Texte intégral :
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme M. K., Mme Q. J., M. P. H., M. N. S., M. E. I., M. C. l’Orphelin, Mme F. O., Mme R. G., M. B. L. et M. A. D. ont demandé au tribunal administratif de Caen :
1°) d’annuler l’arrêté du 19 janvier 2018 par lequel le préfet de la région Normandie a autorisé la commune de Caen à procéder à l’enlèvement des arbres situés sur la parcelle cadastrée section KX n° 61, à l’exception des alignements bordant les rues Jean Eudes et Auber, ainsi que les décisions implicites par lesquelles le Premier ministre, le ministre de la culture et le ministre de l’environnement ont rejeté les recours hiérarchiques exercés à l’encontre de cet arrêté ;
2°) d’annuler l’arrêté du 7 décembre 2018 par lequel le préfet du Calvados a retiré cet arrêté du 19 janvier 2018 ;
3°) d’annuler l’arrêté du 5 février 2019 par lequel le préfet du Calvados a autorisé la commune de Caen à procéder à l’enlèvement des arbres situés sur la parcelle cadastrée section KX n° 61 à l’exception des alignements bordant les rues Jean Eudes et Auber.
Par un jugement n° 1801594 du 17 octobre 2019, le tribunal administratif de Caen a constaté qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur les conclusions à fin d’annulation de l’arrêté du préfet de la région Normandie du 19 janvier 2018 et des décisions implicites de rejet des recours exercés à son encontre et a rejeté le surplus de la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée 20 décembre 2019, des mémoires, enregistrés les 20 et 21 janvier 2021, un mémoire récapitulatif, enregistré le 7 mai 2021, produit en application de l’article R. 611-8-1 du code de justice administrative, et des mémoires, enregistrés les 27 juillet, 6 août et 15 septembre 2021, Mme M. K., M. P. H., M. E. I., M. C. l’Orphelin, Mme Q. T., Mme F. O. et Mme R. G., représentés initialement par Me Souty, puis par Me Soublin, demandent à la cour, aux termes de leur mémoire récapitulatif et de leurs dernières écritures :
1°) d’annuler le jugement du tribunal administratif de Caen du 17 octobre 2019 en tant qu’il rejette leurs conclusions à fin d’annulation de l’arrêté du 5 février 2019 du préfet du Calvados ;
2°) d’annuler cet arrêté du 5 février 2019 ;
3°) de leur donner acte de ce qu’ils se désistent de leur demande d’annulation des arrêtés du 19 janvier et du 7 décembre 2018 ;
4°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 7 000 € sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
– leur requête est recevable ;
– le jugement attaqué est irrégulier en raison d’une méconnaissance du principe du contradictoire de l’instruction garanti par l’article L. 5 du code de justice administrative, du fait de l’absence de communication d’une lettre du préfet de région ;
– ce jugement est irrégulier dès lors que la note en délibéré présentée par Mme K. justifiait la réouverture de l’instruction ;
– il est irrégulier dès lors que le tribunal administratif de Caen a retenu un motif d’irrecevabilité sans en informer préalablement les parties en application de l’article R. 611-7 du code de justice administrative ;
– il est irrégulier dès lors que le tribunal a omis de répondre au moyen tiré du détournement de procédure ;
– l’arrêté du 5 février 2019 a été pris par une autorité incompétente ;
– il est entaché d’un vice de procédure dès lors qu’une nouvelle délibération du conseil municipal était nécessaire pour autoriser le maire à déposer la demande d’autorisation, eu égard aux changements de circonstances intervenus depuis l’intervention de la demande initiale d’autorisation présentée par le maire de Caen le 22 novembre 2017 ;
– les conseillers municipaux ont été insuffisamment informés sur la demande d’autorisation avant que l’arrêté contesté ait été pris ;
– aucune évaluation environnementale n’a été réalisée, en méconnaissance des dispositions de l’article L. 122-1 du code de l’environnement ;
– une concertation préalable des habitants était nécessaire en application du 2° de l’article L. 122-15-1 du code de l’environnement ;
