Le Conseil d’État rappelle l’existence de la procédure d’expropriation pour risque naturel prévisible.
Conseil d’État
N° 310470
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
5ème et 4ème sous-sections réunies
M. Vigouroux, président
M. Xavier de Lesquen, rapporteur
M. Thiellay Jean-Philippe, commissaire du gouvernement
SCP CAPRON, CAPRON ; SCP DIDIER, PINET, avocats
lecture du mercredi 21 octobre 2009
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 7 novembre 2007 et 7 février 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour Mme Suzanne A, demeurant … ; Mme A demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt du 10 septembre 2007 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté sa requête tendant à l’annulation du jugement du 18 octobre 2005 du tribunal administratif de Montpellier rejetant sa demande d’annulation de l’arrêté du 5 mai 2003 du maire de Collias interdisant l’occupation de l’immeuble lui appartenant cadastré section D n° 675 jusqu’à la mise en oeuvre de la procédure d’acquisition amiable prévue par le code de l’environnement ;
2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à sa requête d’appel ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Collias la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code de l’environnement ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Xavier de Lesquen, Maître des Requêtes,
– les observations de la SCP Capron, Capron, avocat de Mme A et de la SCP Didier, Pinet, avocat de la commune de Collias,
– les conclusions de M. Jean-Philippe Thiellay, rapporteur public,
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Capron, Capron, avocat de Mme A et à la SCP Didier, Pinet, avocat de la commune de Collias ;
Considérant que, par un arrêté du 5 mai 2003, le maire de Collias (Gard) a interdit, dans l’attente d’une acquisition amiable par la commune, l’occupation d’un ancien moulin à eau implanté sur la rive de l’Alzon, transformé en maison d’habitation et appartenant à Mme A, au motif que cet immeuble, qui avait été endommagé lors de crues exceptionnelles survenues en septembre 2002, était exposé à un risque naturel majeur ; que la propriétaire a déféré l’arrêté devant le tribunal administratif de Montpellier qui a rejeté son recours par un jugement du 18 octobre 2005 ; qu’elle se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 10 septembre 2007 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille a confirmé ce jugement ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales : La police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : … 5° Le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux ainsi que les pollutions de toute nature, tels que … les inondations …., de pourvoir d’urgence à toutes les mesures d’assistance et de secours et, s’il y a lieu, de provoquer l’intervention de l’administration supérieure… ; qu’aux termes de l’article L. 2212-4 du même code : En cas de danger grave ou imminent, tels que les accidents naturels prévus au 5° de l’article L. 2212-2, le maire prescrit l’exécution des mesures de sûreté exigées par les circonstances… ; qu’aux termes de l’article L. 561-1 du code de l’environnement dans sa version applicable à la date de l’arrêté attaqué: Sans préjudice des dispositions prévues au 5° de l’article L. 2212-2 et à l’article L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales, lorsqu’un risque prévisible (…) de crues torrentielles menace gravement des vies humaines, les biens exposés à ce risque peuvent être expropriés par l’Etat dans les conditions prévues par le code de l’expropriation pour cause d’utilité publique et sous réserve que les moyens de sauvegarde et de protection des populations s’avèrent plus coûteux que les indemnités d’expropriation ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l’immeuble appartenant à Mme A, situé à proximité du confluent du Gardon et de l’Alzon, en zone R1, où les constructions nouvelles sont normalement interdites, du plan de prévention des risques naturels approuvé le 2 février 1998 par le préfet du Gard, est exposé à des risques en cas de crues exceptionnelles et simultanées de ces deux cours d’eau ;
Considérant que le maire de Collias pouvait demander au préfet d’engager la procédure d’expropriation prévue par l’article L. 561-1 du code de l’environnement s’il estimait que les conditions en étaient réunies ; que le maire pouvait également, en vertu des pouvoirs de police générale qu’il tient des dispositions précitées des articles L. 2212-2 et L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales, prendre des mesures temporaires ou limitées de prévention ou de sauvegarde ; qu’en revanche, il ne lui appartenait pas, sur le fondement de ces mêmes dispositions, de prendre une mesure permanente et définitive privant la propriétaire actuelle de l’usage de son bien en interdisant toute occupation de l’immeuble dans l’attente d’une éventuelle acquisition amiable par la commune ; que, par suite, la cour n’a pu, sans entacher son arrêt d’une erreur de droit, juger légale cette mesure de police ; que Mme A est dès lors fondée à demander l’annulation de l’arrêt attaqué ;
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l’affaire au fond ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que Mme A est fondée à demander l’annulation du jugement du 18 octobre 2005 du tribunal administratif de Montpellier et de l’arrêté du 5 mai 2003 du maire de Collias ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu de mettre à la charge de la commune de Collias la somme de 6 000 euros que demande Mme A au titre des frais exposés par elle devant le Conseil d’Etat, devant la cour administrative d’appel et devant le tribunal administratif ; que ces dispositions font obstacle à ce qu’il soit fait droit aux conclusions de la commune de Collias ayant le même objet ;
D E C I D E :
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Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille du 10 septembre 2007, le jugement du 18 octobre 2005 du tribunal administratif de Montpellier et l’arrêté du 5 mai 2003 du maire de Collias sont annulés.
Article 2 : La commune de Collias versera à Mme A la somme de 6 000 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions de la commune de Collias tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme Suzanne A et à la commune de Collias.
Copie pour information en sera adressée au ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales.
Abstrats : 49-04-03-01-04 POLICE ADMINISTRATIVE. POLICE GÉNÉRALE. SÉCURITÉ PUBLIQUE. POLICE DES LIEUX DANGEREUX. TERRAINS INONDABLES. – POUVOIRS DU MAIRE – 1) POSSIBILITÉ DE SOLLICITER DE L’ETAT L’EXPROPRIATION DES IMMEUBLES SITUÉS DANS LA ZONE INONDABLE SELON LA PROCÉDURE DE L’ARTICLE L. 561-1 DU CODE DE L’ENVIRONNEMENT OU DE FAIRE USAGE DE SES POUVOIRS GÉNÉRAUX DE POLICE (ART. L. 2212-2 ET L. 2212-4 DU CGCT) – 2) IMPOSSIBILITÉ DE PRENDRE UNE MESURE PERMANENTE ET DÉFINITIVE PRIVANT LE PROPRIÉTAIRE DE L’USAGE DE L’IMMEUBLE DANS L’ATTENTE D’UNE ÉVENTUELLE ACQUISITION AMIABLE.
Résumé : 49-04-03-01-04 1) En zone inondable répertoriée comme telle dans le plan de prévention des risques, le maire de la commune où se situe un immeuble de cette zone peut demander au préfet d’engager la procédure prévue par l’article L. 561-1 du code de l’environnement, qui permet une expropriation sous réserve que les moyens de sauvegarde et de protection des populations s’avèrent plus coûteux que les indemnités d’expropriation. Le maire peut également, en vertu des pouvoirs de police générale qu’il tient des dispositions des articles L. 2212-2 et L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales (CGCT), prendre des mesures temporaires ou limitées de prévention ou de sauvegarde. 2) En revanche, ce maire ne peut pas, sur le fondement de ces mêmes dispositions, prendre une mesure permanente et définitive privant le propriétaire de l’immeuble de l’usage de son bien en interdisant toute occupation de celui-ci dans l’attente d’une éventuelle acquisition amiable par la commune.