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Domaine public : quelles sont les règles applicables à la location d’un bien déclassé ?

Arrêt rendu par Cour de cassation, 3e civ.
06-07-2022
n° 21-18.450
Texte intégral :
Arrêt de la Cour de cassation, troisième chambre civile du 6 juillet 2022

Mme [Y.] [V.], épouse [G.], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° P 21-18.450 contre l’arrêt rendu le 26 mars 2021 par la cour d’appel de Paris (pôle 4, chambre 3), dans le litige l’opposant à la société BP mixte, société par actions simplifiées, dont le siège est [Adresse 2], représentée par la SAS Citya immobilier, dont le siège est [Adresse 3], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Andrich, conseiller, les observations de la SARL Ortscheidt, avocat de Mme [G.], de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société BP mixte, et l’avis de Mme Guilguet-Pauthe, avocat général, après débats en l’audience publique du 31 mai 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Andrich, conseiller rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, MM. Jessel, David, Jobert, Mme Grandjean, conseillers, M. Jariel, M Mme me Schmitt, M. Baraké, Mme Gallet, conseillers référendaires, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l’article R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 26 mars 2021), Mme [G.] (la locataire), agent de La Poste, a signé, le 2 novembre 1990 avec La Poste, une convention portant sur l’occupation d’un logement « consentie à titre précaire et révocable, à laquelle l’Etat pourra mettre fin à toute époque », stipulant qu’elle « prendra fin automatiquement, en cas de cessation des fonctions administratives de l’occupant, d’affectation de l’immeuble à un service public ou en cas de vente du bien par l’Etat ».

2. Le 12 décembre 2001, l’immeuble a fait l’objet d’un déclassement du domaine public puis, La Poste, devenue une société de droit privé, a fait apport, à compter du 1er avril 2005, de l’immeuble à sa filiale, la société civile immobilière BP mixte, devenue la société BP mixte (la bailleresse).

3. Le 29 janvier 2019, la bailleresse a assigné la locataire, en retraite depuis le 2 décembre 2005, en expulsion et en fixation d’une indemnité d’occupation.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche, ci-après annexé

Motivation

4. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

5. La locataire fait grief à l’arrêt de constater que les conditions d’acquisition de la clause résolutoire, figurant dans la convention d’occupation précaire conclue le 2 novembre 1990, sont réunies à la date du 2 décembre 2005, de lui ordonner de libérer l’appartement dans les huit jours de la signification de la décision et de fixer l’indemnité mensuelle d’occupation jusqu’à la date de la libération effective et définitive des lieux, alors « qu’est incompatible avec la qualification de convention d’occupation précaire et doit être requalifiée en contrat de bail d’habitation soumis aux dispositions d’ordre public de la loi du 6 juillet 1989, la convention conférant au preneur, en contrepartie d’un loyer la jouissance d’un appartement dans lequel il demeure depuis plus 15 ans, sans qu’aucune cause objective de précarité ne soit fournie par le bailleur pour justifier l’exclusion des dispositions d’ordre public de la loi du 6 juillet 1989 ; qu’en se bornant cependant à énoncer, pour refuser de requalifier la convention d’occupation précaire en bail d’habitation, qu’en vertu de la convention du 2 novembre 1990, par motifs propres que « la mise à disposition consentie avait un terme ; que lors de son départ à la retraite survenu le 2 décembre 2005, [Y.] [G.] savait qu’elle ne bénéficiait plus de droits sur le bien puisque la mise à disposition avait pris fin automatiquement » et par motifs adoptés que le courrier du 30 juin 2015 ne contenait pas « une renonciation de la SCI BP Mixte aux conditions de résiliation posées par la convention ni l’ajout de clause résolutoire de libération de l’ensemble des appartements de l’immeuble et de relogement », la cour qui a statué par des motifs impropres à caractériser, s’agissant d’un local d’habitation, l’existence au moment de la signature de la convention du 2 novembre 1990 de circonstances particulières indépendantes de la seule volonté de Mme [G.] et de La Poste justifiant le recours à une convention d’occupation précaire, a violé l’article 2 de la loi du 6 juillet 1989. »

