CAA de VERSAILLES
N° 16VE01455
Inédit au recueil Lebon
5ème chambre
Mme SIGNERIN-ICRE, président
M. Gildas CAMENEN, rapporteur
Mme MEGRET, rapporteur public
LE HEUZEY ; LE HEUZEY ; LE HEUZEY, avocat
lecture du jeudi 8 février 2018
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société anonyme Electricité réseau distribution France (ERDF) a demandé Tribunal administratif de Cergy-Pontoise d’enjoindre, sous astreinte, à M. et MmeE…, propriétaires de la parcelle située 15 rue du chemin vert à Suresnes, de cesser toute occupation privative du toit du poste de transformation d’énergie électrique installé sur cette parcelle en vertu d’un contrat conclu le 18 juillet 1955 entre EDF et MmeD…, ancienne propriétaire du terrain, de remettre les lieux en l’état initial et de condamner M. et Mme E…à lui verser la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts.
Par un jugement n° 1103221 du 18 mars 2014, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a prononcé la résiliation du contrat du 18 juillet 1955 à l’expiration d’un délai de six mois à compter de la lecture de ce jugement, ou, si la société ERDF engageait dans ce délai une procédure d’expropriation, à l’issue de cette procédure, a enjoint à M. et Mme E…de cesser toute occupation privative du toit du poste de transformation d’énergie électrique jusqu’à la résiliation du contrat et a rejeté le surplus des conclusions des parties.
M. et Mme F…A…, nouveaux propriétaires de la parcelle, ont demandé au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise d’enjoindre à la société Electricité Réseau Distribution France (ERDF), devenue société ENEDIS, de retirer le poste de transformation électrique situé sur la parcelle leur appartenant, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de la notification du jugement.
Par un jugement n° 1503719 du 15 mars 2016, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a enjoint à la société ERDF de procéder au retrait de ce poste de transformation électrique dans un délai de six mois à compter de la notification du jugement sous astreinte de 500 euros par jour de retard.
Procédure devant la Cour :
I. Par une requête et deux mémoires enregistrés respectivement les 12 mai 2016, 31 octobre 2016 et 14 décembre 2016 sous le n° 16VE01455, la société ENEDIS, représentée par Me Le Heuzey, avocat, demande à la Cour :
1° d’annuler ce jugement ;
2° de rejeter la demande présentée par M. et Mme A…devant le tribunal administratif ;
3° de mettre à la charge de M. et Mme A…versement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– le jugement est intervenu irrégulièrement, l’avocat des époux A…ne lui ayant pas communiqué la demande déposée devant le tribunal en violation de l’article 5 du règlement intérieur national régissant la profession d’avocat résultant du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 ;
– les époux A…ne pouvaient agir sur le fondement de l’article L. 911-4 du code de justice administrative, le jugement du 18 mars 2014 n’impliquant pas la mesure d’exécution demandée par eux ;
– le poste de transformation électrique a été implanté régulièrement en vertu d’un bail signé en 1955 ;
– les précédents propriétaires et les propriétaires actuels ont volontairement rendu impossible tout rapprochement avec la société ENEDIS ;
– eu égard aux intérêts publics et privés en cause, le déplacement du poste de transformation entraînerait une atteinte excessive à l’intérêt général.
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II. Par une requête et un mémoire enregistrés respectivement les 31 octobre 2016 et 13 décembre 2016 sous le n° 16VE03204, la société ENEDIS, représentée par Me Le Heuzey, avocat, demande à la Cour d’ordonner le sursis à exécution de ce jugement.
Elle soutient que :
– l’exécution du jugement entraînerait des conséquences difficilement réparables en l’absence de solution de remplacement immédiate ;
– les moyens d’appel sont sérieux.
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Vu les autres pièces des dossiers.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. Camenen,
– les observations de MeC…, substituant Me Leheuzey, pour la société ENEDIS et celles de MeB…, pour M. et MmeA….
