurité publiques, sur la protection des biens matériels et du patrimoine culturel. Cette analyse précise notamment, en tant que de besoin, l’origine, la nature et la gravité des pollutions de l’air, de l’eau et des sols, les effets sur le climat, le volume et le caractère polluant des déchets, le niveau acoustique des appareils qui seront employés ainsi que les vibrations qu’ils peuvent provoquer, le mode et les conditions d’approvisionnement en eau et d’utilisation de l’eau […] ».

3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l’alimentation de la tranche n° 4 de la centrale de Provence supposera un approvisionnement en combustibles, et tout particulièrement en bois. Les ressources en bois d’origine locale devraient représenter, d’après le plan d’approvisionnement établi en 2011 et figurant dans le dossier soumis aux juges du fond, 27% de l’énergie entrante dans la centrale, cette part devant ensuite monter à 50%, le total de la biomasse d’origine locale devant, selon l’avis de l’autorité environnementale du 22 mai 2012, représenter un volume annuel de 370 000 à 580 000 tonnes. Les associations requérantes soutiennent que l’étude d’impact, si elle présente une estimation de la part prévisionnelle des principaux combustibles dans l’approvisionnement de la centrale, était insuffisante, faute notamment d’analyser les effets, pour les massifs forestiers, de la mise en oeuvre de ce plan d’approvisionnement en bois.

4. Les effets sur l’environnement d’un projet d’installation classée qui doivent, conformément à l’article R. 512-8 du code de l’environnement alors applicable, faire l’objet d’une analyse spécifique dans l’étude d’impact doivent être déterminés au regard de la nature de l’installation projetée, de son emplacement et de ses incidences prévisibles sur l’environnement.

5. L’appréciation de ces effets suppose que soient analysées dans l’étude d’impact non seulement les incidences directes sur l’environnement de l’ouvrage autorisé, mais aussi celles susceptibles d’être provoquées par son utilisation et son exploitation. Cette analyse doit, aux termes de l’article R. 512-8 du code de l’environnement cité au point 2 et alors applicable, être en relation avec l’importance de l’installation projetée. Or, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, ainsi qu’il a été dit au point 3, l’exploitation de la centrale de Provence repose sur la consommation de très grandes quantités de bois provenant de ressources forestières locales, ressources naturelles faisant l’objet d’une protection particulière. Il s’ensuit que les principaux impacts sur l’environnement de la centrale par son approvisionnement en bois, et notamment les effets sur les massifs forestiers locaux, doivent nécessairement être analysés dans l’étude d’impact. Par suite, en jugeant que l’étude d’impact n’avait pas à analyser les effets sur l’environnement du plan d’approvisionnement en bois de la centrale, la cour administrative d’appel de Marseille a entaché son arrêt d’erreur de droit.

6. Il résulte de ce qui précède que l’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille du 24 décembre 2020 doit être annulé en tant qu’il a reformé le jugement du tribunal administratif de Marseille du 8 juin 2017 et rejeté le surplus des conclusions des demandes des requérantes devant ce tribunal.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat et de la société Gazel Energie Génération la somme de 1 500 € chacun à verser à l’association France Nature Environnement Bouches-du-Rhône et autres au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions du même article font en revanche obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de France Nature Environnement Bouches-du-Rhône et autres, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes.

Décide :

Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille du 24 décembre 2020 est annulé en tant qu’il a reformé le jugement du tribunal administratif de Marseille du 8 juin 2017 et rejeté le surplus des conclusions des demandes des requérantes devant ce tribunal.

Article 2 : L’Etat et la société Gazel Energie Génération verseront chacun à l’association France Nature Environnement Bouches-du-Rhône et autres une somme de 1 500 €, au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions présentées par la société Gazel Energie Génération au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à l’association France Nature Environnement Bouches-du-Rhône, première dénommée pour l’ensemble des requérants, à la société Gazel Energie Génération et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

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