Le Conseil d’Etat a estimé que l’inscription à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques est soumise aux dispositions de l’article 1er du premier protocole additionnel de la Convention européenne des droits de l’homme.
Conseil d’État
N° 308778
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
6ème et 1ère sous-sections réunies
M. Daël, président
Mme Dominique Guihal, rapporteur
M. Guyomar Mattias, commissaire du gouvernement
SCP NICOLAY, DE LANOUVELLE, HANNOTIN, avocats
lecture du mercredi 8 juillet 2009
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu le pourvoi et le mémoire complémentaire, enregistrés les 23 août et 23 novembre 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. Gustave A, demeurant …, Mme Aimée B, demeurant …, Mme Simone A, demeurant …, Mme Yvette C, demeurant … ; M. Gustave A et autres demandent au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt du 21 juin 2007 par lequel la cour administrative d’appel de Lyon a rejeté leur requête tendant d’une part, à l’annulation du jugement n° 0201737 du 31 mai 2005 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand rejetant leur demande d’annulation de l’arrêté du 14 juin 2002 du préfet de la Région Auvergne portant inscription à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques de l’oppidum du Puy du Mur, d’autre part, à l’annulation de cet arrêté ;
2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à leurs demandes de première instance et d’appel ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat, le versement de la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ensemble le premier protocole additionnel à cette convention ;
Vu le code du patrimoine ;
Vu la loi du 31 décembre 1913 modifiée sur les monuments historiques, alors en vigueur ;
Vu la loi du 27 septembre 1941 relative à la réglementation des fouilles archéologiques ;
Vu la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l’amélioration des relations entre l’administration et le public ;
Vu la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations ;
Vu le décret du 18 mars 1924 portant règlement d’administration publique pour l’application de la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de Mme Dominique Guihal, chargée des fonctions de Maître des Requêtes,
– les observations de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de M. A et autres,
– les conclusions de M. Mattias Guyomar, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de M. A et autres ;
Considérant que, par un arrêté du 14 juin 2002, le préfet de la région Auvergne a inscrit à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques les vestiges archéologiques du Puy de Mur ; que les consorts Valette et Mme C, propriétaires des parcelles concernées, ont formé contre cet arrêté un recours qui a été rejeté par le tribunal administratif ; qu’ils ont formé un pourvoi contre l’arrêt de rejet rendu le 21 juin 2007 par la cour administrative d’appel de Lyon ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi ;
Considérant qu’aux termes de l’article premier du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international./ Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ; que si ces stipulations ne font pas obstacle à l’édiction, par l’autorité compétente, d’une réglementation de l’usage des biens, dans un but d’intérêt général, ayant pour effet d’affecter les conditions d’exercice du droit de propriété, il appartient au juge, pour apprécier la conformité aux stipulations de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales d’une décision individuelle prise sur la base d’une telle réglementation, d’une part de tenir compte de l’ensemble de ses effets juridiques, d’autre part, et en fonction des circonstances concrètes de l’espèce, d’apprécier s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les limitations constatées à l’exercice du droit de propriété et les exigences d’intérêt général qui sont à l’origine de cette décision ;
Considérant que l’inscription sur l’inventaire supplémentaire a pour effet, en vertu de l’article 2 de la loi du 31 décembre 1913, d’imposer une déclaration préalable des travaux envisagés sur les immeubles concernés et de soumettre l’exécution de ces travaux au contrôle du service des monuments historiques ; qu’elle emporte en outre, selon l’article L. 430-1 du code de l’urbanisme, assujettissement de la démolition des immeubles à un permis, et suivant l’article L. 422-4 du même code, soustraction des constructions et des travaux du bénéfice de l’exemption de permis de construire ; qu’ainsi, la décision d’inscription a pour effet, par elle-même, de limiter l’exercice du droit de propriété ;
Considérant que, pour écarter le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales par l’arrêté d’inscription, l’arrêt attaqué retient qu’eu égard aux contraintes limitées qu’elle emporte pour un propriétaire, notamment d’aviser le préfet avant tout projet de travaux, la décision portant inscription sur l’inventaire supplémentaire des monuments historiques n’a pas pour effet de porter, par elle-même, atteinte au droit de propriété ; qu’il résulte de ce qui a été dit ci-dessus qu’en écartant pour ce motif le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la cour administrative d’appel a entaché sa décision d’erreur de droit, que par suite, celle-ci doit être annulée ;
Considérant qu’il y a lieu dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative ;
Sur la légalité externe de l’arrêté attaqué :
Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article 5 du décret du 18 mars 1924, Lorsque le préfet de région reçoit une demande de classement ou d’inscription d’un immeuble sur l’inventaire supplémentaire des monuments historiques ou prend l’initiative de cette inscription, il recueille l’avis de la commission régionale du patrimoine et des sites ; qu’aux termes de l’article 2 du même décret : Toute demande de classement ou d’inscription d’un immeuble doit être accompagnée de sa description ainsi que des documents graphiques le représentant dans sa totalité ou sous ses aspects les plus intéressants ; qu’il ressort des pièces du dossier que les éléments soumis à la commission régionale du patrimoine et des sites comprenaient une description du site, une présentation de son intérêt historique, un état des fouilles et sondages réalisés depuis les années 1930, de leurs résultats et de leur localisation, une liste des parcelles concernées, ainsi qu’un document graphique représentant les vestiges apparents, sur un fond de plan établi à partir des feuilles cadastrales des communes concernées ; qu’ainsi, alors même qu’il ne comprenait pas des informations exhaustives sur l’ensemble des vestiges archéologiques qu’est susceptible de recéler le plateau, ce dossier, contrairement à ce que prétendent les requérants, a permis aux membres de la commission de se prononcer en toute connaissance de cause sur l’intérêt du site et sur son périmètre ;