1. Considérant que, par les requêtes susvisées, enregistrées sous les n° 16VE01455 et 16VE03204, la société ENEDIS demande l’annulation et le sursis à exécution du même jugement ; qu’il y a lieu de les joindre pour qu’elles fassent l’objet d’un seul arrêt ;
2. Considérant qu’en vertu d’une convention conclue le 18 juillet 1955 avec MmeD…, propriétaire des lieux, l’établissement public Electricité de France (EDF) a édifié un poste de transformation d’énergie électrique sur la parcelle située 15 rue du Chemin Vert à Suresnes (Hauts-de-Seine) ; que, le 20 avril 2011, la société ERDF, venue aux droit d’EDF, a demandé au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise d’enjoindre à M. et MmeE…, nouveaux propriétaires de la parcelle, de cesser toute occupation privative du toit du poste de transformation d’énergie électrique et de remettre les lieux en l’état initial ; que, par un jugement du 18 mars 2014, devenu définitif, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a prononcé la résiliation de la convention du 18 juillet 1955 à l’expiration d’un délai de six mois à compter de la lecture de ce jugement ou à l’issue de la procédure d’expropriation, si ERDF l’engageait dans ce délai, et a enjoint aux propriétaires de cesser toute occupation privative du toit du poste de transformation d’énergie électrique jusqu’à l’intervention de cette résiliation ; que, le 4 juillet 2014, la propriété de cette parcelle, sur laquelle avait été édifiée une maison d’habitation, a été cédée à M. et MmeA… ; que ces derniers ont saisi le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise le 27 avril 2015 à fin d’enjoindre à la société ERDF de retirer le poste de transformation électrique de leur parcelle ; que, par le jugement attaqué du 15 mars 2016, dont la société ERDF devenue ENEDIS relève appel, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a enjoint à cette dernière de procéder au retrait de ce poste de transformation électrique dans un délai de six mois à compter de la notification de ce jugement, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
3. Considérant qu’aux termes de l’article R. 611-1 du code de justice administrative : » La requête et les mémoires, ainsi que les pièces produites par les parties, sont déposés ou adressés au greffe. / La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-3, R. 611-5 et R. 611-6 » ;
4. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier de première instance que si la demande de M. et Mme A…a été communiquée par le greffe du tribunal à l’ancienne adresse, mentionnée sur cette demande, de la société ERDF, celle-ci a cependant accusé réception de cet envoi le 15 mai 2015 ; qu’elle a également accusé réception de la mise en demeure de produire ses observations et du jugement lui-même qui lui ont été notifiés par le tribunal à cette même adresse les 13 novembre 2015 et 18 mars 2016 ; qu’ainsi, l’instruction a été régulière alors même que l’avocat de M. et Mme A…n’aurait pas communiqué au conseil de la société ERDF, conformément aux règles déontologiques de la profession d’avocat, une copie de la demande de ses clients devant cette juridiction ;
Au fond :
5. Considérant qu’aux termes de l’article L. 911-4 du code de justice administrative : » En cas d’inexécution d’un jugement ou d’un arrêt, la partie intéressée peut demander au tribunal administratif ou à la cour administrative d’appel qui a rendu la décision d’en assurer l’exécution. Toutefois, en cas d’inexécution d’un jugement frappé d’appel, la demande d’exécution est adressée à la juridiction d’appel. Si le jugement ou l’arrêt dont l’exécution est demandée n’a pas défini les mesures d’exécution, la juridiction saisie procède à cette définition. Elle peut fixer un délai d’exécution et prononcer une astreinte » ; que lorsque le juge administratif est saisi d’une demande d’exécution d’une décision juridictionnelle dont il résulte qu’un ouvrage public a été implanté de façon irrégulière, il lui appartient, pour déterminer, en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue, si l’exécution de cette décision implique qu’il ordonne la démolition de cet ouvrage, de rechercher, d’abord, si, eu égard notamment aux motifs de la décision, une régularisation appropriée est possible ; que, dans la négative, il lui revient ensuite de prendre en considération, d’une part, les inconvénients que la présence de l’ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence et notamment, le cas échéant, pour le propriétaire du terrain d’assiette de l’ouvrage, d’autre part, les conséquences de la démolition pour l’intérêt général, et d’apprécier, en rapprochant ces éléments, si la démolition n’entraîne pas une atteinte excessive à l’intérêt général ;