– l’arrêté contesté est entaché d’un défaut de motivation en méconnaissance des dispositions de l’article L. 350-3 du code de l’environnement et de l’article L. 211-3 du code des relations entre le public et l’administration ;
– il méconnaît les dispositions de l’article L. 103-2 du code de l’urbanisme ;
– l’arrêté contesté est entaché d’une erreur de base légale dès lors que la parcelle doit accueillir une construction qui doit donner lieu à la délivrance d’une autorisation d’urbanisme, de sorte que la décision devait être prise sur le fondement des dispositions de l’article L. 632-2 du code du patrimoine, et non, comme en l’espèce, sur le fondement de l’article L. 621-32 du même code ;
– les arbres formant un alignement, une autorisation d’abattage était nécessaire en application des dispositions de l’article L. 350-3 du code de l’environnement ;
– l’arrêté contesté est entaché d’erreur d’appréciation et de détournement de procédure dès lors que l’abattage des arbres n’était pas motivé par les fouilles archéologiques mais par le projet de construction ;
– la parcelle sur laquelle sont plantés les arbres ne peut être qualifiée d’îlot bâti, de sorte que l’arrêté contesté ne peut se justifier par la volonté de reconstituer un îlot qui a disparu depuis 70 ans ;
– le cahier des recommandations de l’architecte des bâtiments de France accompagnant l’arrêté du 5 janvier 1978 créant le site inscrit du centre ancien de la ville de Caen prévoyait pour la parcelle cadastrée section KX n° 61 de conserver et de compléter son caractère planté ;
– l’arrêté contesté méconnaît les dispositions de l’article L. 621-32 du code du patrimoine ;
– à supposer que la décision pouvait être prise sur le fondement des dispositions de l’article L. 621-32 du code du patrimoine, le préfet aurait dû assortir sa décision de prescriptions tendant à l’obtention d’une autorisation d’urbanisme ;
– l’arrêté contesté est entaché d’une erreur manifeste d’appréciation en ce qui concerne la protection des abords des monuments historiques, la protection de l’environnement et la nécessité de procéder à des fouilles ;
– l’arrêté contesté a été pris en violation des articles 2 et 3 de la charte de l’environnement ;
– il est entaché d’un détournement de pouvoir et de procédure ;
– il méconnaît les dispositions de l’article UP 13 du règlement du plan local d’urbanisme ;
– il a été pris pour l’application de fouilles dont la prescription est illégale.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 14 mai 2020, 1er juillet et 8 septembre 2021, la commune de Caen, représentée par Me Aaron, conclut :
1°) à ce qu’il soit donné acte du désistement des requérants de leur demande d’annulation des arrêtés du 19 janvier et du 7 décembre 2018 ;
2°) au rejet du surplus des conclusions de la requête ;
3°) à ce qu’une somme de 3 000 € soit mise à la charge des requérants en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– à titre principal, la requête est irrecevable en raison, d’une part, de l’absence de moyens d’appel et, d’autre part, de l’absence de moyens intelligibles ;
– à titre subsidiaire, aucun des moyens de la requête n’est fondé.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 7 octobre 2020 et 2 juillet 2021, la ministre de la culture conclut au rejet de la requête.
Elle soutient qu’aucun des moyens de la requête n’est fondé.
Par un courrier du 10 décembre 2021, les parties ont été informées, en application des dispositions de l’article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l’arrêt était susceptible d’être fondé sur un moyen relevé d’office, tiré de ce que « l’arrêté contesté ne pouvait être légalement fondé sur les dispositions de l’article L. 621-32 du code du patrimoine, qui n’étaient pas applicables aux travaux litigieux d’enlèvement des arbres dès lors que ceux-ci étaient soumis à déclaration préalable en application de l’article R. 421-24 du code de l’urbanisme ».
Des observations de la ministre de la culture sur cette information ont été enregistrées le 14 décembre 2021.
