Vu la procédure suivante :
M. A. B. a demandé au juge des référés du tribunal administratif de la Guyane de suspendre, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, l’exécution de l’arrêté du 4 novembre 2021 par lequel le maire de Rémire-Montjoly a décidé de préempter la parcelle cadastrée section AS n° 1705. Par une ordonnance n° 2200062 du 15 février 2022, le juge des référés du tribunal administratif de la Guyane a rejeté cette demande.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 4 et 19 avril 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. B. demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler cette ordonnance ;
2°) de mettre à la charge de la commune de Rémire-Montjoly la somme de 4 000 € au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code de procédure civile ;
– le code de l’urbanisme ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de Mme Agnès Pic, maître des requêtes en service extraordinaire,
– les conclusions de M. Arnaud Skzryerbak, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de M. B. ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de la Guyane que, par une délibération du 10 septembre 2010, le conseil général de la Guyane a approuvé la vente à M. B. d’une parcelle à détacher du terrain cadastré section AS n° 161. Le 15 novembre 2016, une déclaration d’intention d’aliéner la parcelle section AS n° 1705, issue de la division de la parcelle section AS n° 161, a été reçue par la commune de Rémire-Montjoly, qui a fait connaître, le 23 décembre 2016, qu’elle n’exercerait pas son droit de préemption urbain. Par un jugement du 25 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Cayenne, saisi par M. B., a déclaré parfaite la vente au profit de ce dernier de la parcelle cadastrée n° AS 1705. Une nouvelle déclaration d’intention d’aliéner cette parcelle, datée du 5 août 2021 et identique à la précédente, a été reçue le 24 août 2021 par la commune de Rémire-Montjoly, laquelle, par un arrêté du 4 novembre 2021, a décidé d’exercer son droit de préemption. M. B. se pourvoit en cassation contre l’ordonnance du 15 février 2022 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande tendant, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, à ce que l’exécution de cet arrêté soit suspendue.
Sur le pourvoi :
2. Aux termes du premier alinéa de l’article 480 du code de procédure civile : « Le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal, ou celui qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident a, dès son prononcé, l’autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu’il tranche ».
3. Pour juger que M. B. ne pouvait se prévaloir du jugement du 25 janvier 2021 du tribunal judiciaire de Cayenne ayant jugé que la vente intervenue à son profit était parfaite, le juge des référés du tribunal administratif a estimé que ce jugement ne pouvait, faute qu’il soit certain qu’il ait fait l’objet d’une signification, être regardé comme revêtu de l’autorité de la chose jugée, ce dont il a déduit que l’article 1er de l’arrêté litigieux visait à bon droit le bien en cause comme appartenant à la Collectivité territoriale de Guyane. En se fondant sur cette circonstance pour juger que M. B. ne pouvait se prévaloir de ce jugement, alors qu’il résulte des dispositions citées au point précédent de l’article 480 du code de procédure civile que celui-ci bénéficiait, dès son prononcé, de l’autorité de la chose jugée, le juge des référés du tribunal administratif a commis une erreur de droit.
4. Il résulte de ce qui précède que, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, M. B. est fondé à demander l’annulation de l’ordonnance qu’il attaque.
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au titre de la procédure de référé engagée en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative.
Sur le référé :
6. Aux termes du premier alinéa de l’article L. 521-1 du code de justice administrative : « Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ».
En ce qui concerne l’urgence :
7. Eu égard à l’objet d’une décision de préemption et à ses effets vis-à-vis de l’acquéreur évincé, la condition d’urgence doit en principe être regardée comme remplie lorsque celui-ci demande la suspension d’une telle décision. Il peut toutefois en aller autrement dans le cas où le titulaire du droit de préemption justifie de circonstances particulières, tenant par exemple à l’intérêt s’attachant à la réalisation rapide du projet qui a donné lieu à l’exercice du droit de préemption. Il appartient au juge des référés de procéder à une appréciation globale de l’ensemble des circonstances de l’espèce qui lui est soumise.
8. En l’espèce, la suspension de la décision de préemption en litige est demandée par M. B., qui doit être regardé comme ayant la qualité d’acquéreur évincé. La commune de Rémire-Montjoly ne justifie pas de la nécessité de réaliser le projet ayant donné lieu à l’exercice du droit de préemption dans des délais rapides et, ce faisant, de circonstances particulières de nature à permettre que la condition d’urgence ne soit pas, en l’espèce, regardée comme satisfaite.