Réponse de la Cour

Vu l’article 2 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 :

6. Il résulte de ce texte, d’ordre public, que, dès le déclassement d’un bien du domaine public, sa location à usage d’habitation à titre de résidence principale, est soumise aux dispositions du titre 1er de cette loi. En conséquence, la validité d’une convention y dérogeant est conditionnée à l’existence de circonstances particulières indépendantes de la volonté des parties autres que celles résultant de la seule domanialité du bien, ce qu’il appartient au juge de vérifier.

7. Pour accueillir la demande de la bailleresse, l’arrêt retient que le contrat ne concerne pas le domaine public mais un bien relevant du domaine privé de l’Etat, que la locataire a signé une convention prévoyant qu’elle prendra fin automatiquement en cas de cessation des fonctions administratives de l’occupant, en sorte que la mise à disposition consentie avait un terme, ce qui excluait que le bail puisse avoir été considéré comme un bail d’habitation de droit commun.

8. En statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé.

Par ces motifs, la Cour :

Casse et annule, mais seulement en ses dispositions confirmant le jugement entrepris en ce qu’il :

– constate l’acquisition de la clause résolutoire figurant dans la convention d’occupation précaire conclue le 2 novembre 1990 entre l’Etat, aux droits duquel vient la SCI BP Mixte, et Mme [G.] concernant l’appartement à usage d’habitation situé [Adresse 1], sont réunis à la date du 2 décembre 2005 ;

– ordonne, en conséquence, à Mme [G.] et à tous occupants de son chef de libérer l’appartement dans les huit jours de la signification du présent jugement ;

– autorise, à défaut pour Mme [G.] d’avoir volontairement libéré les lieux dans ce délai, la SCI BP Mixte venant aux droits de l’Etat à faire procéder à son expulsion ainsi qu’à celle de tous occupants de son chef, deux mois après la signification d’un commandement de quitter les lieux, y compris le cas échéant avec le concours d’un serrurier et de la force publique ;

– condamne Mme [G.] à verser à la SCI BP Mixte, venant aux droits de l’Etat, une indemnité mensuelle d’occupation jusqu’à la date de la libération effective et définitive des lieux ;

– fixe le montant de l’indemnité mensuelle d’occupation à un montant égal au montant de la redevance et des charges qui auraient été dus en l’absence de la résiliation de la convention, soit un montant 761 €, outre charges et révisions annuelles ;

– condamne Mme [G.] à verser à la SCI BP Mixte, venant aux droits de l’Etat, la somme de 1 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

et en ce qu’il y ajoute, condamne Mme [G.] à payer à la SCI BP Mixte la somme de 1 200 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

l’arrêt rendu le 26 mars 2021, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Paris autrement composée ;

Condamne la société BP mixte aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société BP mixte et la condamne à payer à Mme [G.] la somme de 3 000 € ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du six juillet deux mille vingt-deux et signé par lui et Mme Letourneur, greffier de chambre, qui a assisté au prononcé de l’arrêt.

Moyen annexé au présent arrêt

Moyen produit par la SARL Ortscheidt, avocat aux Conseils, pour Mme [G.]

Madame [Y.] [G.] fait grief à l’arrêt confirmatif attaqué d’avoir constaté que les conditions d’acquisition de la clause résolutoire figurant dans la convention d’occupation précaire conclue le 2 novembre 1990 entre l’Etat, aux droits duquel vient la SCI BP Mixte, et Mme [Y.] [G.] concernant l’appartement à usage d’habitation situé au [Adresse 1], sont réunies à la date du 2 décembre 2005, ordonné à Mme [G.] et à tous occupants de son chef de libérer l’appartement dans les huit jours de la signification de la décision et fixé l’indemnité mensuelle d’occupation que Mme [G.] devra verser à la SCI BP Mixte jusqu’à la date de la libération effective et définitive des lieux à la somme de 761 € par mois ;