Par un courrier du 15 décembre 2021, les parties ont été informées, en application des dispositions de l’article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l’arrêt était susceptible d’être fondé sur un moyen relevé d’office, tiré de ce que « l’arrêté contesté ne pouvait être pris par le préfet du Calvados ni être légalement fondé sur les seules dispositions de l’article L. 621-32 du code du patrimoine, dès lors que les travaux litigieux d’enlèvement des arbres étaient soumis à déclaration préalable en application de l’article R. 421-24 du code de l’urbanisme et qu’ils ne pouvaient être autorisés, par l’autorité compétente en matière d’urbanisme, que dans le cadre de la procédure de déclaration préalable et dans les conditions prévues par l’article L. 632-2 du code du patrimoine ».
Des observations de la ministre de la culture sur cette information ont été enregistrées le 16 décembre 2021.
Des observations de la commune de Caen sur cette information ont été enregistrées le 16 décembre 2021, par lesquelles elle demande, à titre subsidiaire, à ce que la cour sursoit à statuer sur le fondement des dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme afin de lui permettre de régulariser l’arrêté contesté.
Des observations de Mme K. et autres sur cette information ont été enregistrées le 17 décembre 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
– le code de l’environnement ;
– le code du patrimoine ;
– le code de l’urbanisme ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. Bréchot,
– les conclusions de M. Giraud, rapporteur public,
– les observations de Me Soublin, représentant Mme K. et autres, et les observations de Me Riam, substituant Me Aaron, représentant la commune de Caen.
Une note en délibéré présentée par la commune de Caen a été enregistrée le 22 décembre 2021.
Considérant ce qui suit :
1. En 2015, la commune de Caen a décidé de conduire des études relatives à l’aménagement du secteur du centre-ville et de celui de l’îlot Bellivet. Une étude, présentée au conseil municipal de Caen le 14 mars 2016, a ainsi été réalisée par le cabinet Bérénice afin d’examiner les possibilités de redynamiser le centre-ville de Caen. La commune en a conclu qu’il y avait lieu de procéder au réaménagement de la place de la République, incluant notamment des travaux de mise en valeur de celle-ci et une cession de l’emprise foncière de l’ancien parking « République » situé à l’ouest de la place afin d’y faire construire une halle commerçante. Auparavant, par un courrier du 26 février 2016, la commune de Caen avait présenté au préfet de la région Normandie une demande anticipée de réalisation d’un diagnostic archéologique de la parcelle en cause et, le cas échéant, de prescription « dans les plus brefs délais » de la réalisation de fouilles « afin de porter à la connaissance du futur acquéreur / constructeur un état du sous-sol au regard de la présence éventuelle de vestiges archéologiques ». Par un arrêté du 1er mars 2016, le préfet de la région Normandie a prescrit la réalisation d’un diagnostic d’archéologie préventive sur la parcelle cadastrée section KX n° 61 correspondant à l’ancien parking de la place de la République. Le 20 mars 2016, un appel à projet a été lancé par la commune de Caen, dont le cahier des charges fixait notamment pour « grandes lignes » de « créer une nouvelle offre de commerce associant lieu permettant d’accueillir de nouvelles enseignes et halle gourmande », ainsi que la nécessité d’un « stationnement souterrain ». En octobre 2016, le projet de l’opérateur Seldeka – Europrom a été sélectionné par la commune. Par un arrêté du 15 novembre 2016, le préfet de la région Normandie a prescrit à la commune de Caen de procéder à la réalisation de fouilles archéologiques sur la parcelle cadastrée section KX n° 61 préalablement à la réalisation de son projet d’aménagement de la place de la République. Par une délibération du 26 juin 2017, le conseil municipal de Caen a approuvé le déclassement du domaine public de l’ancien parking à barrières « République ».