En ce qui concerne l’existence d’un moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée :
9. Aux termes du premier alinéa de l’article L. 213-2 du code de l’urbanisme : « Toute aliénation visée à l’article L. 213-1 est subordonnée, à peine de nullité, à une déclaration préalable faite par le propriétaire à la mairie de la commune où se trouve situé le bien. Cette déclaration comporte obligatoirement l’indication du prix et des conditions de l’aliénation projetée […]. Le silence du titulaire du droit de préemption pendant deux mois à compter de la réception de la déclaration mentionnée au premier alinéa vaut renonciation à l’exercice du droit de préemption. […] Lorsqu’il envisage d’acquérir le bien, le titulaire du droit de préemption transmet sans délai copie de la déclaration d’intention d’aliéner au responsable départemental des services fiscaux. La décision du titulaire fait l’objet d’une publication. Elle est notifiée au vendeur, au notaire et, le cas échéant, à la personne mentionnée dans la déclaration d’intention d’aliéner qui avait l’intention d’acquérir le bien. […] ». L’article L. 213-8 du même code prévoit que : « Si le titulaire du droit de préemption a renoncé à l’exercice de son droit avant fixation judiciaire du prix, le propriétaire peut réaliser la vente de son bien au prix indiqué dans sa déclaration […]. / Si le propriétaire n’a pas réalisé la vente de son bien sous forme authentique dans le délai de trois ans à compter de la renonciation au droit de préemption, il dépose une nouvelle déclaration préalable mentionnée à l’article L. 213-2. / […] La vente sera considérée comme réalisée, au sens du deuxième alinéa du présent article, à la date de l’acte notarié ou de l’acte authentique en la forme administrative constatant le transfert de propriété. […] »
10. Il résulte de ces dispositions, en premier lieu, que le titulaire du droit de préemption sur un bien ne saurait légalement l’exercer, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, si la déclaration d’intention de l’aliéner a été faite par une personne qui, à la date de cette déclaration, n’est pas propriétaire du bien. Il en résulte, en second lieu, que la réception d’une déclaration d’intention d’aliéner ouvre au titulaire du droit de préemption, alors même qu’il aurait renoncé à l’exercer à la réception d’une précédente déclaration d’intention d’aliéner portant sur la vente du même bien par la même personne aux mêmes conditions, un délai de deux mois pour exercer ce droit. La circonstance que la déclaration d’intention d’aliéner soit incomplète ou entachée d’une erreur substantielle portant sur la consistance du bien objet de la vente, son prix ou sur les conditions de son aliénation est, par elle-même, et hors le cas de fraude, sans incidence sur la légalité de la décision de préemption prise à la suite de cette déclaration.
11. En l’espèce, la réception d’une déclaration d’intention d’aliéner le 24 août 2021 ouvrait ainsi en principe à la commune de Rémire-Montjoly, autorité titulaire du droit de préemption urbain, la possibilité d’exercer légalement ce droit, alors même qu’elle avait renoncé à l’exercer à la réception d’une précédente déclaration d’intention d’aliéner portant sur la vente du même bien par la même personne aux mêmes conditions. Il résulte toutefois de l’instruction qu’à la date de cette déclaration, faite par la collectivité territoriale de Guyane, la vente réalisée auparavant au profit de M. B. avait été jugée parfaite par le tribunal judiciaire de Cayenne. Si, en l’état de l’instruction, il n’est pas établi que ce jugement soit devenu définitif, le moyen tiré de ce que la déclaration d’intention d’aliéner n’émanait pas du propriétaire du bien préempté est par suite propre, en l’état de l’instruction et eu égard à l’office du juge des référés, à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée.
12. Aux termes de l’article L. 600-4-1 du code de l’urbanisme : « Lorsqu’elle annule pour excès de pouvoir un acte intervenu en matière d’urbanisme ou en ordonne la suspension, la juridiction administrative se prononce sur l’ensemble des moyens de la requête qu’elle estime susceptibles de fonder l’annulation ou la suspension, en l’état du dossier ». Aucun autre moyen n’est susceptible de fonder, en l’état du dossier, la suspension de la décision attaquée.
13. Il résulte de tout ce qui précède qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de prononcer la suspension demandée par M. B., jusqu’à ce qu’il soit statué au fond sur la légalité de la décision attaquée.
Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. La commune de Rémire-Montjoly versera une somme de 3 500 € à M. B. au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Les mêmes dispositions font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de M. B., qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance.
Décide :
Article 1er : L’ordonnance du 15 février 2022 du juge des référés du tribunal administratif de la Guyane est annulée.
Article 2 : L’exécution de l’arrêté du 4 novembre 2021 du maire de Rémire-Montjoly est suspendue.
Article 3 : La commune de Rémire-Montjoly versera une somme de 3 500 € à M. B. au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la commune de Rémire-Montjoly au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. A. B., à la commune de Rémire-Montjoly et à la collectivité territoriale de Guyane.