CAA de MARSEILLE
N° 15MA03849
Inédit au recueil Lebon
5ème chambre – formation à 3
M. BOCQUET, président
Mme Marie-Laure HAMELINE, rapporteur
M. REVERT, rapporteur public
CABINET JOFFE ET ASSOCIES, avocat
lecture du lundi 26 septembre 2016
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Cueva Azul Limited a demandé au tribunal administratif de Bastia d’annuler la délibération du 20 décembre 2013 par laquelle le conseil municipal de Bonifacio a approuvé une modification du plan local d’urbanisme applicable sur l’île de Cavallo.
Par un jugement n° 1400161 du 16 juillet 2015, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 17 septembre 2015, la société Cueva Azul Limited, représentée par MeC…, demande à la Cour :
1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia du 16 juillet 2015 ;
2°) d’annuler la délibération du conseil municipal de Bonifacio du 20 décembre 2013 approuvant la modification du plan local d’urbanisme ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Bonifacio une somme de 5 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– le jugement a été rendu en violation de l’article L. 5 du code de justice administrative dès lors qu’elle n’a pas été mise à même de répondre au mémoire de la commune produit l’avant-veille de la clôture de l’instruction ;
– la modification du plan local d’urbanisme devait être précédée de l’évaluation environnementale prévue par les articles L. 121-10 et R. 121-16 du code de l’urbanisme, les utilisations du sol en résultant pouvant avoir des incidences significatives sur les sites Natura 2000 ;
– la possibilité de construction ouverte dans les zones UK2 à moins de cent mètres du rivage est contraire à l’article L. 146-4 III du code de l’urbanisme.
Par un mémoire en défense enregistré le 11 avril 2016, la commune de Bonifacio conclut au rejet de la requête et à ce qu’une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la société Cueva Azul Limited en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu’aucun des moyens invoqués par la société Cueva Azul Limited à l’encontre du jugement et de la délibération en litige n’est fondé.
Vu :
– le code de l’environnement ;
– le code de l’urbanisme ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme Hameline,
– les conclusions de M. Revert, rapporteur public ;
– les observations de Me A…représentant la société Cueva Azul Limited et celles de Me B…représentant la commune de Bonifacio.
1. Considérant que, par délibération du 20 décembre 2013, le conseil municipal de Bonifacio a approuvé une modification du plan local d’urbanisme de la commune concernant le territoire de l’île de Cavallo ; que la société Cueva Azul Limited, propriétaire d’une parcelle cadastrée n°105 sur l’île, a saisi le tribunal administratif de Bastia d’un recours contentieux tendant à l’annulation de cette délibération ; que le tribunal administratif a rejeté sa demande par jugement du 16 juillet 2015 ; que la société Cueva Azul Limited en interjette appel ;
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne le moyen tiré de l’absence d’évaluation environnementale :
2. Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article L. 414-4 du code de l’environnement pris pour l’application de la directive 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil 27 juin 2001 : » Lorsqu’ils sont susceptibles d’affecter de manière significative un site Natura 2000, individuellement ou en raison de leurs effets cumulés, doivent faire l’objet d’une évaluation de leurs incidences au regard des objectifs de conservation du site, dénommée ci-après » Evaluation des incidences Natura 2000 » : 1° Les documents de planification qui, sans autoriser par eux-mêmes la réalisation d’activités, de travaux, d’aménagements, d’ouvrages ou d’installations, sont applicables à leur réalisation ; 2° Les programmes ou projets d’activités, de travaux, d’aménagements, d’ouvrages ou d’installations ; 3° Les manifestations et interventions dans le milieu naturel ou le paysage. (…) » ;
3. Considérant, d’autre part, qu’aux termes de l’article R. 121-14 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction issue du décret n° 2012-995 du 23 août 2012 applicable en l’espèce : » (…) II. Font également l’objet d’une évaluation environnementale les documents d’urbanisme suivants, à l’occasion de leur élaboration : 1° Les plans locaux d’urbanisme dont le territoire comprend en tout ou partie un site Natura 2000 ; (…) » ; que l’article R. 121-16 du même code prévoit que : » Une évaluation environnementale est réalisée à l’occasion des procédures d’évolution suivantes : 1° Les procédures d’évolution des documents d’urbanisme mentionnés à l’article R. 121-14 qui permettent la réalisation de travaux, aménagements, ouvrages ou installations susceptibles d’affecter de manière significative un site Natura 2000 (…). L’évaluation environnementale prend la forme soit d’une nouvelle évaluation environnementale, soit d’une actualisation de l’évaluation environnementale qui a déjà été réalisée. » ;
4. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que le territoire de l’île de Cavallo, seul habité de l’archipel des Lavezzi et ne comportant de constructions à usage résidentiel que depuis une cinquantaine d’années, est inclus en totalité dans la zone Natura 2000 FR 941002 » Iles Lavezzi /Bouches de Bonifacio « , et entouré par le périmètre d’une seconde zone Natura 2000 » Plateau de Pertusato/Bonifacio et îles Lavezzi » et par celui de la réserve naturelle des Bouches de Bonifacio, tout en étant également couvert par une ZNIEFF de type 1 justifiée notamment par le rôle majeur de l’île pour les espèces du cormoran huppé de Méditerranée et du puffin cendré et par la présence d’une flore originale ; que la modification du plan local d’urbanisme en litige définit sur le territoire de l’île un nouveau zonage composé de six secteurs, principalement fondé sur un relevé des constructions existantes ou inachevées en 2012, et redéfinit entièrement les règles applicables dans les nouvelles zones urbaines et naturelles ainsi créées ; que précisément, tout en classant 45% du territoire en zone NR inconstructible au titre des espaces remarquables, elle institue notamment une constructibilité encadrée de plusieurs micro-zones UK2 afin de permettre l’achèvement ou la reconstruction d’une vingtaine de villas non habitées et la réalisation d’un projet en zone UK2a comportant 1 200 mètres carrés de surface de plancher ; que le plan local d’urbanisme modifié prévoit par ailleurs la possibilité de nouvelles constructions à usage technique et d’équipements collectifs, sportifs ou de loisirs dans les zones naturelles NNe, NNs et NNp ; qu’il n’est aucunement contredit que ces possibilités sont de nature à permettre une augmentation conséquente de la population fréquentant l’île de Cavallo ; que, dans ces conditions, la modification approuvée le 20 décembre 2013 était susceptible d’entraîner des incidences significatives sur un site Natura 2000 ; qu’elle entrait donc à ce titre dans le champ des dispositions précitées de l’article L. 414-1 du code de l’environnement ;
5. Considérant qu’il suit de là que la modification du plan local d’urbanisme ne pouvait être soumise à enquête publique et approuvée sans comporter une évaluation de ses incidences analysant, conformément à l’article R. 414-21 du code de l’environnement, les effets notables des changements introduits sur l’état de conservation des habitats naturels et des espèces ayant justifié la désignation des sites Natura 2000 concernés et, en cas d’effets dommageables identifiés, les mesures de compensation prévues ; que demeure sans influence à cet égard la circonstance que la modification approuvée le 20 décembre 2013 se soit substituée à une règlementation issue du plan local d’urbanisme du 13 juillet 2006 encore plus favorable à l’urbanisation, laquelle n’avait au demeurant pas davantage été précédée d’une étude de ses incidences environnementales ; que l’obligation, résultant dès 2011 d’un arrêté du préfet de la Corse-du-sud, et rappelée par le règlement modifié, de précéder la délivrance de toute autorisation de construire sur l’île de Cavallo d’une évaluation de l’incidence environnementale du projet de construction, ne saurait non plus, contrairement à ce que soutient la commune, se substituer à la nécessité d’une évaluation des incidences du document de planification lui-même au regard en particulier de ses choix de délimitation et de règlementation des zones, ainsi que le prévoit le 1° de l’article L. 414-4 précité du code de l’environnement ;
6. Considérant que l’omission ou l’insuffisance d’une telle étude d’incidence n’est toutefois susceptible de vicier la procédure et donc d’entraîner l’illégalité de la délibération en litige que si elle a pu avoir pour effet de nuire à l’information complète de la population ou si elle a été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative ;
7. Considérant que le rapport de présentation de la modification figurant au dossier soumis à l’enquête publique se borne, en matière environnementale, à dresser aux paragraphes 2.2.1 à 2.2.3 la liste des protections couvrant et entourant l’île de Cavallo, et à relever en son paragraphe 3.2.4. que l’objectif de réduction globale de la constructibilité sur l’île par rapport au plan local d’urbanisme adopté en 2006 » ne peut avoir que des effets positifs sur l’environnement » ; que ce document ne saurait tenir lieu d’une évaluation des incidences possibles des partis d’aménagement retenus par le plan modifié sur l’environnement et en particulier sur les sites Natura 2000 concernés ; que si, notamment, il y est indiqué que le zonage NN permettant l’aménagement de tous les terrains à usage sportif ou de loisir et, dans certains secteurs, la construction d’équipements collectifs, correspond à des » espaces naturels de maquis sans caractéristiques particulières « , cette affirmation n’est pas assortie du moindre élément permettant d’en apprécier la réalité ; qu’il ne peut, par ailleurs, être sérieusement soutenu que l’omission de toute précision en la matière dans le dossier soumis à enquête publique est demeurée sans impact sur l’information du public aux motifs, à les supposer même établis, que les propriétaires fonciers de l’île ne poursuivaient aucune préoccupation environnementale, et que les associations de défense de l’environnement qui se sont manifestées lors de l’enquête disposaient déjà d’importantes connaissances sur les sites Natura 2000 en cause ; que, dans ces conditions, l’omission de toute étude des incidences environnementales du projet de modification du plan local d’urbanisme sur les sites Natura 2000 a été de nature, en l’espèce, à nuire à l’information complète du public et susceptible d’exercer une influence sur le contenu de la décision finale de l’autorité administrative ; que, par suite, la société requérante est fondée à soutenir que la délibération du 20 décembre 2013 par laquelle le conseil municipal de Bonifacio a approuvé la modification du plan local d’urbanisme concernant l’île de Cavallo est intervenue à l’issue d’une procédure irrégulière ;