2. La parcelle de cet ancien parking étant située dans le champ de visibilité de plusieurs immeubles classés ou inscrits au titre de la législation sur les monuments historiques, le conseil municipal de Caen a autorisé son maire, par une délibération du 6 novembre 2017, à déposer une demande d’autorisation de travaux, au titre du code du patrimoine, consistant en l’enlèvement d’arbres plantés sur l’emprise du projet. Le 22 novembre 2017, le maire de Caen a ainsi déposé une demande d’enlèvement des arbres de la parcelle, à l’exception des alignements bordant les rues Jean Eudes et Auber, exclus de l’emprise du projet d’aménagement. Par un arrêté du 19 janvier 2018, le préfet de la région Normandie a autorisé ces travaux. Le 16 mars 2018, les requérants ont exercé des recours hiérarchiques à l’encontre de cet arrêté auprès du Premier ministre, du ministre de la culture et du ministre de la transition écologique et solidaire, auxquels il n’a pas été répondu. Mme K. et autres ont demandé au tribunal administratif de Caen d’annuler cet arrêté du 19 janvier 2018, ainsi que les décisions implicites de rejet de leurs recours hiérarchiques. Postérieurement à l’introduction de ce recours contentieux, le préfet du Calvados a, par un arrêté du 7 décembre 2018, retiré l’arrêté du 19 janvier 2018 et, par un nouvel arrêté du 5 février 2019, autorisé la réalisation des travaux d’enlèvement des arbres sur le fondement des articles L. 621-32 et R. 621-96 du code du patrimoine. Mme K. et autres ont alors demandé au tribunal administratif de Caen d’annuler les arrêtés des 7 décembre 2018 et 5 février 2019. Par le jugement attaqué du 17 octobre 2019, le tribunal administratif de Caen a, d’une part, constaté qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur les conclusions à fin d’annulation de l’arrêté du préfet de la région Normandie du 19 janvier 2018 et des décisions implicites de rejet des recours hiérarchiques exercés à l’encontre de cet arrêté, et, d’autre part, rejeté le surplus des conclusions des demandeurs. Dans le dernier état de leurs écritures, résultant de leur mémoire récapitulatif enregistré le 7 mai 2021, Mme K. et autres demandent l’annulation de ce jugement du tribunal administratif de Caen en tant seulement qu’il a rejeté leur demande tendant à l’annulation de l’arrêté du préfet du Calvados du 5 février 2019.
Sur le désistement partiel :
3. Si, dans leur requête, Mme K. et autres ont demandé l’annulation du jugement du tribunal administratif de Caen en tant qu’il a rejeté leur demande tendant à l’annulation des arrêtés du préfet du Calvados des 7 décembre 2018 et 5 février 2019, ils ont, dans leur mémoire récapitulatif enregistré le 7 mai 2021, expressément abandonné leurs conclusions relatives à l’arrêté du 7 décembre 2018. Dès lors, il y a lieu pour la cour de ne statuer que sur les conclusions tendant à l’annulation du jugement du tribunal administratif de Caen en tant qu’il a rejeté leur demande tendant à l’annulation de l’arrêté du préfet du Calvados du 5 février 2019.
Sur la recevabilité de la requête :
4. Aux termes de l’article R. 411-1 du code de justice administrative : « La juridiction est saisie par requête […]. Elle contient l’exposé des faits et moyens ainsi que l’énoncé des conclusions soumises au juge. / L’auteur d’une requête ne contenant l’exposé d’aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d’un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu’à l’expiration du délai de recours. »
5. La requête de Mme K. et autres contient l’exposé intelligible des faits et moyens exigé par les dispositions précitées de l’article R. 411-1 du code de justice administrative. Par suite, les fins de non-recevoir opposées par la commune de Caen, tirées de l’absence d’énoncé de moyens d’appel et de moyens intelligibles, doivent être écartées.
