Le Conseil d’Etat précise les modalités du recours à l’exception d’illégalité dans le contentieux des décisions d’opposition à travaux.
Conseil d’État
N° 324967
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
9ème et 10ème sous-sections réunies
M. Matthieu Schlesinger, rapporteur
Mme Claire Legras, rapporteur public
SCP NICOLAY, DE LANOUVELLE, HANNOTIN ; BALAT, avocats
lecture du lundi 16 mai 2011
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 10 février et 11 mai 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la SOCIETE LGD DEVELOPPEMENT, dont le siège est 20 rue Albert Garry à Limeil-Brévannes (94450) ; la SOCIETE LGD DEVELOPPEMENT demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler le jugement n° 0602033/4 du 13 novembre 2008 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision du maire de la commune de Limeil-Brévannes du 20 janvier 2006 s’opposant à sa déclaration de travaux ;
2°) réglant l’affaire au fond, d’annuler la décision du maire de la commune de Limeil-Brévannes en date du 20 janvier 2006 ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Limeil-Brévannes le versement de la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de l’urbanisme ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Matthieu Schlesinger, Auditeur,
– les observations de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la SOCIETE L.G.D. DEVELOPPEMENT et de Me Balat, avocat de la commune de Limeil-Brévannes,
– les conclusions de Mme Claire Legras, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la SOCIETE L.G.D. DEVELOPPEMENT et à Me Balat, avocat de la commune de Limeil-Brévannes ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 20 janvier 2006, le maire de Limeil-Brévannes s’est opposé aux travaux déclarés par la SOCIETE LGD DEVELOPPEMENT consistant dans la réalisation d’une dalle en béton armé d’une surface de 525 mètres carrés pour le stockage temporaire de matériaux sur une parcelle où elle exploite une activité de tri et de transit de matériaux de chantier, au motif que la construction projetée serait implantée sur un emplacement réservé inscrit au plan d’occupation des sols pour permettre la déviation de la route nationale n° 6 ; que la société se pourvoit en cassation contre le jugement du 13 novembre 2008 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision d’opposition à travaux ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 422-2 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction applicable à la date de la décision attaquée : Les constructions ou travaux exemptés du permis de construire, à l’exception de ceux couverts par le secret de la défense nationale, et de ceux, visés au premier alinéa de l’article L. 422-1, répondant aux besoins des services du ministère de l’intérieur ou des établissements pénitentiaires, font l’objet d’une déclaration auprès du maire de la commune avant le commencement des travaux. / Sauf opposition dûment motivée, notifiée par l’autorité compétente en matière de permis de construire dans le délai d’un mois à compter de la réception de la déclaration, les travaux peuvent être exécutés sous réserve, le cas échéant, du respect des prescriptions notifiées dans les mêmes conditions (…) ;
Considérant que si une décision d’opposition à travaux ne constitue pas un acte d’application des documents d’urbanisme en vigueur, l’annulation ou l’illégalité du document d’urbanisme dans lequel elle trouve son fondement entraîne toutefois l’annulation de cette décision, sauf au juge à procéder, le cas échéant, à une substitution de base légale ou de motifs dans les conditions de droit commun ; qu’il en est ainsi, que le document d’urbanisme ait été illégal dès son adoption ou que son illégalité résulte d’un changement dans les circonstances de droit ou de fait postérieures à cette adoption ;
Considérant qu’en estimant sans incidence sur la légalité de la délibération du 29 juin 2001 révisant le plan d’occupation des sols de la commune de Limeil-Brévannes, qui avait classé le terrain d’assiette de la construction litigieuse en emplacement réservé, la circonstance que le conseil général ait eu un nouveau projet, dès lors qu’elle était postérieure à la délibération dont il était excipé de l’illégalité, et celle que la commune ait renoncé à son projet postérieurement à cette délibération, dès lors que la société requérante n’avait pas demandé à la commune de modifier le classement du plan d’occupation des sols, le tribunal a commis une erreur de droit ;
Considérant que si la commune de Limeil-Brévannes soutient que la délibération du 29 juin 2001 n’était pas devenue illégale par suite d’un changement dans les circonstances de fait et demande que ce motif soit substitué au motif juridiquement erroné retenu par le jugement attaqué, une telle substitution supposerait une appréciation de circonstances de fait à laquelle le Conseil d’Etat, juge de cassation, ne peut se livrer ; qu’ainsi la demande de substitution de motifs ne saurait être accueillie ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la SOCIETE LGD DEVELOPPEMENT est fondée à demander l’annulation du jugement attaqué ;
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative ;
En ce qui concerne la légalité externe de la décision attaquée :
