Vu la procédure suivante :
Par un déféré et un mémoire, enregistrés les 4 août 2022 et 18 novembre 2022, le préfet de la Savoie demande au tribunal d’annuler la délibération du 30 juin 2022 par laquelle le conseil municipal de la commune de Bourg-Saint-Maurice a approuvé le tarif des remontées mécaniques à destination de la clientèle locale pour la saison 2022-2023.
Il soutient que :
– la délibération est insuffisamment précise s’agissant de la notion d’employés de la station et de travailleurs indépendants ;
– la délibération attaquée, qui opère une différenciation des tarifs en fonction d’un critère de résidence ou du lieu d’emploi, méconnaît le principe d’égalité entre les usagers d’un service public industriel et commercial.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 13 septembre 2022 et 29 décembre 2022, la commune de Bourg-Saint-Maurice, représentée par Me Fyrgatian, conclut au rejet du déféré.
Elle soutient que :
– la signataire du déféré n’a pas qualité pour agir au nom du préfet de la Savoie ;
– les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
– le code général des collectivités territoriales ;
– le code des transports ;
– le code du tourisme ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience. Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme Beytout,
– les conclusions de Mme Paillet-Augey, rapporteure publique,
– et les observations de Me François, avocat de la commune de Bourg-Saint-Maurice.
Considérant ce qui suit :
1. Par une délibération du 19 mai 2022, le conseil municipal de Bourg-Saint-Maurice a approuvé les tarifs publics des remontées mécaniques pour la saison hivernale 2022-2023. Le 30 juin 2022, il a adopté une délibération complémentaire pour approuver des tarifs spéciaux à destination de la clientèle locale. Le préfet de la Savoie demande l’annulation de cette délibération dans la présente instance.
Sur la fin de non-recevoir opposée en défense tirée du défaut de qualité pour agir de la signataire du déféré :
2. Le déféré a été signé par Mme Juliette Part, secrétaire générale de la préfecture de la Savoie laquelle disposait d’une délégation de signature accordée par le préfet de la Savoie par un arrêté du 28 juin 2021 régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de la Savoie, à effet de signer « tous actes, arrêtés, décisions, circulaires, rapports, correspondances et documents, à l’exception des réquisitions de la force armée et des arrêtés de conflit ». En vertu de cette délégation de signature, elle était ainsi habilitée à signer le déféré et la fin de non-recevoir opposée en défense doit par suite être écartée.
Sur la légalité de la délibération du 30 juin 2022 :
3. Par une délibération du 30 juin 2022, le conseil municipal de Bourg-Saint-Maurice a fixé le prix de forfaits à tarif réduit pour l’usage des remontées mécaniques pour la saison 2022-2023 à destination des résidents fiscaux de plus de cinq ans, des résidents fiscaux de moins de cinq ans et des employés de la station et travailleurs indépendants.
4. En premier lieu, « la station » ne désigne aucune entité juridique ou personnalité morale, et la notion de travailleurs indépendants est susceptible de désigner une multitude de situations sans lien nécessaire avec le service public industriel et commercial des remontées mécaniques. En outre, les moniteurs de ski et le personnel des remontées mécaniques bénéficient déjà de la gratuité pour accomplir leurs missions professionnelles. Le préfet de la Savoie est ainsi fondé à soutenir que la délibération ne définit pas avec une précision suffisante la catégorie des « employés de la station et des travailleurs indépendants » qui est dès lors susceptible de s’appliquer de façon aléatoire.
5. En second lieu, la tarification d’un service public industriel et commercial, tel que le service des remontées mécaniques, peut, sans porter atteinte au principe d’égalité des usagers du service, prévoir des tarifs différents selon les catégories d’usagers, à la condition que ces différences soient justifiées par des considérations d’intérêt général en rapport avec l’exploitation du service ou fondées sur des différences objectives de situation des usagers concernés.
6. La seule qualité de contribuable local n’est pas constitutive, au regard du régime d’exploitation des remontées mécaniques, normalement financées par les seules redevances des usagers, d’une différence de situation justifiant qu’il soit dérogé au principe d’égalité d’accès à ce service. La commune de Bourg-Saint-Maurice ne peut utilement invoquer à cet égard le fait qu’elle financerait le déficit du budget annexe du service des remontées mécaniques par son budget principal. En outre, si les résidents permanents sont soumis, de même que les personnes travaillant dans la commune, à des sujétions particulières liées notamment au coût de la vie et de l’immobilier en station, ces circonstances ne sont pas constitutives, en ce qui concerne l’accès au service des remontées mécaniques, d’une différence de situation justifiant une exception au principe d’égalité qui régit l’accès au service public. Les discriminations ainsi opérées entre les résidents permanents de la commune et les employés de la station et travailleurs indépendants, d’une part, et les autres usagers du service de remontées mécaniques, d’autre part, sont contraires au principe d’égalité entre les usagers d’un service public.
7. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Savoie est fondé à demander l’annulation de cette délibération.
Décide :
Article 1er : La délibération du conseil municipal de la commune de Bourg-Saint-Maurice du 30 juin 2022 est annulée.
Article 2 : Le présent jugement sera notifié au préfet de la Savoie et à la commune de Bourg-Saint- Maurice.
TA Grenoble, 19 décembre 2024, n° 2204981, Préfet de la Savoie