1°) Alors que les dispositions de l’article 2 de la loi du 6 juillet 1989 sont d’ordre public ; qu’elles s’appliquent aux locations de locaux à usage d’habitation ou à usage mixte professionnel et d’habitation, qui constituent la résidence principale du preneur, ainsi qu’aux garages, aires et places de stationnement, jardins et autres locaux, loués accessoirement au local principal par le même bailleur ; qu’en estimant qu’ à la date du 2 décembre 2005 les conditions d’acquisition de la clause résolutoire figurant dans la convention d’occupation précaire conclue le 2 novembre 1990 entre l’Etat, aux droits duquel vient la SCI BP Mixte, et Mme [G.], concernant l’appartement occupé par celle-ci étaient réunies, aux motifs propres que « les dispositions de l’article 23 de la loi du 2 juillet 1990 relatives à l’organisation du service public de la poste et à France Télécom qui dispose que « les biens de la Poste relevant de son domaine public sont déclassés. Ils peuvent être librement gérés et aliénés dans les conditions du droit commun » ne prévoient qu’une possibilité pour les biens déclassés de voir leur régime modifié pour recouvrer un régime de droit privé ; que cependant sur ce point aucun acte n’est présenté concernant les rapports entre les parties et régissant l’occupation du bien litigieux par [Y.] [G.] » (arrêt, p. 5, § 5 et 6) et aux motifs adoptés que l’article 2 de la convention du 2 novembre 1990 prévoyait qu’« en tout état de cause, la convention prendra fin automatiquement en cas de cessation des fonctions administratives de l’occupant » et que « Madame [G.] a cessé ses fonctions d’agent de La Poste le 2 décembre 2005 » (jugement, p. 5, § 9 et 10), sans rechercher, comme il lui était demandé, si les lieux loués de longue date à Mme [G.] n’étaient pas indépendants des locaux affectés au service public de La Poste et de tout autre local ayant pu être affecté au service à l’usage des services postaux, de sorte qu’ils ne constituaient pas des dépendances du domaine public de l’établissement public de La Poste et que les rapports entre les parties devaient être régis par la loi du 6 juillet 1989, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 2 de la loi du 6 juillet 1989 ;

2°) Alors qu’est incompatible avec la qualification de convention d’occupation précaire et doit être requalifiée en contrat de bail d’habitation soumis aux dispositions d’ordre public de la loi du 6 juillet 1989, la convention conférant au preneur, en contrepartie d’un loyer la jouissance d’un appartement dans lequel il demeure depuis plus 15 ans, sans qu’aucune cause objective de précarité ne soit fournie par le bailleur pour justifier l’exclusion des dispositions d’ordre public de la loi du 6 juillet 1989 ; qu’en se bornant cependant à énoncer, pour refuser de requalifier la convention d’occupation précaire en bail d’habitation, qu’en vertu de la convention du 2 novembre 1990, par motifs propres que « la mise à disposition consentie avait un terme ; que lors de son départ à la retraite survenu le 2 décembre 2005, [Y.] [G.] savait qu’elle ne bénéficiait plus de droits sur le bien puisque la mise à disposition avait pris fin automatiquement » » (arrêt p.4, in fine) et par motifs adoptés que le courrier du 30 juin 2015 ne contenait pas « une renonciation de la SCI BP Mixte aux conditions de résiliation posées par la convention ni l’ajout de clause résolutoire de libération de l’ensemble des appartement de l’immeuble et de relogement » (jugement, p.6, § 1), la cour qui a statué par des motifs impropres à caractériser, s’agissant d’un local d’habitation, l’existence au moment de la signature de la convention du 2 novembre 1990 de circonstances particulières indépendantes de la seule volonté de Mme [G.] et de La Poste justifiant le recours à une convention d’occupation précaire, a violé l’article 2 de la loi du 6 juillet 1989.

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