En ce qui concerne la méconnaissance de l’article L. 146-4 III du code de l’urbanisme par le règlement et la délimitation des zones UK2 :
8. Considérant qu’aux termes du III de l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme dans sa rédaction en vigueur à la date de la délibération en litige : » En dehors des espaces urbanisés, les constructions ou installations sont interdites sur une bande littorale de cent mètres à compter de la limite haute du rivage (…) » ; que ces dispositions sont seules applicables sur le territoire de la commune de Bonifacio, dès lors que le schéma d’aménagement de la Corse n’y apporte aucune précision ni aucun complément ;
9. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier et qu’il est au demeurant constant que les secteurs de l’île de Cavallo situés dans la bande littorale de cent mètres à compter de la limite du rivage et classés en zone UK2 par la modification en litige ne constituaient pas à cette date des espaces urbanisés ; que le règlement de la zone UK2, correspondant à des » espaces interstitiels » supportant » des constructions inachevées ou en état de ruine « , admet en son article 2 toute construction à usage d’habitation, dès lors que sont respectées des conditions d’emprise au sol non supérieure à celle relevée en 2012 et fixée à l’article 9, d’implantation sur le terrain dans le respect de sa topographie et de ses caractéristiques paysagères, d’interdiction de rapprochement des constructions du rivage de la mer par rapport à l’implantation des emprises relevée sur un plan figurant à l’article 9, et de prise en compte du libre accès aux plages et au chemin le long du littoral ; que ces dispositions ne peuvent être regardées comme permettant le simple aménagement ou la réhabilitation de constructions ou installations existantes, alors notamment qu’il est constant que la plupart des vestiges de bâtiments situés sur les parcelles classées en zone UK2 n’ont jamais été terminés et ne comprennent pour certains que des fondations et quelques murs ; qu’en outre, un sous-secteur spécifique UK2a au sud de l’île, entièrement inclus dans la bande littorale de cent mètres à compter du rivage au vu des plans de zonage figurant au dossier, doit permettre selon le règlement la construction d’une nouvelle emprise au sol globale de 1 200 mètres carrés conditionnée par la démolition de ruines dans un secteur avoisinant, possibilité dont il n’est ni démontré ni même soutenu qu’elle concernerait exclusivement la reconstruction ou l’aménagement de bâtiments existants ; que la commune de Bonifacio ne saurait invoquer utilement en toute hypothèse, pour justifier les possibilités de construction ainsi permises par le document d’urbanisme dans la bande de cent mètres, les dispositions l’article L. 111-3 du code de l’urbanisme qui, si elles s’appliquent nonobstant toute norme d’urbanisme contraire, portent quant à elles sur la seule reconstruction à l’identique d’immeubles préexistants régulièrement édifiés et détruits depuis moins de dix ans ; que, dans ces conditions, la société requérante est fondée à soutenir, contrairement à ce qu’ont estimé les premiers juges, que le règlement et la délimitation des zones UK2 approuvés par la délibération en litige sont incompatibles avec les dispositions précitées de l’article L. 146-4 III du code de l’urbanisme interdisant toutes constructions ou installations dans une bande de cent mètres de la limite du rivage de la mer ;
10. Considérant qu’eu égard à la nature du vice de procédure relevé aux points 2 à 7 du présent arrêt, l’illégalité de la délibération du 20 décembre 2013 portant approbation de la modification du plan local d’urbanisme ne saurait, ainsi que le demande la commune de Bonifacio devant la Cour, être limitée à une partie du contenu du règlement ou de la délimitation des zones, et ne peut qu’entraîner son annulation totale ;
11. Considérant qu’il résulte de l’ensemble de ce qui précède que, sans qu’il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement contesté, la société Cueva Azul Limited est fondée à soutenir que c’est à tort que, par ledit jugement, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la délibération du conseil municipal de Bonifacio en date du 20 décembre 2013 ; qu’il y a, dès lors, lieu d’annuler le jugement contesté ainsi que la délibération en litige ;
Sur les conclusions présentées en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle en toute hypothèse à ce que la société Cueva Azul Limited, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamnée à verser à la commue de Bonifacio quelque somme que ce soit au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de condamner la commune de Bonifacio à verser à la société requérante la somme qu’elle réclame au titre de ces mêmes dispositions ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1400161 du tribunal administratif de Bastia du 16 juillet 2015 et la délibération du conseil municipal de Bonifacio en date du 20 décembre 2013 portant approbation de la modification du plan local d’urbanisme dans le secteur de l’île de Cavallo sont annulés.
Article 2 : Les conclusions présentées par la société Cueva Azul Limited en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Cueva Azul Limited et à la commune de Bonifacio.
Délibéré après l’audience du 12 septembre 2016, où siégeaient :
– M. Bocquet, président,
– M. Marcovici, président assesseur,
– Mme Hameline, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 26 septembre 2016.
N° 15MA03849