6. Considérant, en premier lieu, qu’alors même qu’ils n’étaient pas parties à l’instance ayant donné lieu au jugement du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 18 mars 2014, qui a prononcé la résiliation du contrat conclu le 18 juillet 1955 entre EDF et MmeD…, M. et Mme A…sont néanmoins directement concernés par cette résiliation en leur qualité de nouveaux propriétaires de la parcelle situé 15 rue du Chemin Vert à Suresnes ; que, par suite, ils avaient qualité pour demander au juge administratif d’enjoindre à la société ERDF de retirer le poste de transformation électrique situé sur leur propriété sur le fondement des dispositions précitées de l’article L. 911-4 du code de justice administrative ; qu’est sans incidence à cet égard les circonstances, à les supposer même établies, que la société ERDF n’ait pas été informée de la cession de cette parcelle et que les propriétaires successifs aient rendu volontairement impossible un rapprochement en vue d’un accord amiable ;
7. Considérant, en deuxième lieu, que si, par le jugement précité du 18 mars 2014, le tribunal administratif a rejeté les conclusions tendant au retrait du transformateur électrique au motif que l’ouvrage public en cause devait être regardé comme implanté régulièrement en vertu du contrat du 18 juillet 1955 jusqu’à la résiliation de celui-ci, il a toutefois prononcé cette résiliation et décidé qu’elle prendrait effet à l’expiration d’un délai de six mois à compter de la lecture de sa décision sous réserve que la société ERDF n’ait pas engagé dans ce délai une procédure d’expropriation ; qu’ainsi, en l’absence d’expropriation, cette résiliation est intervenue le 18 septembre 2014 ; que l’implantation de l’ouvrage étant devenue irrégulière à compter de la résiliation du contrat du 18 juillet 1955, la société ENEDIS n’est pas fondée à soutenir que l’injonction de démolition sollicitée par M. et Mme A…ne constitue pas une mesure d’exécution de ce jugement ;
8. Considérant, en troisième lieu, qu’il n’est pas contesté que le terrain d’assiette du transformateur en litige n’a fait l’objet d’aucune procédure d’expropriation et que les perspectives d’accord amiable entre la société ENEDIS et M. et Mme A…sont actuellement inexistantes, la société ENEDIS ne faisant état d’aucune démarche qu’elle aurait entreprise depuis le 18 mars 2014, soit depuis près de quatre ans, aux fins de régulariser l’implantation de son ouvrage ; qu’ainsi, eu égard aux motifs du jugement précité du 18 mars 2014, une régularisation appropriée de l’implantation du transformateur électrique n’apparaît pas envisageable à la date du présent arrêt ;
9. Considérant, enfin, que la société ENEDIS fait valoir que le transformateur en litige a été implanté régulièrement sur la parcelle actuellement détenue par M. et Mme A…pendant 60 ans environ, qu’il alimente en électricité 146 foyers et qu’aucune implantation à proximité sur le domaine public communal n’est envisageable dans l’immédiat, ainsi que le confirmerait une lettre du maire de Suresnes du 2 décembre 2016 ; que toutefois, ce courrier ne peut être regardé comme excluant toute perspective d’accord avec la commune de Suresnes ; que le coût de déplacement de l’ouvrage, évalué à 77 500 euros par la société requérante n’est pas tel qu’il ferait obstacle à la démolition du transformateur existant ; qu’en outre, il n’est pas établi qu’un déplacement du transformateur sur une autre propriété n’est pas envisageable et qu’aucune solution technique ne permettrait d’alimenter en électricité les 146 foyers concernés en cas de démolition de cet ouvrage ; que, si la société ENEDIS fait valoir qu’elle n’a pas été informée de la mutation foncière intervenue le 4 juillet 2014 et de la procédure engagée devant le tribunal administratif par M. et MmeA…, elle ne justifie cependant d’aucune diligence, à la suite du jugement du 18 mars 2014, pour parvenir à un accord avec les propriétaires ou déplacer l’ouvrage, avant le chiffrage des travaux de déplacement le 8 avril 2016 et le courriel adressé à la commune de Suresnes le 1er septembre 2016 ; que, dans ces conditions, compte tenu de l’inconvénient que constitue la présence de l’ouvrage pour M. et Mme A…et de l’atteinte ainsi portée au droit de propriété, l’intérêt général n’est pas tel qu’il justifierait de ne pas enjoindre à la société ENEDIS de procéder au retrait de ce poste de transformation électrique ;
10. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la société ENEDIS n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise lui a enjoint de procéder au retrait du poste de transformation électrique implanté sur la propriété de M. et Mme A…;
Sur la demande de sursis à exécution :
11. Considérant que le présent arrêt statuant au fond, il n’y a plus lieu de se prononcer sur les conclusions tendant au sursis à exécution du jugement attaqué présentées dans la requête n° 16VE03204 ;
Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que M. et MmeA…, qui ne sont pas la partie perdante, versent à la société ENEDIS la somme qu’elle réclame au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu’en revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la société ENEDIS le versement à M. et Mme A…la somme de 1 500 euros de ce chef ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société ENEDIS est rejetée.
Article 2 : Il n’y a pas lieu de statuer sur la requête n° 16VE03204 de la société ENEDIS.
Article 3 : La société ENEDIS versera la somme de 1 500 euros à M. et Mme A…au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par M. et Mme A…au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative est rejeté.
Nos 16VE01455… 2