Le Conseil constitutionnel a été saisi le 29 septembre 2021 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 1275 du 28 septembre 2021), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Specitubes par Me Arnaud Cabanes, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2021-953 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article L. 171-8 du code de l’environnement et du paragraphe II de l’article L. 173-1 du même code.
Au vu des textes suivants :
– la Constitution ;
– l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
– le code de l’environnement ;
– la loi n° 2019-773 du 24 juillet 2019 portant création de l’Office français de la biodiversité, modifiant les missions des fédérations des chasseurs et renforçant la police de l’environnement ;
– le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
– les observations en intervention présentées par l’association France nature environnement, enregistrées le 19 octobre 2021 ;
– les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 20 octobre 2021 ;
– les secondes observations présentées pour la société requérante par Me Cabanes, enregistrées le 21 octobre 2021 ;
– les secondes observations en intervention présentées par l’association France nature environnement, enregistrées le 2 novembre 2021 ;
– les nouvelles observations présentées pour la société requérante par Me Cabanes, enregistrées le 3 novembre 2021 ;
– les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Cabanes, pour la société requérante, et M. Antoine Pavageau, désigné par le Premier ministre, à l’audience publique du 23 novembre 2021 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
Le Conseil constitutionnel s’est fondé sur ce qui suit :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l’occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi de l’article L. 171-8 du code de l’environnement et du paragraphe II de l’article L. 173-1 du même code dans leur rédaction résultant de la loi du 24 juillet 2019 mentionnée ci-dessus.
2. L’article L. 171-8 du code de l’environnement, dans cette rédaction, prévoit :
« I. – Indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées, en cas d’inobservation des prescriptions applicables en vertu du présent code aux installations, ouvrages, travaux, aménagements, opérations, objets, dispositifs et activités, l’autorité administrative compétente met en demeure la personne à laquelle incombe l’obligation d’y satisfaire dans un délai qu’elle détermine. En cas d’urgence, elle fixe, par le même acte ou par un acte distinct, les mesures nécessaires pour prévenir les dangers graves et imminents pour la santé, la sécurité publique ou l’environnement.
« II. – Si, à l’expiration du délai imparti, il n’a pas été déféré à la mise en demeure, aux mesures d’urgence mentionnées à la dernière phrase du I du présent article ou aux mesures ordonnées sur le fondement du II de l’article L. 171-7, l’autorité administrative compétente peut arrêter une ou plusieurs des sanctions administratives suivantes :
« 1° Obliger la personne mise en demeure à consigner entre les mains d’un comptable public avant une date déterminée par l’autorité administrative une somme correspondant au montant des travaux ou opérations à réaliser.
« Cette somme bénéficie d’un privilège de même rang que celui prévu à l’article 1920 du code général des impôts. Il est procédé à son recouvrement comme en matière de créances de l’Etat étrangères à l’impôt et au domaine.
« L’opposition à l’état exécutoire pris en application d’une mesure de consignation ordonnée par l’autorité administrative devant le juge administratif n’a pas de caractère suspensif ;
« 2° Faire procéder d’office, en lieu et place de la personne mise en demeure et à ses frais, à l’exécution des mesures prescrites. Les sommes consignées en application du 1° du présent II sont utilisées pour régler les dépenses ainsi engagées ;
« 3° Suspendre le fonctionnement des installations ou ouvrages, l’utilisation des objets et dispositifs, la réalisation des travaux, des opérations ou des aménagements ou l’exercice des activités jusqu’à l’exécution complète des conditions imposées et prendre les mesures conservatoires nécessaires, aux frais de la personne mise en demeure ;
« 4° Ordonner le paiement d’une amende administrative au plus égale à 15 000 €, recouvrée comme en matière de créances de l’Etat étrangères à l’impôt et au domaine, et une astreinte journalière au plus égale à 1 500 € applicable à partir de la notification de la décision la fixant et jusqu’à satisfaction de la mise en demeure ou de la mesure ordonnée. Les deuxième et dernier alinéas du même 1 ° s’appliquent à l’astreinte.
« Les amendes et les astreintes sont proportionnées à la gravité des manquements constatés et tiennent compte notamment de l’importance du trouble causé à l’environnement.
« L’amende ne peut être prononcée au-delà d’un délai de trois ans à compter de la constatation des manquements.
« Les mesures mentionnées aux 1° à 4° du présent II sont prises après avoir communiqué à l’intéressé les éléments susceptibles de fonder les mesures et l’avoir informé de la possibilité de présenter ses observations dans un délai déterminé.
« L’autorité administrative compétente peut procéder à la publication de l’acte arrêtant ces sanctions, sur le site internet des services de l’Etat dans le département, pendant une durée comprise entre deux mois et cinq ans. Elle informe préalablement la personne sanctionnée de la mesure de publication envisagée, lors de la procédure contradictoire prévue à l’avant-dernier alinéa du présent II ».
