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Environnement : quelles sont les limites au droit à la communication de documents en matière environnementale ?

Arrêt rendu par Conseil d’Etat
15-03-2023
n° 456871
Texte intégral :
Vu la procédure suivante :

L’association Réseau « Sortir du nucléaire » a demandé au tribunal administratif de Lyon d’annuler la décision par laquelle la société Electricité de France a refusé de lui communiquer le dossier d’options de sûreté d’un projet de piscine centralisée d’entreposage de combustibles usés dans une version occultée à bon escient et d’enjoindre à cette société de lui communiquer cette version dans un délai de dix jours à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 50 € par jour de retard. Par un jugement n° 2005596 du 20 juillet 2021, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 20 septembre et 20 décembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’association Réseau « Sortir du nucléaire » demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler ce jugement ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à ses conclusions de première instance, après avoir, le cas échéant, transmis une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne ;

3°) de mettre à la charge de la société Electricité de France la somme de 3 000 € en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

– la convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement ;

– la directive 2003/4/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 ;

– le code de l’environnement ;

– le code des relations entre le public et l’administration ;

– les arrêts C-442/14 et C-673/13 P du 23 novembre 2016 de la Cour de justice de l’Union européenne ;

– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Bruno Delsol, conseiller d’Etat,

– les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Hannotin Avocats, avocat de l’association Réseau « Sortir du nucléaire » et à la SCP Foussard, Froger, avocat de la société Electricité de France ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 27 février 2023, présentée par l’association Réseau « Sortir du nucléaire ».

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l’association Réseau « Sortir du nucléaire » a demandé à la société Electricité de France (EDF) de lui communiquer le dossier d’options de sûreté d’un projet de piscine centralisée d’entreposage de combustibles nucléaires usés et qu’EDF lui en a communiqué une version occultée de passages relatifs, d’une part, à la teneur des outils de surveillance utilisés et à la température de l’eau et, d’autre part, à l’implantation du système de refroidissement et d’apport d’eau. L’association se pourvoit en cassation contre le jugement par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision implicite d’EDF refusant la communication de ce document sans occultation de ces passages.

Sur le cadre juridique :

2. Selon les dispositions combinées des articles L. 124-4 du code de l’environnement et L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration, l’autorité publique, après avoir apprécié l’intérêt d’une communication, peut rejeter la demande d’une information relative à l’environnement dont la consultation ou la communication porte atteinte, notamment, à la sécurité publique ou au secret des affaires, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles. En revanche, selon le II de l’article L. 124-5 du code de l’environnement, qui transpose l’avant-dernier alinéa du paragraphe 2 de l’article 4 de la directive 2003/4/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 concernant l’accès du public à l’information en matière d’environnement et abrogeant la directive 90/313/CEE du Conseil, lorsque la demande porte sur une information relative à des émissions de substances dans l’environnement, celle-ci peut être rejetée si sa consultation ou sa communication porterait atteinte à l’un des intérêts énumérés par ces dispositions, au nombre desquels figure la sécurité publique, mais non le secret des affaires.

3. Par son arrêt C-442/14 du 23 novembre 2016, la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit que, au sens des dispositions de l’avant-dernier alinéa du paragraphe 2 de l’article 4 de la directive du 28 janvier 2003, mentionné au point précédent, relève de la notion d’« émissions dans l’environnement » le rejet de produits ou de substances, pour autant que ce rejet soit effectif ou prévisible dans des conditions normales ou réalistes d’utilisation et que relèvent de la notion d’« informations relatives à des émissions dans l’environnement » les indications concernant la nature, la composition, la quantité, la date et le lieu des « émissions dans l’environnement » ainsi que les données relatives aux incidences, à plus ou moins long terme, de ces émissions sur l’environnement. Sont ainsi exclues du champ d’application de ce régime les émissions purement hypothétiques. Dans son arrêt C-673/13 P du même jour, la Cour de justice a jugé que, au sens du règlement n° 1367/2006 du Parlement européen et du Conseil du 6 septembre 2006, concernant l’application aux institutions et organes de la Communauté européenne des dispositions de la convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, les informations qui « ont trait à des émissions dans l’environnement » sont celles qui concernent ou qui sont relatives à de telles émissions, et non les informations présentant un lien, direct ou indirect, avec les émissions dans l’environnement, et que cette notion concerne notamment, mais pas uniquement, les émissions provenant d’installations industrielles comme des usines ou des centrales.

4. Par ailleurs, en vertu de l’article L. 125-10 du code de l’environnement, toute personne a le droit d’obtenir, auprès de l’exploitant d’une installation nucléaire de base, les informations qu’il détient et qui portent sur les risques ou inconvénients que l’installation peut présenter pour la sécurité, la santé et la salubrité publiques ou la protection de la nature et de l’environnement, et sur les mesures prises pour prévenir ou réduire ces risques ou inconvénients, « dans les conditions définies aux articles L. 124-1 à L. 124-6 du même code ».

5. Il résulte des termes mêmes de cet article L. 125-10 que la communication des informations qu’il mentionne concernant une installation nucléaire de base est régie notamment par les articles L. 124-4 et L. 124-5 déjà mentionnés, qui figurent d’ailleurs au même titre II « Information et participation des citoyens » du livre Ier « Dispositions communes » du code de l’environnement. Ainsi, la sécurité publique et le secret des affaires sont au nombre des motifs pour lesquels l’exploitant peut refuser, après une appréciation au cas par cas de son intérêt, la communication de telles informations. Par exception, le secret des affaires n’est pas opposable lorsque les informations demandées se rapportent à des émissions dans l’environnement effectives ou prévisibles dans des conditions normales ou réalistes de fonctionnement de l’installation, ce qui n’est pas le cas des émissions susceptibles de résulter d’un accident éventuel, lesquelles présentent un caractère purement hypothétique.