Considérant que si la SOCIETE LGD DEVELOPPEMENT soutient que la décision du 20 janvier 2006 est insuffisamment motivée, ce moyen, qui n’est pas d’ordre public, a été soulevé plus de deux mois après la date de saisine du tribunal et ressortit d’une cause juridique différente de celle dont relèvent les moyens invoqués dans ce délai ; qu’il a ainsi le caractère d’une prétention nouvelle tardivement présentée et est, par suite, irrecevable ;
En ce qui concerne la légalité interne de la décision attaquée :
Sur l’exception d’illégalité du plan d’occupation des sols de la commune de Limeil-Brévannes :
Considérant qu’aux termes de l’article L. 123-1 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision attaquée : Les plans locaux d’urbanisme (…) peuvent (…) / 8° Fixer les emplacements réservés aux voies et ouvrages publics, aux installations d’intérêt général ainsi qu’aux espaces verts (…) ; qu’il appartient aux auteurs d’un plan d’occupation des sols ou d’un plan local d’urbanisme de déterminer le parti d’aménagement à retenir sur le territoire concerné par le plan, en tenant compte de la situation existante et des perspectives d’avenir, et de fixer, notamment, la liste des emplacements réservés pour la création ou l’aménagement des voies et ouvrages publics nécessaires ;
Considérant que ne suffisait pas à regarder comme devenu sans objet le classement des parcelles en emplacements réservés la circonstance qu’à la date de la décision attaquée le département du Val-de-Marne avait sollicité l’ouverture des enquêtes préalables à la déclaration d’utilité publique et parcellaire pour la réalisation d’un autre projet d’aménagement routier destiné à remédier aux mêmes difficultés de circulation que le projet de déviation de la route nationale n° 6 ; que, par suite, le maintien de ce classement à la date de la décision attaquée, alors même que plusieurs années s’étaient écoulées depuis la délibération du 29 juin 2011, n’était pas entaché d’erreur manifeste d’appréciation ; que le moyen tiré de l’exception d’illégalité du plan d’occupation des sols doit ainsi être écarté ;
Sur les autres moyens :
Considérant qu’aux termes de l’article L. 423-1 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision attaquée : Lorsqu’un emplacement est réservé par un plan d’occupation des sols rendu public ou un plan local d’urbanisme approuvé, ou un document d’urbanisme en tenant lieu, pour un ouvrage public, une voie publique, une installation d’intérêt général ou un espace vert et que la construction à édifier a un caractère précaire, le permis de construire peut exceptionnellement être accordé, sur avis favorable de la collectivité intéressée à l’opération ; qu’il résulte de ces dispositions que, hors le cas des constructions conformes à la destination de l’emplacement réservé, seules les constructions présentant un caractère précaire peuvent être légalement autorisées sur un tel emplacement par un permis de construire ou, en vertu des dispositions combinées du dernier alinéa de l’article L. 422-1 et du premier alinéa de l’article L. 421-3 du même code dans leur rédaction alors en vigueur, par une autorisation de travaux, avec l’accord de la collectivité intéressée à l’opération ;
Considérant qu’il est constant que le terrain d’assiette des travaux déclarés par la SOCIETE LGD DEVELOPPEMENT est situé dans un emplacement réservé ; que la société requérante n’a pas précisé dans sa déclaration de travaux qu’elle entendait y édifier une construction ayant un caractère précaire ; que, dès lors, le maire de la commune de Limeil-Brévannes n’avait pas à examiner les droits que la SOCIETE LGD DEVELOPPEMENT aurait pu avoir à l’application des dispositions de l’article L. 423-1 du code de l’urbanisme et n’a donc pas méconnu ces dispositions en s’opposant aux travaux déclarés ;
Considérant que si la SOCIETE LGD DEVELOPPEMENT fait également valoir que les travaux qu’elle souhaite réaliser ne présenteront aucun risque pour la santé, la salubrité et la sécurité publique, que son activité de tri et de transit de matériaux de chantier a été autorisée par le préfet et que la construction et l’exploitation du centre de tri est utile à l’activité économique du secteur, ces circonstances sont sans incidence sur la légalité de la décision attaquée ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la SOCIETE LGD DEVELOPPEMENT n’est pas fondée à demander l’annulation de la décision du maire de Limeil-Brévannes du 20 janvier 2006 ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce qu’il soit mis à la charge de la commune de Limeil-Brévannes, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement d’une somme au titre des frais exposés par la SOCIETE LGD DEVELOPPEMENT et non compris dans les dépens ; qu’en revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la SOCIETE LGD DEVELOPPEMENT le versement à la commune de Limeil-Brévannes d’une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par celle-ci tant devant le Conseil d’Etat que devant le tribunal administratif de Melun ;
D E C I D E :
————–
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Melun du 13 novembre 2008 est annulé.
Article 2 : La demande de la SOCIETE LGD DEVELOPPEMENT présentée devant le tribunal administratif de Melun et ses conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La SOCIETE LGD DEVELOPPEMENT versera à la commune de Limeil-Brévannes une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE LGD DEVELOPPEMENT et à la commune de Limeil-Brévannes.