« LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le moyen unique, ci-après annexé :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Bordeaux, 12 mai 2016), qu’en 1998, la société X… a renouvelé un bail commercial consenti à la société Guy X… Service, devenue la société Grand Chantier des Prés salés, et portant sur divers locaux et terrains à usage de chantier naval ; que, l’Etat lui ayant fait connaître que les terrains, objets du bail commercial, étaient situés sur l’emprise du domaine public, celle-ci a cessé de régler les loyers ; que la société bailleresse contestant la domanialité publique de ces terrains, a assigné la société locataire en résiliation de bail et paiement de loyers ;
Attendu que la société X… fait grief à l’arrêt de prononcer la nullité du bail commercial ;
Mais attendu qu’ayant exactement retenu qu’un arrêt du 4 juillet 1978, opposant d’autres parties, n’avait pas, à l’égard de la société X…, l’autorité de chose jugée, et ayant relevé que d’autres juridictions judiciaires et administratives avaient considéré que les terrains litigieux appartenaient au domaine public maritime et que cette situation était connue de la société X… qui le rappelait dans le bail commercial, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérantes, en a exactement déduit que le bail commercial conclu sur des terrains relevant du domaine public était nul ;
Et attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur l’autre grief qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société X… aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société X… et la condamne à payer à la société Grand Chantier des Prés salés la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize septembre deux mille dix-huit.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Marc Lévis, avocat aux Conseils, pour la société X…
Il est fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué d’AVOIR prononcé la nullité du bail commercial du 8 janvier 1998 et, en conséquence, condamné la Sarl X… à restituer à la Sarl Grand Chantier des Prés Salés la somme de 107.104,78 €, avec intérêts au taux légal à compter du 28 janvier 2011 au titre des loyers versés, et débouté la Sarl X… de toutes ses demandes ;
AUX MOTIFS QUE le débat porte en premier lieu sur la propriété des biens objet du bail, à savoir les parcelles dites de […] situées à […] ; que le bailleur se prévaut des actes d’acquisition en date des 16 août 1960 et 6 et 20 octobre 1961, ainsi que de l’arrêt de cette cour en date du 4 juillet 1978, éléments qui ont été retenus par le premier juge ; que l’arrêt de 1978 est certes irrévocable mais il a été rendu dans une instance qui n’opposait pas les mêmes parties de sorte qu’on ne saurait lui attacher l’autorité de la chose déjà jugée ; qu’il apparaît que des décisions postérieures ont été rendues, d’où il résulte que les parcelles litigieuses dépendent en réalité du domaine public maritime, lequel est par nature inaliénable ; que dans son arrêt du 15 janvier 1996, la cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté la requête en annulation présentée par les consorts X… à l’encontre du jugement du tribunal administratif de cette même ville qui rejetait leur demande tendant à ce que soit constatée la non-appartenance des prés salés ouest au domaine public maritime et leur droit de propriété privé sur ces terrains ; qu’il résulte d’ailleurs des termes mêmes du bail de 1998 que le bailleur et le preneur, qui à cette date étaient deux sociétés liées à la même famille, n’ignoraient rien de cette question ; qu’il est en effet expressément rappelé au bail que « l’Etat Français a fait juger par les juridictions administratives que la propriété acquise par les consorts X… et la SA Moteurs X… aujourd’hui X… Sarl faisait partie du « domaine public maritime » et ce malgré l’arrêt du 4 juillet 1978 du juge civil » ; que le bailleur ne saurait soutenir à présent que la décision de la cour administrative d’appel ne portait pas à proprement parler sur la propriété des lieux loués puisque les énonciations du bail démontrent que les parties avaient parfaite consciente de la difficulté ; qu’en outre, la stratégie procédurale de la Sarl X… est empreinte de contradiction ; qu’en effet, elle a introduit devant le tribunal administratif de Bordeaux une instance tendant à sa voir indemniser de la dépossession de bâtiments industriels et commerciaux qu’elle a édifiés sur les prés salés ouest ; que sa requête a été rejetée par le tribunal administratif par jugement du 7 novembre 2013 ; que le bailleur fait certes valoir, sans en justifier, que cette décision n’est pas définitive ; qu’il n’en demeure pas moins que le bailleur ne peut devant les juridictions administratives invoquer la dépossession des bâtiments, admettant dans ce cadre que la propriété du sol relève bien du domaine public maritime et devant les juridictions civiles persister à soutenir qu’elle est bien propriétaire des parcelles ; que la Sarl X… considère ensuite que si le terrain relève du domaine public maritime, le bail porte lui sur des constructions qu’elle a fait édifier lesquelles lui appartiennent toujours tant que l’Etat ne l’a pas indemnisée ; que toutefois, cette argumentation est en elle-même contraire à la théorie de l’accession de l’article 552 du code civil ; que quant à l’affirmation selon laquelle la conséquence de la situation des terrains sur le domaine public maritime serait une soumission du contrat au droit administratif et non sa nullité, il ne saurait être envisagé par une juridiction civile que la Sarl X… , personne morale de droit privé, ait pu consentir un tel contrat ; qu’il apparaît donc que c’est à bon droit que la Sarl GCPS soulève la nullité du bail commercial ; qu’ainsi le bail a été consenti sur la chose d’autrui et chose dont le bailleur n’avait pas la possession