Sur les conclusions à fin d’annulation de l’arrêté du préfet du Calvados du 5 février 2019 :
En ce qui concerne le moyen relevé d’office :
6. Aux termes de l’article L. 621-30 du code du patrimoine : « I. – Les immeubles ou ensembles d’immeubles qui forment avec un monument historique un ensemble cohérent ou qui sont susceptibles de contribuer à sa conservation ou à sa mise en valeur sont protégés au titre des abords. / La protection au titre des abords a le caractère de servitude d’utilité publique affectant l’utilisation des sols dans un but de protection, de conservation et de mise en valeur du patrimoine culturel. / II. – La protection au titre des abords s’applique à tout immeuble, bâti ou non bâti, situé dans un périmètre délimité par l’autorité administrative dans les conditions fixées à l’article L. 621-31. Ce périmètre peut être commun à plusieurs monuments historiques. / En l’absence de périmètre délimité, la protection au titre des abords s’applique à tout immeuble, bâti ou non bâti, visible du monument historique ou visible en même temps que lui et situé à moins de cinq cents mètres de celui-ci. / […]. »
7. Aux termes de l’article L. 621-32 du même code, dans sa version applicable au litige : « Les travaux susceptibles de modifier l’aspect extérieur d’un immeuble, bâti ou non bâti, protégé au titre des abords sont soumis à une autorisation préalable. / L’autorisation peut être refusée ou assortie de prescriptions lorsque les travaux sont susceptibles de porter atteinte à la conservation ou à la mise en valeur d’un monument historique ou des abords. / Lorsqu’elle porte sur des travaux soumis à formalité au titre du code de l’urbanisme ou au titre du code de l’environnement, l’autorisation prévue au présent article est délivrée dans les conditions et selon les modalités de recours prévues à l’article L. 632-2 du présent code. » Aux termes de l’article R. 621-96 du même code : « L’autorisation prévue à l’article L. 621-32 pour les travaux situés en abords de monuments historiques non soumis à autorisation au titre du code de l’environnement ou du code de l’urbanisme est régie par la présente sous-section. » En vertu de l’article R. 621-96-14 du même code, cette décision est prise par le préfet.
8. Selon le I de l’article L. 632-2 du même code, dans sa version applicable au litige : « Le permis de construire, le permis de démolir, le permis d’aménager, l’absence d’opposition à déclaration préalable, l’autorisation environnementale prévue par l’article L. 181-1 du code de l’environnement ou l’autorisation prévue au titre des sites classés en application de l’article L. 341-10 du même code tient lieu de l’autorisation prévue à l’article L. 632-1 du présent code si l’architecte des Bâtiments de France a donné son accord, le cas échéant assorti de prescriptions motivées. A ce titre, il s’assure du respect de l’intérêt public attaché au patrimoine, à l’architecture, au paysage naturel ou urbain, à la qualité des constructions et à leur insertion harmonieuse dans le milieu environnant. Il s’assure, le cas échéant, du respect des règles du plan de sauvegarde et de mise en valeur ou du plan de valorisation de l’architecture et du patrimoine. / […]. » L’article R. 425-1 du code de l’urbanisme prévoit, de même, que lorsque le projet est situé dans les abords des monuments historiques, la décision prise sur la déclaration préalable tient lieu de l’autorisation prévue à l’article L. 621-32 du code du patrimoine si l’architecte des bâtiments de France a donné son accord, le cas échéant assorti de prescriptions motivées. En vertu de l’article L. 422-1 du code de l’urbanisme, l’autorité compétente pour se prononcer sur un projet faisant l’objet d’une déclaration préalable est le maire, au nom de la commune, dans les communes qui se sont dotées d’un plan local d’urbanisme.
9. Il résulte de la combinaison des dispositions du troisième alinéa de l’article L. 621-32 et du I de l’article L. 632-2 du code du patrimoine que, lorsqu’une demande d’autorisation de travaux susceptibles de modifier l’aspect extérieur d’un immeuble, bâti ou non bâti, protégé au titre des abords d’un monument historique porte sur des travaux soumis à déclaration préalable au titre du code de l’urbanisme, l’autorisation sollicitée est délivrée dans les conditions prévues à l’article L. 632-2 du code du patrimoine, c’est-à-dire dans le cadre de la procédure de déclaration préalable après accord de l’architecte des bâtiments de France.
