Conseil d’État
N° 419921
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
1ère et 4ème chambres réunies
M. Thibaut Félix, rapporteur
M. Charles Touboul, rapporteur public
lecture du mercredi 29 mai 2019
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
M. B…D…et Mme A…C…ont demandé au tribunal administratif de Caen d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du 24 juillet 2015 par lequel le préfet de l’Orne a refusé de leur délivrer un permis de construire pour la restauration et l’extension d’une habitation située au lieu-dit Arpentigny, sur deux parcelles cadastrées section A n° 119 et 386, sur le territoire de la commune de Craménil. Par un jugement n° 1501951 du 18 mai 2016, le tribunal a annulé cet arrêté.
Par un arrêt n° 16NT02317 du 16 février 2018, la cour administrative d’appel de Nantes a rejeté l’appel formé contre ce jugement par le ministre du logement et de l’habitat durable.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 17 avril et 16 juillet 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le ministre de la cohésion des territoires demande au Conseil d’Etat d’annuler cet arrêt.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code de l’urbanisme ;
– la loi n° 2009-323 du 25 mars 2009 ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Thibaut Félix, auditeur,
– les conclusions de M. Charles Touboul, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 24 juillet 2015, le préfet de l’Orne a refusé de délivrer à M. D…et Mme C…un permis de construire pour la restauration et l’extension d’une habitation située au lieu-dit Arpentigny, sur le territoire de la commune de Craménil, commune dépourvue de plan local d’urbanisme ou de carte communale opposable aux tiers ou de tout document d’urbanisme en tenant lieu, au motif que le terrain était situé en dehors des parties actuellement urbanisées de la commune et qu’en raison de l’accroissement de la surface d’origine, le projet ne pouvait être regardé comme une extension mesurée d’une construction existante. Saisi par M. D…et MmeC…, le tribunal administratif de Caen a annulé pour excès de pouvoir cet arrêté par un jugement du 18 mai 2016. Par un arrêt du 16 février 2018 contre lequel le ministre chargé de l’urbanisme se pourvoit en cassation, la cour administrative d’appel de Nantes a rejeté l’appel que le ministre avait formé contre ce jugement.
2. Aux termes de l’article L. 111-1-2 du code de l’urbanisme alors en vigueur, désormais repris aux articles L. 111-3 et L. 111-4 du même code : » I.- En l’absence de plan local d’urbanisme ou de carte communale opposable aux tiers, ou de tout document d’urbanisme en tenant lieu, seuls sont autorisés, en dehors des parties actuellement urbanisées de la commune : / 1° L’adaptation, le changement de destination, la réfection, l’extension des constructions existantes ou la construction de bâtiments nouveaux à usage d’habitation à l’intérieur du périmètre regroupant les bâtiments d’une ancienne exploitation agricole, dans le respect des traditions architecturales locales ; (…) « .
3. Ces dispositions interdisent en principe, en l’absence de plan local d’urbanisme ou de carte communale opposable aux tiers ou de tout document d’urbanisme en tenant lieu, les constructions implantées » en dehors des parties actuellement urbanisées de la commune « , c’est-à-dire des parties du territoire communal qui comportent déjà un nombre et une densité significatifs de constructions. Il s’ensuit que les constructions ne peuvent être autorisées en dehors de ces parties, sauf dans le cas où elles relèvent des exceptions expressément et limitativement prévues par l’article L. 111-1-2.
4. A cet égard, le 1° du I de l’article L. 111-1-2 prévoit deux exceptions que sont, d’une part, l’adaptation, le changement de destination, la réfection et l’extension des constructions existantes et, d’autre part, depuis la modification apportée par la loi du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion, la construction de bâtiments nouveaux à usage d’habitation à l’intérieur du périmètre regroupant les bâtiments d’une ancienne exploitation agricole et dans le respect des traditions architecturales locales.
5. Au titre de la première de ces deux exceptions, peuvent être autorisés des projets qui, eu égard à leur implantation par rapport aux constructions existantes et à leur ampleur limitée en proportion de ces constructions, peuvent être regardés comme ne procédant qu’à l’extension de ces constructions. Aucune disposition n’impose toutefois qu’une extension satisfaisant à ces critères doive en outre, pour pouvoir être autorisée au titre du 1° du I de l’article L. 111-1-2, présenter un caractère » mesuré « . Il résulte, enfin, de cet article, éclairé par les travaux parlementaires ayant conduit à l’adoption de la loi du 25 mars 2009, que la condition tendant au respect des traditions architecturales locales, résultant de cette loi, ne s’applique pas à l’extension des constructions existantes, mais seulement à la construction de bâtiments nouveaux.
6. Au titre de la seconde exception, peut être autorisée la construction de bâtiments nouveaux à usage d’habitation, à la double condition qu’ils soient implantés à l’intérieur d’un périmètre regroupant les bâtiments d’une ancienne exploitation agricole et qu’ils respectent les traditions architecturales locales. Le bénéfice de cette exception n’est pas réservé aux cas dans lesquels le périmètre constitué par les bâtiments d’une ancienne exploitation agricole est clos, mais peut aussi valoir pour les cas où les bâtiments nouveaux sont implantés dans un espace entouré de bâtiments agricoles suffisamment rapprochés pour pouvoir être regardés comme délimitant, même sans clôture ou fermeture, un périmètre regroupant les bâtiments d’une ancienne exploitation agricole.
7. En l’espèce, pour confirmer l’annulation pour excès de pouvoir de l’arrêté par lequel le préfet de l’Orne avait refusé de délivrer un permis de construire à M. D…et MmeC…, la cour administrative d’appel de Nantes a, d’une part, jugé que le préfet, en imposant que l’extension d’une construction existante, pour pouvoir être autorisée sur le fondement des dispositions précitées du 1° du I de l’article L. 111-1-2 du code de l’urbanisme, devait présenter un caractère mesuré, avait opposé une condition non prévue par la loi. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que la cour, en statuant ainsi, n’a pas commis d’erreur de droit.
8. La cour administrative d’appel a, d’autre part, jugé que le projet de construction, s’il devait être regardé comme une construction nouvelle, était situé à l’intérieur du périmètre regroupant les bâtiments d’une ancienne exploitation agricole. En statuant ainsi, alors même que l’espace délimité par les constructions agricoles rapprochées qu’elle a prises en compte n’était pas clos, la cour s’est livrée, sans erreur de droit et en motivant suffisamment son arrêt sur ce point, à une appréciation souveraine des faits de l’espèce qui est exempte de dénaturation. La cour s’étant bornée à relever que le projet se situait au sein d’un tel périmètre pour juger que le préfet n’aurait pu légalement le refuser au motif qu’il constituerait une construction nouvelle et non une extension d’une construction existante, le ministre ne peut utilement soutenir qu’elle aurait commis une erreur de droit en ne recherchant pas si le projet satisfaisait, en outre, à l’ensemble des conditions auxquelles sont subordonnées les constructions de bâtiments nouveaux à usage d’habitation sur le fondement de l’article L. 111-1-2 du code de l’urbanisme.
9. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de la cohésion des territoires n’est pas fondé à demander l’annulation de l’arrêt qu’il attaque.
D E C I D E :
————–
Article 1er : Le pourvoi du ministre de la cohésion des territoires est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales à M. B… D…et à Mme A…C….
Copie en sera adressée à la commune de Craménil.