Sur les moyens du pourvoi :

6. En premier lieu, d’une part, après avoir cité et explicité la portée des dispositions de l’article L. 124-4 et du II de l’article L. 124-5 du code de l’environnement et la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne relative à la notion d’émissions dans l’environnement, le tribunal administratif a jugé que la communication des passages du document demandé relatifs à la teneur des outils de surveillance utilisés dans la piscine d’entreposage et à la température de l’eau porterait atteinte au secret des affaires, de sorte que la société EDF était fondée à la refuser. Il a ainsi nécessairement jugé que les informations occultées n’étaient pas relatives à des émissions de substances dans l’environnement. Par suite, l’association requérante n’est pas fondée à soutenir que le tribunal aurait insuffisamment motivé son jugement en s’abstenant de répondre au moyen tiré de ce que ces informations étaient relatives à des émissions dans l’environnement et que le secret des affaires ne pouvait donc légalement lui être opposé. Il résulte en outre de ce qui a été dit au point 5 qu’en jugeant que ces informations, relatives à des équipements et méthodes destinés à empêcher des émissions accidentelles, ne constituaient pas des informations relatives à des émissions dans l’environnement, le tribunal, à qui il était loisible de ne pas poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne sur l’interprétation de l’avant-dernier alinéa du paragraphe 2 de l’article 4 de la directive du 28 janvier 2003, n’a pas entaché son jugement d’erreur de droit, d’erreur de qualification juridique ou de dénaturation.

7. D’autre part, la teneur des outils de surveillance développés par EDF dans le cadre de son activité de recherche et développement et la température de l’eau de la piscine d’entreposage relèvent du secret des procédés. Par suite, l’association requérante n’est pas fondée à soutenir qu’en jugeant que le secret des affaires faisait obstacle à la divulgation des passages du document traitant de ces deux points, le tribunal, dont le jugement est suffisamment motivé à cet égard, aurait inexactement qualifié les faits de l’espèce.

8. En second lieu, en revanche, il ressort des pièces du dossier que l’association contestait également devant le tribunal administratif l’occultation des passages du document concernant l’implantation des systèmes de refroidissement et du mécanisme de maintien du niveau d’eau. En rejetant, sans en donner les raisons, cette partie des conclusions, le tribunal a, dans cette mesure, insuffisamment motivé son jugement.

9. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne, que l’association requérante est fondée à demander l’annulation du jugement qu’elle attaque, seulement en tant qu’il a rejeté sa demande d’annulation de la décision par laquelle EDF a refusé de désocculter les passages traitant de l’implantation du système de refroidissement et d’apport d’eau.

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler, dans cette mesure, l’affaire au fond en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur le règlement au fond :

11. Il ressort des pièces du dossier que, dans le dossier d’options de sûreté qu’elle a communiqué à l’association, EDF a occulté, d’une part, au 3.4.3.1 « Refroidissement de l’eau du bassin », l’implantation des « échangeurs immergés » qui « assurent le refroidissement de l’eau du bassin par échange avec l’eau de refroidissement du circuit secondaire », ainsi que la « Figure 17 : implantation des systèmes de refroidissement » et, d’autre part, les informations relatives au mécanisme d’apport d’eau figurant au 3.4.3.3 « Maintien du niveau d’eau ». EDF fait valoir, sans être sérieusement contredite, que la divulgation de l’emplacement exact de ces équipements, strictement nécessaires au bon fonctionnement de la piscine, serait de nature à générer un risque accru d’actes de malveillance. Eu égard au caractère névralgique de ces équipements pour la sûreté de l’installation et pour la protection du public, la divulgation de ces informations porterait atteinte à la sécurité publique. Si, ainsi qu’il a été dit au point 2, il convient d’apprécier aussi, comme l’exige l’article L. 124-4 du code de l’environnement, l’intérêt d’une communication, celui-ci n’est pas suffisant en l’espèce pour justifier qu’un tel risque puisse être pris. Par suite, et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir soulevée par la société EDF, l’association requérante n’est pas fondée à demander l’annulation du refus d’EDF de lui communiquer les passages en litige.

12. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre une somme à la charge de l’association Réseau « Sortir du nucléaire » en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions du même article font obstacle à ce qu’une somme soit mise sur ce fondement à la charge de la société EDF.

Décide :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lyon du 20 juillet 2021 est annulé en tant qu’il a rejeté la demande d’annulation de la décision implicite par laquelle la société Electricité de France a rejeté la demande de l’association Réseau « Sortir du nucléaire » tendant à la communication des passages du dossier d’options de sûreté relatifs à l’implantation des systèmes de refroidissement et du mécanisme de maintien du niveau d’eau.

Article 2 : Le surplus des conclusions du pourvoi et le surplus de la demande présentée par l’association Réseau « Sortir du nucléaire » devant le tribunal administratif de Lyon sont rejetés.

Article 3 : Les conclusions présentées par la société Electricité de France au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à l’association Réseau « Sortir du nucléaire » et à la société Electricité de France.

Copie en sera adressée à la ministre de la transition énergétique.

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