3. Le paragraphe II de l’article L. 173-1 du même code, dans sa rédaction résultant de la même loi, prévoit :
« II. – Est puni de deux ans d’emprisonnement et de 100 000 € d’amende le fait d’exploiter une installation ou un ouvrage, d’exercer une activité ou de réaliser des travaux mentionnés aux articles cités au premier alinéa, en violation :
« 1° D’une décision prise en application de l’article L. 214-3 d’opposition à déclaration ou de refus d’autorisation ;
« 2° D’une mesure de retrait d’une autorisation, d’un enregistrement, d’une homologation ou d’une certification mentionnés aux articles L. 214-3, L. 512-1, L. 512-7, L. 555-1, L. 571-2, L. 571-6 et L. 712-1 ;
« 3° D’une mesure de fermeture, de suppression, de suspension ou de remise des lieux en état d’une installation ou d’un ouvrage prise en application de l’article L. 171-7 de l’article L. 171-8, de l’article L. 514-7 ou du I de l’article L. 554-9 ;
« 4° D’une mesure d’arrêt, de suspension ou d’interdiction prononcée par le tribunal en application de l’article L. 173-5 ;
« 5° D’une mesure de mise en demeure prononcée par l’autorité administrative en application de l’article L. 171-7 ou de l’article L. 171-8. »
4. La société requérante dénonce comme contraire au principe non bis in idem le cumul possible entre l’amende administrative et les sanctions pénales prévues par ces dispositions en cas de violation d’une mise en demeure prononcée par l’autorité administrative en matière d’installations classées pour la protection de l’environnement. Il en résulterait, selon elle, une méconnaissance des principes de nécessité et de proportionnalité des délits et des peines.
5. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « Ordonner le paiement d’une amende administrative au plus égale à 15 000 € » figurant à la première phrase du 4° du paragraphe II de l’article L. 171-8 du code de l’environnement et sur le 5° du paragraphe II de l’article L. 173-1 du même code.
6. Selon l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. » Les principes ainsi énoncés ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions pénales mais s’étendent à toute sanction ayant le caractère d’une punition. Il découle du principe de nécessité des délits et des peines qu’une même personne ne peut faire l’objet de plusieurs poursuites tendant à réprimer de mêmes faits qualifiés de manière identique, par des sanctions de même nature, aux fins de protéger les mêmes intérêts sociaux. Si l’éventualité que deux procédures soient engagées peut conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique qu’en tout état de cause le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues.
7. Selon l’article L. 171-8 du code de l’environnement, en cas de méconnaissance des prescriptions applicables aux installations classées pour la protection de l’environnement, l’autorité administrative compétente met en demeure l’exploitant de l’installation ou de l’ouvrage classé d’y satisfaire dans un délai qu’elle détermine.
8. D’une part, les dispositions contestées du même article prévoient que l’exploitant qui ne s’est pas conformé à cette mise en demeure à l’expiration du délai imparti peut se voir infliger une amende administrative d’un montant maximum de 15 000 €.
9. D’autre part, les dispositions contestées de l’article L. 173-1 du même code prévoient qu’une personne physique reconnue coupable du délit d’exploitation d’une installation classée pour la protection de l’environnement en violation de cette mise en demeure encourt une peine de deux ans d’emprisonnement et de 100 000 € d’amende. Lorsqu’il s’applique à une personne morale, ce même délit est, selon l’article L. 173-8 du même code, puni d’une amende de 500 000 € qui peut s’accompagner, notamment, des peines de dissolution de la personne morale, de placement sous surveillance judiciaire, de fermeture temporaire ou définitive ou d’exclusion des marchés publics à titre temporaire ou définitif.
10. Ainsi, à la différence de l’article L. 171-8 qui prévoit uniquement une sanction de nature pécuniaire, l’article L. 173-1 prévoit une peine d’amende et une peine d’emprisonnement pour les personnes physiques ou, pour les personnes morales, une peine de dissolution, ainsi que les autres peines précédemment mentionnées.
11. Dès lors, les faits prévus et réprimés par les dispositions contestées doivent être regardés comme susceptibles de faire l’objet de sanctions de nature différente. Par conséquent, le grief tiré de la méconnaissance des principes de nécessité et de proportionnalité des peines doit être écarté.
12. Il résulte de ce qui précède que les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
Le Conseil constitutionnel décide :
Article 1er :/Les mots « Ordonner le paiement d’une amende administrative au plus égale à 15 000 € » figurant à la première phrase du 4° du paragraphe II de l’article L. 171-8 du code de l’environnement et le 5° du paragraphe II de l’article L. 173-1 du même code, dans leur rédaction résultant de la loi n° 2019-773 du 24 juillet 2019 portant création de l’Office français de la biodiversité, modifiant les missions des fédérations des chasseurs et renforçant la police de l’environnement, sont conformes à la Constitution.
Article 2. – Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 2 décembre 2021, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPE, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MEZARD, François PILLET et Michel PINAULT.