paisible au regard du litige qui existait et qui était rappelé aux énonciations du bail ; que surtout, il s’agit d’un bail commercial portant sur le domaine public maritime lequel est par nature inaliénable et ne peut donner lieu à bail commercial ; qu’il s’en déduit que l’action introduite par la Sarl X… devant les juridictions de l’ordre judiciaire aux fins de paiement des loyers et résiliation du bail était nécessairement mal fondée ; qu’il n’existe d’ailleurs pas de fondement sur lequel la Sarl X… qui n’est pas propriétaire aurait pu poursuivre la résiliation du bail ; que si chacune des parties invoque la mauvaise foi de l’autre il apparaît en premier lieu que la cour n’est saisie d’aucune prétention indemnitaire par la Sarl X… ; qu’en outre, cette mauvaise foi apparaît comme également partagée ; qu’en effet, si la Sarl X… a multiplié les instances souvent contradictoires, il n’en demeure pas moins que le preneur ne pouvait, dès l’origine, ignorer la difficulté portant sur la propriété des lieux loués laquelle était rappelée au bail ; que par ailleurs M. A…, cessionnaire des parts sociales de la Sarl Guy X… Service avait accepté mandat de la part du bailleur de mettre tout en oeuvre en vue de tenter d’obtenir à terme, au profit de la Sarl X… , une valorisation de l’utilisation des parcelles de prés salés
et de désengager la Sarl X… du contentieux l’opposant à la puissance publique ; que le bail étant nul et non pas seulement résilié c’est à bon droit que la Sarl GCPS demande répétition des loyers par elle versés depuis décembre 2007, date correspondant au prononcé par la cour d’appel de Pau statuant sur renvoi de cassation de son arrêt d’où il résulte qu’à tout le moins depuis cette date la Sarl X… ne pouvait se prévaloir d’une possession paisible des lieux ; que le jugement sera en conséquence infirmé dans toutes ses dispositions ; que la Sarl X… sera déboutée de l’ensemble de ses demandes et condamnée à la répétition des loyers à hauteur de 107.104,78 €, avec intérêts au taux légal à compter du 28 janvier 2011, date de la demande en justice ;
1°/ ALORS QUE, le domaine public maritime est inaliénable, sous réserve des droits de propriété régulièrement accordés antérieurement à l’Edit de Moulins de février 1566 ; qu’en l’espèce, la Sarl X… faisait expressément valoir, dans ses conclusions d’appel, que le droit de propriété des consorts X… avait été reconnu par la cour d’appel de Bordeaux dans son arrêt irrévocable du 4 juillet 1978, lequel avait « dit que la société des moteurs X… et Messieurs Robert, Guy et Bernard X… (étaient)
propriétaires des parcelles acquises de la SA Immobilière des Prés Salés par actes authentiques des 16 août 1960 et des 6 et 20 octobre 1961 », dès lors que « la baillette du 23 mai 1550 (
) démontr(ait) l’étendue des droits dont disposait le captal de Buch, notamment de jouir et de disposer des terrains compris dans le captalat de Buch » (cf. arrêt de 1978, p.7) qu’ « au cours du 19e siècle, l’Etat a acquis des parcelles de terrains des Prés Salés soit par convention amiable, soit par expropriation ; qu’il est bien certain, l’expropriation n’étant pas possible sur les terrains du domaine public de l’Etat, que cette mesure s’appliquait bien à des terrains objets d’une appropriation privée et que l’ensemble de ces éléments conforte de manière évidente les indices qui établissent la propriété du captal de Buch antérieurement à l’Edit de Moulins » (cf. arrêt, p.8), et que « la régularité de la transmission des biens en cause aux divers ayants droit du captal de Buch et en dernier lieu aux consorts X… n'(était) pas contestée et qu’ainsi, ils en (étaient) légitimes propriétaires sous réserve des droits réels concédés au cours des siècles par leurs auteurs » (cf. arrêt de 1978, p.8) ; que pour écarter cet arrêt, la cour d’appel s’est bornée à retenir que « rendu dans une instance qui n’opposait pas les mêmes parties (
), on ne saurait lui attacher l’autorité de la chose jugée » et que « des décisions postérieures ont été rendues, d’où il résulte que les parcelles litigieuses dépendent en réalité du domaine public maritime, lequel est par nature inaliénable » (cf. arrêt p.4) ; qu’en se déterminant au vu de décisions postérieures à l’arrêt du 4 juillet 1978, qui, également rendues dans des instances n’opposant pas les mêmes parties, n’étaient pas plus revêtues de l’autorité de la chose jugée, sans rechercher si l’auteur des consorts X… et de la Sarl X… était propriétaire des terrains litigieux antérieurement à 1566, ce qui les excluait du domaine public maritime, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 5 et 6 de l’Edit de Moulins de février 1566, ensemble les articles L. 3111-2 du code général de la propriété des personnes publiques et 544 du code civil ;
2°/ ALORS QUE les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; qu’aux termes de l’acte de renouvellement de bail du 8 janvier 1998, il était expressément rappelé l’existence d’un litige sur la propriété des parcelles données à bail, « l’Etat Français a(yant) fait juger par les juridictions administratives que la propriété acquise par les consorts X… et la SA Moteurs X… aujourd’hui X… Sarl, faisait partie du « domaine public maritime » et ce, malgré l’arrêt du 4 juillet 1978 du juge civil » ; que les parties étaient en conséquence convenues que « dans le cas d’une expropriation qui pourrait être envisagée, prononcée et signifiée par l’Etat, la commune ou toute autre autorité, le locataire s’engage dès à présent à ne pas y faire obstacle, à n’exercer aucun recours et à ne solliciter aucune indemnité auprès du bailleur » ; qu’en condamnant la Sarl X… à la répétition des loyers versés par la société Grand Chantier des Prés Salés depuis décembre 2007, la cour d’appel a violé l’article 1134 du code civil. »
Cass. 3e civ., 13 sept. 2018, n° 16-19.187.