Conseil d’État
N° 334360
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
7ème et 2ème sous-sections réunies
M. Jacques Arrighi de Casanova, président
M. Nicolas Polge, rapporteur
M. Nicolas Boulouis, rapporteur public
SCP BARTHELEMY, MATUCHANSKY, VEXLIARD ; SCP PIWNICA, MOLINIE ; SCP NICOLAY, DE LANOUVELLE, HANNOTIN ; SCP PEIGNOT, GARREAU, BAUER-VIOLAS, avocats
lecture du lundi 23 janvier 2012
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu l’ordonnance du 18 novembre 2009, enregistrée le 7 décembre 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, par laquelle le président de la cour administrative d’appel de Marseille a transmis au Conseil d’Etat, en application des articles R. 351-2 et R. 343-3 du code de justice administrative, les requêtes présentées à cette cour par le DEPARTEMENT DES ALPES-MARITIMES, d’une part, et M. et Mme C, d’autre part ;
Vu la requête, enregistrée le 28 septembre 2009 au greffe de la cour administrative d’appel de Marseille, présentée pour le DEPARTEMENT DES
ALPES-MARITIMES, représenté par le président du conseil général, et tendant à l’annulation du jugement nos 0402443 et 0403243 du 7 juillet 2009 du tribunal administratif de Nice en tant qu’il a déclaré que le mur situé à Saint-Laurent-du-Var en limite de la route départementale 118 et de la propriété B est un ouvrage public ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code civil ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Nicolas Polge, Maître des Requêtes,
– les observations de la SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard, avocat de
M. et Mme C, de la SCP Peignot, Garreau, Bauer-Violas, avocat du DEPARTEMENT DES ALPES MARITIMES et de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la commune de Saint-Laurent-du-Var,
– les conclusions de M. Nicolas Boulouis, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard, avocat de M. et Mme C, à la SCP Peignot, Garreau, Bauer-Violas, avocat du DEPARTEMENT DES ALPES MARITIMES et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la commune de Saint-Laurent-du-Var ;
Considérant qu’il résulte de l’instruction que M. et Mme C ont vendu à Mme B, par acte notarié du 9 juin 2000, leur propriété de Saint-Laurent-du-Var, bordée par une route départementale ; qu’à la suite des pluies des 5 et 6 novembre 2000, reconnues ensuite cause de catastrophe naturelle, le maire de Saint-Laurent-du-Var a fait exécuter d’office, aux frais de Mme B, des travaux de confortement du mur séparant la propriété de la route départementale ; que, saisi par Mme B, le tribunal de grande instance de Grasse a rejeté ses demandes tendant, à titre principal, à la résiliation de la vente et, à titre subsidiaire, à la condamnation de M. et Mme C à l’indemniser des frais exposés par elle, déclarant dès lors sans objet la mise en cause du département par ces derniers, mais a condamné l’assureur de Mme B à la rembourser de ces frais ; que, par un arrêt du 5 décembre 2006, la cour d’appel d’Aix-en-Provence, saisie par M. et Mme C et le département de conclusions en ce sens, a décidé de surseoir à statuer sur l’ensemble des demandes dont elle était saisie jusqu’à ce que la juridiction administrative se soit prononcée sur la propriété du mur ; que M. et Mme C, par un mémoire produit dans chacune des instances engagées par eux devant le tribunal administratif de Nice et tendant, respectivement, à l’annulation du titre de recette émis par la commune de Saint-Laurent-du-Var à l’encontre de Mme B pour paiement des travaux exécutés d’office et à la condamnation du département à leur rembourser la somme que leur demandait Mme B, ont conclu à ce que le mur soit déclaré propriété du département et ont versé aux dossiers de ces instances copie de l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence ; que, par l’article 1er du jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a déclaré que le mur en litige est un ouvrage public ; que par l’article 2, il a rejeté les autres demandes de
M. et Mme C ;
Sur l’appel du DEPARTEMENT DES ALPES-MARITIMES contre l’article 1er du jugement attaqué :
Considérant, d’une part, qu’il appartient au juge administratif de se prononcer sur l’existence, l’étendue et les limites du domaine public, même en l’absence d’acte administratif délimitant ce domaine, sauf à renvoyer à l’autorité judiciaire la solution d’une question préjudicielle de propriété lorsque, à l’appui de la contestation, sont invoqués des titres privés dont l’examen soulève une difficulté sérieuse ;
Considérant, d’autre part, qu’en vertu des principes généraux relatifs à la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction, il n’appartient pas à la juridiction administrative, lorsqu’elle est saisie d’une question préjudicielle en interprétation, de trancher d’autres questions que celle qui lui a été renvoyée par l’autorité judiciaire ;
Considérant, dès lors, que la décision par laquelle la cour d’appel
d’Aix-en-Provence a décidé de surseoir à statuer jusqu’à ce que la juridiction administrative se soit prononcée sur la propriété du mur litigieux ne peut être comprise que comme renvoyant à la juridiction administrative la question de l’appartenance de ce mur au domaine public ; qu’en se prononçant sur la question distincte de la qualification de ce mur comme ouvrage public, que l’autorité judiciaire est d’ailleurs, comme la juridiction administrative, compétente pour apprécier, le tribunal administratif de Nice a méconnu la portée de la question renvoyée devant lui ; que le DEPARTEMENT DES ALPES-MARITIMES est par suite fondé, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de sa requête, à demander l’annulation de l’article 1er du jugement attaqué qui déclare que le mur situé à Saint-Laurent-du-Var en limite de la route départementale 118 et de la propriété B est un ouvrage public ;