10. Aux termes de l’article R. 421-24 du code de l’urbanisme : « Dans le périmètre des sites patrimoniaux remarquables et les abords des monuments historiques, les travaux, à l’exception des travaux d’entretien ou de réparations ordinaires, ayant pour effet de modifier l’aménagement des espaces non bâtis autour d’un bâtiment existant doivent être précédés d’une déclaration préalable. »
11. Il ressort des pièces du dossier que la parcelle cadastrée section KX n° 61, affectée antérieurement à l’usage de parc de stationnement, est située dans les abords de plusieurs monuments historiques du centre-ville de Caen, notamment l’hôtel de Banville et un immeuble sis respectivement 22 et 24 rue Jean Eudes, l’hôtel Daumesnil sis 23-25 place de la République, le bureau de poste Gambetta sis 2 rue Georges Lebret et l’église Notre-Dame-de-la-Gloriette sise place du parvis Notre-Dame, à moins de 500 mètres de ces monuments et en situation de co-visibilité avec eux. Les travaux autorisés par l’arrêté contesté, qui consistent à abattre l’ensemble des arbres présents sur l’emprise de la parcelle, à l’exclusion des alignements situés le long des rues Auber et Jean Eudes, et à décaper le bitume de l’ancien parc de stationnement, ont pour effet de modifier l’aménagement des espaces non bâtis autour des bâtiments existants précités, et ne peuvent être regardés comme des travaux d’entretien ou de réparations ordinaires, alors même que l’abattage de certains arbres pouvait être justifié par des raisons de sécurité. Dès lors, ces travaux étaient soumis à déclaration préalable en vertu des dispositions de l’article R. 421-24 du code de l’urbanisme. Il s’ensuit que ces travaux ne pouvaient être autorisés, après accord de l’architecte des bâtiments de France, que par le maire de Caen dans le cadre de la procédure de déclaration préalable prévue par le code de l’urbanisme et dans les conditions fixées par l’article L. 632-2 du code du patrimoine, et non par le préfet du Calvados sur le fondement du seul article L. 621-32 du code du patrimoine.
En ce qui concerne le moyen tiré de l’absence d’une évaluation environnementale :
12. Aux termes de l’article L. 122-1 du code de l’environnement, dans sa rédaction applicable au litige : « I. – Pour l’application de la présente section, on entend par : / 1° Projet : la réalisation de travaux de construction, d’installations ou d’ouvrages, ou d’autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage, y compris celles destinées à l’exploitation des ressources du sol ; / 2° Maître d’ouvrage : l’auteur d’une demande d’autorisation concernant un projet privé ou l’autorité publique qui prend l’initiative d’un projet ; / 3° Autorisation : la décision de l’autorité ou des autorités compétentes qui ouvre le droit au maître d’ouvrage de réaliser le projet ; / 4° L’autorité compétente : la ou les autorités compétentes pour délivrer l’autorisation du projet. / II. – Les projets qui, par leur nature, leur dimension ou leur localisation, sont susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement ou la santé humaine font l’objet d’une évaluation environnementale en fonction de critères et de seuils définis par voie réglementaire et, pour certains d’entre eux, après un examen au cas par cas effectué par l’autorité environnementale. / […] / III. – L’évaluation environnementale est un processus constitué de l’élaboration, par le maître d’ouvrage, d’un rapport d’évaluation des incidences sur l’environnement, dénommé ci-après « étude d’impact », de la réalisation des consultations prévues à la présente section, ainsi que de l’examen, par l’autorité compétente pour autoriser le projet, de l’ensemble des informations présentées dans l’étude d’impact et reçues dans le cadre des consultations effectuées et du maître d’ouvrage. / […] / Lorsqu’un projet est constitué de plusieurs travaux, installations, ouvrages ou autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage, il doit être appréhendé dans son ensemble, y compris en cas de fractionnement dans le temps et dans l’espace et en cas de multiplicité de maîtres d’ouvrage, afin que ses incidences sur l’environnement soient évaluées dans leur globalité. / IV. – Lorsqu’un projet relève d’un examen au cas par cas, l’autorité environnementale est saisie par le maître d’ouvrage d’un dossier présentant le projet afin de déterminer si ce dernier doit être soumis à évaluation environnementale. / […] V. – Lorsqu’un projet est soumis à évaluation environnementale, le dossier présentant le projet comprenant l’étude d’impact et la demande d’autorisation déposée est transmis pour avis à l’autorité environnementale ainsi qu’aux collectivités territoriales et à leurs groupements intéressés par le projet. / […] / L’avis de l’autorité environnementale fait l’objet d’une réponse écrite de la part du maître d’ouvrage. / VI. – Les maîtres d’ouvrage tenus de produire une étude d’impact la mettent à disposition du public, ainsi que la réponse écrite à l’avis de l’autorité environnementale, par voie électronique au plus tard au moment de l’ouverture de l’enquête publique prévue à l’article L. 123-2 ou de la participation du public par voie électronique prévue à l’article L. 123-19. »
