ARRET DE LA COUR DE CASSATION, TROISIEME CHAMBRE CIVILE, DU 9 NOVEMBRE 2023
La commune d'[Localité 5], représentée par son maire en exercice, domicilié en cette qualité en l’ [Adresse 8], a formé le pourvoi n° N 22-18.545 contre l’arrêt rendu le 5 mai 2022 par la cour d’appel d’Aix-en-Provence (chambre des expropriations), dans le litige l’opposant :
1°/ à M. [R] [X], domicilié [Adresse 1],
2°/ à Mme [N] [X], épouse [O], domiciliée [Adresse 7],
3°/ à M. [G] [B], domicilié [Adresse 2],
4°/ à M. [Z] [B], domicilié [Adresse 3],
5°/ à Mme [S] [B], domiciliée [Adresse 4], défendeurs à la cassation.
MM. [R] [X], [G] et [Z] [B] et Mmes [N] [X] et [S] [B] ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l’appui de son recours, un moyen de cassation.
Les demandeurs au pourvoi incident invoquent, à l’appui de leur recours, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Djikpa, conseiller référendaire, les observations de la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat de la commune d'[Localité 5], de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de MM. [R] [X], [G] et [Z] [B] et Mmes [N] [X] et [S] [B], et l’avis de Mme Vassallo, premier avocat général, après débats en l’audience publique du 26 septembre 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Djikpa, conseiller référendaire rapporteur, M. Delbano, conseiller doyen, M. Boyer, Mme Abgrall, M. Pety, Mme Proust, conseillers, M. Zedda, Mmes Vernimmen, Rat, M. Choquet, conseillers référendaires, Mme Vassallo, premier avocat général, et Mme Letourneur, greffier de chambre, la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l’article R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 5 mai 2022), M. [R] [X], MM. [G] et [Z] [B] ainsi que Mmes [N] [X] et [S] [B] (les consorts [X]), propriétaires en indivision d’une parcelle grevée d’un emplacement réservé pour l’extension du cimetière de la commune d'[Localité 5], ont exercé leur droit de délaissement.
2. Faute d’accord des parties sur le prix du bien délaissé, la commune a saisi le juge de l’expropriation aux fins qu’il ordonne le transfert de propriété et fixe le prix de cession.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi principal, sur le premier moyen et le troisième moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches, du pourvoi incident
3. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le deuxième moyen du pourvoi incident
Enoncé du moyen
4. Les consorts [X] font grief à l’arrêt de fixer comme il le fait le prix de cession, alors « que, lorsqu’il s’élève des difficultés étrangères à la fixation du montant de l’indemnité et à l’application des articles L. 242-1 à L. 242-7, L. 322-12, L. 423-2 et L. 423-3, le juge fixe, indépendamment de ces contestations et difficultés, autant d’indemnités alternatives qu’il y a d’hypothèses envisageables et renvoie les parties à se pourvoir devant qui de droit ; qu’en se prononçant sur l’illicéité alléguée des constructions, et en pratiquant un abattement pour tenir compte de leur prétendue illicéité, quand il lui appartenait de fixer des indemnités alternatives et de renvoyer les parties à se pourvoir devant qui de droit, la cour d’appel a excédé ses pouvoirs et violé l’article L. 311-8 du code de l’expropriation ».
Réponse de la Cour
5. La cour d’appel, qui a retenu qu’au vu des pièces produites, une partie significative des constructions présentes sur la parcelle délaissée avait été édifiée sans permis de construire, a pu en déduire, sans trancher une contestation sérieuse, qu’il y avait lieu d’appliquer un abattement sur la valeur du bien pour tenir compte de l’illicéité des constructions.
Sur le troisième moyen du pourvoi incident, pris en ses première à troisième branches et en sa sixième branche
6. Les consorts [X] font le même grief à l’arrêt, alors :
« 1°/ que c’est à la commune débitrice d’une indemnité au titre de l’exercice du droit au délaissement qui demandait l’application d’un abattement pour l’illicéité prétendue des constructions dont l’acquisition était demandée, qu’il incombait de démontrer cette illicéité ; qu’en se fondant pour appliquer un abattement pour illicéité des constructions, sur la défaillance des consorts [X] dans l’administration de la preuve de l’obtention d’un permis de construire, la cour d’appel a violé les articles 1353 du code civil, L. 230-3 du code de l’urbanisme et L. 321-1 du code de l’expropriation ;
2°/ que les juges du fond ne peuvent rejeter ou accueillir les demandes dont ils sont saisis sans examiner les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties ; qu’en affirmant qu’il n’est justifié d’aucun permis de construire accordé, que ce soit par les services de l’Etat, compétents en 1979 ou par la mairie compétente en 1985, sans examiner même sommairement l’attestation du maire d'[Localité 5] du 24 mai 2005 versée aux débats en pièce n° 1, qui atteste que « M. [L] [X] domicilié [Adresse 6] a bien obtenu un permis de construire tacite en date du 17 février 1986 n° 85C0192 pour l’extension d’une construction existante sise à la même adresse », démontrant l’obtention du permis de construire n° 85C0192 sollicité le 5 juillet 1985 dont la demande était versée aux débats en pièce n° 2, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;
3°/ qu’en énonçant que les documents produits par les appelants ne permettent pas d’identifier quels étaient les projets de constructions pris en compte par les demandes de permis de construire de 1979 et de 1985, quand il résulte clairement de la demande de permis de construire du 5 juillet 1985 qu’elle a pour objet la construction d’une maison individuelle et la création d’une surface de 974,50 m2 en sous-sol, rez-de-chaussée et premier étage, la cour d’appel a dénaturé ce document en violation de l’interdiction faite au juge de dénaturer les écrits qui lui sont soumis ;
6°/ qu’en appliquant un abattement pour illicéité des constructions après avoir constaté qu’en l’espèce, la prescription décennale interdit toute action en démolition des constructions litigieuses, la cour d’appel a refusé de tirer les conséquences de ses propres constatations au regard des articles L. 230-3 du code de l’urbanisme et L. 321-1 du code de l’expropriation qu’elle a violés. »
Réponse de la Cour
7. La cour d’appel a relevé, sans dénaturation, qu’il résultait du rapport de M. [D] qu’une partie significative des constructions présentes sur le terrain délaissé ne figurait pas dans la demande de permis de construire déposée en 1985.
8. Elle a souverainement déduit de ce seul motif, sans inverser la charge de la preuve, mais en procédant à l’analyse de l’ensemble des pièces produites, qu’une partie des constructions était irrégulière.
9. Elle a pu en conclure que cette situation constituait une moins-value justifiant un abattement pour illicéité des constructions, quand bien même la prescription de l’action en démolition serait acquise.
10. Le moyen n’est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Condamne la commune d'[Localité 5] aux dépens ;
En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf novembre deux mille vingt-trois.