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’évoquer et de statuer immédiatement, dans cette limite, sur le recours en interprétation présenté devant le tribunal administratif de Nice par M. et Mme C ;
Considérant, en premier lieu, que si le département demande au Conseil d’Etat de surseoir à statuer jusqu’à ce que l’autorité judiciaire se soit prononcée sur la question de propriété débattue devant elle dans le cadre de l’instance portée devant la cour d’appel
d’Aix-en-Provence, la juridiction administrative est compétente pour statuer sur l’appartenance du mur litigieux au domaine public du département, sans qu’il y ait lieu pour le Conseil d’Etat, en l’absence de titre privé de propriété dont l’examen soulèverait une difficulté sérieuse, de subordonner la reconnaissance de cette appartenance au jugement, par l’autorité judiciaire, de la question de la propriété de ce mur ;
Considérant, en deuxième lieu, qu’aucune disposition ni aucun principe n’impose que des conclusions tendant à ce que la juridiction administrative se prononce sur une question renvoyée par l’autorité judiciaire soient présentées par voie de requête distincte ; que, par conséquent, M. et Mme C pouvaient saisir le tribunal administratif de Nice de conclusions tendant à ce que la juridiction administrative se prononce sur la question préjudicielle renvoyée par la cour d’appel d’Aix-en-Provence, comme ils l’ont fait, par voie de mémoire présenté au cours d’une instance ouverte devant lui, avec laquelle ces conclusions présentaient un lien suffisant ; que la recevabilité de ces conclusions n’est pas pour autant subordonnée à celle des conclusions dont ils ont initialement saisi le tribunal administratif ;
Considérant, en troisième lieu, qu’il résulte de l’instruction, notamment de la comparaison des plans cadastraux successifs, depuis 1834, produits par M. et Mme C, que la parcelle AY 17 est issue de la division d’une parcelle plus vaste, entraînée par la construction du chemin de grande communication 18, devenu la route départementale 118 ; que le mur a été édifié en limite de ce terrain privé, affecté d’une forte pente, et de cette voie publique en conséquence du percement de la voie ; qu’il résulte également de l’instruction, notamment des constatations de l’expert désigné par le tribunal d’instance de Cagnes-sur-Mer et de l’expert désigné par le tribunal de grande instance de Grasse, ainsi que des déclarations des agents du département recueillies par eux au cours des opérations d’expertise, que le mur en litige est nécessaire à la sécurité de la circulation sur la voie départementale ; que celle-ci a d’ailleurs dû être interrompue pendant la période pendant laquelle l’état du mur représentait un danger ; qu’il résulte ainsi de l’instruction que, si le mur en litige a pour objet de maintenir les terres de la parcelle AY 17, il a également celui de retenir les chutes de matériaux provenant de cette propriété et d’en protéger les usagers de la voie départementale ; que ce mur doit, par suite, être regardé comme accessoire de la route départementale et, en l’absence de titre en attribuant la propriété au propriétaire de la parcelle AY 17 ou à un tiers, comme appartenant au domaine public du DEPARTEMENT DES ALPES-MARITIMES, alors même qu’il n’aurait pas été construit par ce dernier ;
Sur l’appel de M. et Mme C contre l’article 2 du jugement attaqué :
Considérant que la requête de M. et Mme C est dirigée contre l’article 2 du jugement attaqué en tant qu’il rejette leur demande tendant à l’annulation du titre exécutoire émis par la commune de Saint-Laurent-du-Var à l’encontre de Mme B ;
Considérant, d’une part, que selon l’article 1166 du code civil : les créanciers peuvent exercer tous les droits et actions de leur débiteur, à l’exception de ceux qui sont exclusivement attachés à la personne ; que si M. et Mme C entendent exercer sur ce fondement contre la commune de Saint-Laurent-du-Var l’action qui pouvait appartenir à Mme B, ils ne peuvent être regardés comme créanciers de celle-ci, à l’égard de laquelle ils n’invoquent devant la juridiction administrative, tout en la contestant devant l’autorité judiciaire, que leur qualité de débiteurs, laquelle ne saurait leur donner qualité pour exercer l’action oblique prévue par cet article ;
Considérant, d’autre part, qu’ils ne se prévalent d’aucun droit personnel que le titre exécutoire émis par la commune de Saint-Laurent-du-Var à l’encontre de Mme B affecterait directement ; que la circonstance que celle-ci leur aurait demandé le remboursement du montant mis à sa charge par ce titre de recettes est à cet égard sans incidence ; qu’ils n’ont donc pas qualité pour former eux-mêmes opposition à ce titre ;
Considérant que, dès lors, M. et Mme C ne sont pas fondés à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Nice a rejeté leurs conclusions tendant à l’annulation du titre exécutoire émis par la commune de Saint-Laurent-du-Var à l’encontre de Mme B ; que leur requête doit donc être rejetée, y compris leurs conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Considérant que les dispositions de cet article font également obstacle à ce que soit mise à la charge de M. et Mme C, qui ne sont pas, dans la présente instance, à l’égard du DEPARTEMENT DES ALPES-MARITIMES, la partie perdante, la somme que demande celui-ci au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : L’article 1er du jugement du tribunal administratif de Nice du 7 juillet 2009 est annulé.
Article 2 : Il est déclaré que le mur situé à Saint-Laurent-du-Var en limite de la route départementale et de l’ancienne propriété B fait partie du domaine public du DEPARTEMENT DES ALPES-MARITIMES.
Article 3 : La requête de M. et Mme C est rejetée.
Article 4 : Les conclusions présentées par le DEPARTEMENT DES ALPES-MARITIMES au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au DEPARTEMENT DES ALPES-MARITIMES, à Mme Emilienne D, épouse C, à M. Lucien C et à la commune de
Saint-Laurent-du-Var.
Copie en sera adressée à Mme Elisabeth F.