13. Aux termes de l’article L. 122-1-1 du même code, dans sa version applicable au litige : « I. – L’autorité compétente pour autoriser un projet soumis à évaluation environnementale prend en considération l’étude d’impact, l’avis des autorités mentionnées au V de l’article L. 122-1 ainsi que le résultat de la consultation du public et, le cas échéant, des consultations transfrontières. / La décision de l’autorité compétente est motivée au regard des incidences notables du projet sur l’environnement. […] / III. – Les incidences sur l’environnement d’un projet dont la réalisation est subordonnée à la délivrance de plusieurs autorisations sont appréciées lors de la délivrance de la première autorisation. / Lorsque les incidences du projet sur l’environnement n’ont pu être complètement identifiées ni appréciées avant l’octroi de cette autorisation, le maître d’ouvrage actualise l’étude d’impact en procédant à une évaluation de ces incidences, dans le périmètre de l’opération pour laquelle l’autorisation a été sollicitée et en appréciant leurs conséquences à l’échelle globale du projet. […]. »
14. L’article R. 122-2 du même code, dans sa rédaction applicable au litige, dispose : « I. – Les projets relevant d’une ou plusieurs rubriques énumérées dans le tableau annexé au présent article font l’objet d’une évaluation environnementale, de façon systématique ou après un examen au cas par cas, en application du II de l’article L. 122-1, en fonction des critères et des seuils précisés dans ce tableau. […] / IV. – Lorsqu’un même projet relève de plusieurs rubriques du tableau annexé, une évaluation environnementale est requise dès lors que le projet atteint les seuils et remplit les conditions de l’une des rubriques applicables. Dans ce cas, une seule évaluation environnementale est réalisée pour le projet. » Le tableau auquel il est fait référence par ces dispositions, dans sa version alors applicable, soumet, s’agissant des travaux, ouvrages, aménagements ruraux et urbains, à la procédure de l’examen au cas par cas les travaux et constructions qui créent une surface de plancher comprise entre 10 000 et 40 000 mètres carrés, ainsi que les aires de stationnement ouvertes au public de 50 unités et plus.
15. D’une part, il ressort des pièces du dossier que l’arrêté contesté, autorisant au titre de l’article L. 621-32 du code du patrimoine les travaux d’abattage d’arbres sur la parcelle cadastrée section KX n° 61, à l’exception des alignements bordant les rues Jean Eudes et Auber, a été pris afin de permettre la mise en oeuvre de l’opération de fouille d’archéologie préventive prescrite par un arrêté du 15 novembre 2016 du préfet de la région Normandie, modifié par un arrêté du 19 juin 2017, qui nécessite un « décapage exhaustif » de l’emprise de la parcelle concernée par l’opération, pour une superficie de 5 016 mètres carrés. Ainsi que cela ressort notamment du rapport de diagnostic réalisé en août 2016 par le service archéologie du département du Calvados, de l’avis de la commission interrégionale de la recherche archéologique des 8 et 9 novembre 2016 et des arrêtés des 15 novembre 2016 et 19 juin 2017 du préfet de la région Normandie, cette opération de fouille d’archéologie préventive est elle-même justifiée par le motif que les travaux envisagés pour le projet « place de la République », à savoir la construction d’une halle commerçante et d’un parking souterrain, sont susceptibles d’affecter des éléments du patrimoine archéologique.
16. D’autre part, il ressort des pièces du dossier et de l’historique rappelé aux points 1 et 2 du présent arrêt qu’à la date de la demande d’autorisation du 22 novembre 2017, le projet de la commune de Caen de faire réaliser sur la parcelle cadastrée section KX n° 61 un centre commercial pour une surface de plancher de plus de 10 000 mètres carrés et un parc de stationnement souterrain ouvert au public d’au moins 50 unités, sous la maîtrise d’ouvrage d’un opérateur privé, était défini avec précision dans son principe comme dans ses modalités, bien que de façon non définitive. En particulier, dès les résultats de l’appel à projet annoncés en octobre 2016, il était connu que le projet retenu devait s’organiser en deux bâtiments, un bâtiment principal s’inscrivant dans l’axe de la place de la République, destiné à accueillir des commerces et services, ainsi qu’un second bâtiment en forme de triangle au sud du site, destiné à abriter une halle gourmande et des espaces de « coworking » en étage, et que, en tout état de cause, un parc de stationnement souterrain d’au moins 50 places serait créé sur la parcelle.