Considérant, d’autre part, qu’il résulte des dispositions combinées des articles 1er de la loi du 11 juillet 1979 et 24 de la loi du 12 avril 2000, que les décisions d’inscription d’un immeuble à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques, lesquelles ne présentent pas le caractère de décisions individuelles, ne sont pas au nombre de celles qui ne peuvent intervenir qu’après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales ; que, dans ces conditions, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la décision en cause aurait été prise en violation de ces dispositions ; qu’aucune autre disposition législative ou réglementaire n’impose à l’autorité administrative d’inviter les propriétaires concernés à présenter des observations préalablement à l’intervention d’une décision d’inscription ;
Sur la légalité interne de l’arrêté attaqué :
Considérant qu’aux termes de l’article 2 de la loi du 31 décembre 1913 dans sa rédaction alors applicable : Les immeubles ou parties d’immeubles publics ou privés qui, sans justifier une demande de classement immédiat, présentent un intérêt d’histoire ou d’art suffisant pour en rendre désirable la préservation pourront, à toute époque, être inscrits, par arrêté du préfet de région, ou, lorsque l’inscription est proposée par la Commission supérieure des monuments historiques, par arrêté du ministre chargé des affaires culturelles, sur un inventaire supplémentaire ; qu’aux termes de l’article 22 de la loi du 27 septembre 1941 dans sa version alors en vigueur : Sont compris parmi les immeubles susceptibles d’être inscrits sur l’inventaire supplémentaire des monuments historiques institué par le paragraphe 4 de l’article 2 de la loi du 31 décembre 1913, modifiée par celle du 23 juillet 1927, les monuments mégalithiques, les stations préhistoriques ainsi que les terrains qui renferment des champs de fouilles pouvant intéresser la préhistoire, l’histoire, l’art ou l’archéologie ; que les fouilles conduites sur le plateau de Mur ont révélé que le site présentait un intérêt archéologique exceptionnel en ce qui concerne notamment la fin de l’âge du bronze et le début de l’âge du fer ; que même si, compte tenu des superficies concernées et de la complexité du site, ces recherches sont restées partielles, elles ont permis, outre les ouvrages apparents – consistant notamment en une enceinte protohistorique de 1.500 mètres de long, remarquable par son ampleur et son état de conservation – de mettre en évidence des indices nombreux et concordants de la présence, dans l’ensemble du périmètre concerné, de vestiges archéologiques ; que, bien que certains d’entre eux aient pu être endommagés, le site de l’oppidum de Mur présente un intérêt suffisant du point de vue de la préhistoire, de l’histoire, de l’art et de l’archéologie pour justifier l’inscription à l’inventaire supplémentaire de l’ensemble des parcelles qui y ont été inscrites et dont aucune n’est située à l’intérieur de la carrière existante ; que, par suite, l’arrêté attaqué n’a pas fait une inexacte application de la loi ;
Considérant qu’ainsi qu’il a été dit, la décision contestée, fondée sur les dispositions de la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques, a été prise afin de protéger un ensemble de vestiges archéologiques remarquables par leur ampleur et leur état de conservation ; que la circonstance que l’inscription compromettrait le projet des requérants tendant à affecter leurs parcelles à l’exploitation d’une carrière n’apparaît pas, dans les circonstances de l’espèce, comme portant à leur droit de propriété une atteinte disproportionnée au but d’intérêt général poursuivi par la décision contestée ; que, par suite, les requérants ne sont pas fondés à invoquer une violation des stipulations de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Considérant qu’aux termes de l’article 2 précité de la loi du 31 décembre 1913, l’inscription peut porter sur des immeubles ou sur des parties d’immeubles ;
Considérant qu’aux termes de l’article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ; que cette disposition interdit que soit appliqué un traitement différent, dans l’exercice ou la jouissance d’un droit reconnu par la convention, à des personnes placées dans une situation comparable, sans justification objective et raisonnable ;
Considérant que les requérants allèguent que des parcelles de très faibles dimensions situées sur le pourtour ou à l’intérieur de l’enceinte n’ont pas été inscrites et qu’il en résulte une discrimination fondée sur la fortune des propriétaires concernés ;
Considérant, toutefois, qu’il ressort des pièces du dossier que cette exclusion résulte d’un mauvais état de conservation des vestiges caractéristique des parcelles qui n’ont pas été inscrites et, en l’espèce, ne méconnait donc pas l’unité du site ; qu’il apparaît, dès lors, que les propriétaires visés par l’inscription et ceux qui ne le sont pas se trouvent dans une situation objectivement différente et que la différence de traitement dont ils font l’objet est justifiée par des considérations raisonnables et appropriées au but de la mesure ; que les requérants ne sauraient, dès lors, soutenir que la décision contestée serait entachée d’une discrimination illégale ;
Considérant que, si le schéma départemental d’aménagement et d’urbanisme approuvé en 1995 et applicable localement désignait le Puy de Mur parmi les sites présentant un intérêt particulier pour l’ouverture de nouvelles carrières, de telles orientations ne faisaient pas obstacle à l’inscription du site du Puy de Mur, pour les motifs d’intérêt général rappelés ci-dessus, à l’inventaire supplémentaire ;
Considérant que le détournement de pouvoir allégué n’est pas établi ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c’est à tort que par le jugement attaqué le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté leur requête ; que leurs conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu’être rejetées ;
D E C I D E :
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Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon du 21 juin 2007 est annulé.
Article 2 : La requête d’appel formée contre le jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 31 mai 2005 est rejetée.
Article 3 : Les conclusions tendant à l’application de l’article L 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Gustave A, à Mme Aimée B, à Mme Simone A, à Mme Yvette C et au ministre de la culture et de la communication.