17. Enfin, il est constant que l’abattage des arbres autorisé par l’arrêté contesté, sous la maîtrise d’ouvrage de la commune de Caen, aurait en tout état de cause dû être réalisé préalablement à la réalisation du projet de construction, par le groupement d’entreprises privées sélectionné par la commune, d’une halle commerçante et d’un parking souterrain sur le terrain d’emprise du projet.
18. Ainsi, ce projet de construction relevant de deux rubriques du tableau annexé à l’article R. 122-2 du code de l’environnement, constitué de plusieurs travaux fractionnés dans le temps avec une multiplicité de maîtres d’ouvrage, devait, en application du III de l’article L. 122-1 du code de l’environnement, être appréhendé dans son ensemble afin que ses incidences sur l’environnement soient évaluées dans leur globalité. En outre, dès lors que la réalisation de ce projet était subordonnée à la délivrance de plusieurs autorisations, ses incidences sur l’environnement devaient, en application du III de l’article L. 122-1-1 du même code, être appréciées lors de la délivrance de la première autorisation, c’est-à-dire lors de l’autorisation de travaux d’abattage des arbres présents sur le terrain d’assiette du projet.
19. Or, il est constant que l’arrêté contesté n’a pas, en méconnaissance du IV de l’article L. 122-1 du code de l’environnement, été précédé d’un examen au cas par cas de la part de l’autorité environnementale afin d’apprécier si une évaluation environnementale était requise préalablement à la réalisation de l’ensemble du projet.
20. Dès lors, le moyen tiré de ce que l’arrêté contesté a été pris à la suite d’une procédure irrégulière, en méconnaissance des dispositions du IV de l’article L. 122-1 du code de l’environnement, doit également être accueilli.
En ce qui concerne les conclusions tendant à l’application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme :
21. Aux termes de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme : « Sans préjudice de la mise en oeuvre de l’article L. 600-5, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice entraînant l’illégalité de cet acte est susceptible d’être régularisé, sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation, même après l’achèvement des travaux. Si une mesure de régularisation est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. Le refus par le juge de faire droit à une demande de sursis à statuer est motivé. »
22. Si la commune de Caen demande à la cour, sur le fondement de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, de surseoir à statuer sur les conclusions de la requête afin de lui permettre de régulariser l’arrêté contesté, les dispositions de cet article ne sont pas applicables au présent litige dès lors que la cour n’est pas saisie de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager ni contre une décision de non-opposition à une déclaration préalable.
23. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, que Mme K. et autres sont fondés à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté leurs conclusions à fin d’annulation de l’arrêté du 5 février 2019 du préfet du Calvados.
Sur les frais liés au litige :
24. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme K. et autres, qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la commune de Caen demande au titre des frais exposés par elle à l’occasion du litige soumis au juge.
25. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat une somme de 1 000 € et à la charge de la commune de Caen une somme de 1 000 €, à verser à Mme K. et autres au titre des frais liés à l’instance.
Décide :
Article 1er : Il est donné acte du désistement des conclusions de Mme K. et autres tendant à l’annulation du jugement du tribunal administratif de Caen en tant qu’il a rejeté leur demande d’annulation de l’arrêté du préfet du Calvados du 7 décembre 2018.
Article 2 : Le jugement du 17 octobre 2019 du tribunal administratif de Caen est annulé en tant qu’il a rejeté la demande d’annulation de l’arrêté du 5 février 2019 du préfet du Calvados.
Article 3 : L’arrêté du 5 février 2019 du préfet du Calvados est annulé.
Article 4 : L’Etat et la commune de Caen verseront chacun à Mme K. et autres une somme de 1 000 € au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Les conclusions de la commune de Caen présentées sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme M. K., première dénommée, à la ministre de la culture et à la commune de Caen.