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Chemin rural : quel délais de recours contre une décision d’aliénation de parcelles supportant un chemin rural après sa désaffectation ?

Arrêt rendu par Conseil d’Etat

05-07-2022
n° 459683

Texte intégral :
Vu la procédure suivante :

Mme B. D. a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d’annuler pour excès de pouvoir la délibération du 2 mai 2015 par laquelle le conseil municipal de la commune de Luttange (Moselle) a approuvé, au profit de M. A. C., l’échange de la parcelle section 34 n° 78 contre les parcelles section 42 n° 45/23 et section 37 n° 23, et de constater l’inexistence de cette délibération.

Par un jugement n° 1803479 du 27 septembre 2019, ce tribunal a déclaré la délibération du 2 mai 2015 nulle et de nul effet.

Par un arrêt n° 19NC03523 du 21 octobre 2021, la cour administrative d’appel de Nancy, sur appel de M. C., a, après avoir annulé ce jugement, annulé la délibération du conseil municipal de Luttange du 2 mai 2015.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés le 21 décembre 2021 et les 21 mars et 13 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. C. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter la demande présentée par Mme D. ;

3°) de mettre à la charge de Mme D. la somme de 5 000 € au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

– le code général des collectivités territoriales ;

– le code général de la propriété des personnes publiques ;

– le code rural et de la pêche maritime ;

– le code de la voirie routière ;

– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Sébastien Ferrari, maître des requêtes en service extraordinaire,

– les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de M. C., à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la commune de Luttange et à la SCP Delamarre, Jéhannin, avocat de Mme D. ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une délibération du 2 mai 2015, le conseil municipal de la commune de Luttange (Moselle) a approuvé l’échange de la parcelle n° 78 section 34, appartenant à M. C., avec les parcelles n° 23 section 37 et n° 45 section 42, correspondant, respectivement, à un chemin rural et à une voie communale et a autorisé le maire à signer l’acte d’échange. Mme D., qui est propriétaire d’un bois desservi par ce chemin rural et cette voie communale, a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d’annuler cette délibération et d’en constater l’inexistence. Par un jugement du 27 septembre 2019, ce tribunal a déclaré la délibération nulle et sans effet. Par un arrêt du 21 octobre 2021, la cour administrative d’appel de Nancy, sur appel de M. C., a annulé ce jugement en tant qu’il déclarait nulle et de nul effet cette délibération mais a annulé la délibération litigieuse. M. C. se pourvoit en cassation contre cet arrêt.

Sur le bien-fondé de l’arrêt en ce qui concerne la recevabilité de la requête de Mme D. :

2. Aux termes de l’article R. 421-1 du code de justice administrative : « La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. » L’article R. 421-5 du même code dispose que : « Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu’à la condition d’avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision. » Il résulte de ces dispositions que lorsque la notification ne comporte pas les mentions requises, ce délai n’est pas opposable.

3. Aux termes de l’article L. 161-10 du code rural et de la pêche maritime : « Lorsqu’un chemin rural cesse d’être affecté à l’usage du public, la vente peut être décidée après enquête par le conseil municipal, à moins que les intéressés groupés en association syndicale conformément à l’article L. 161-11 n’aient demandé à se charger de l’entretien dans les deux mois qui suivent l’ouverture de l’enquête. / Lorsque l’aliénation est ordonnée, les propriétaires riverains sont mis en demeure d’acquérir les terrains attenant à leurs propriétés. / Si, dans le délai d’un mois à dater de l’avertissement, les propriétaires riverains n’ont pas déposé leur soumission ou si leurs offres sont insuffisantes, il est procédé à l’aliénation des terrains selon les règles suivies pour la vente des propriétés communales. » Aux termes de l’article L. 112-8 du code de la voirie routière : « Les propriétaires riverains des voies du domaine public routier ont une priorité pour l’acquisition des parcelles situées au droit de leur propriété et déclassées par suite d’un changement de tracé de ces voies ou de l’ouverture d’une voie nouvelle. Le prix de cession est estimé, à défaut d’accord amiable, comme en matière d’expropriation. / Si, mis en demeure d’acquérir ces parcelles, ils ne se portent pas acquéreurs dans un délai d’un mois, il est procédé à l’aliénation de ces parcelles suivant les règles applicables au domaine concerné. / Lorsque les parcelles déclassées sont acquises par les propriétaires des terrains d’emprise de la voie nouvelle, elles peuvent être cédées par voie d’échange ou de compensation de prix. »

4. En premier lieu, le délai de recours contentieux contre une décision d’aliénation de parcelles supportant un chemin rural après sa désaffectation ou de parcelles supportant des voies du domaine public routier après leur déclassement ne peut courir, pour les propriétaires riverains qui doivent être mis en demeure d’acquérir ces parcelles en application des dispositions citées au point 3, qu’à compter de la date à laquelle la décision d’aliénation leur a été notifiée, peu important que cette décision ait été par ailleurs publiée ou affichée.

5. Il résulte ce qui a été dit au point précédent que la cour administrative d’appel a pu, sans erreur de droit, juger que le délai de recours contentieux à l’encontre de la délibération litigieuse, qui procédait à l’aliénation, par le biais d’un échange, d’une parcelle supportant un chemin rural, ne pouvait courir à l’égard de Mme D., propriétaire riveraine de cette parcelle, qu’à compter de la date à laquelle cette délibération lui avait été notifiée.

6. En deuxième lieu, le moyen tiré de ce que la cour aurait commis une erreur de droit en jugeant que la délibération litigieuse, qui procédait par une opération unique à l’aliénation des deux parcelles en cause, devait être notifiée à Mme D. eu égard à sa qualité d’usagère de la voie communale est dirigé, compte tenu de ce qui a été dit au point 5, contre un motif surabondant de l’arrêt.

7. En troisième lieu, le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l’effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d’une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l’obligation d’informer l’intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l’absence de preuve qu’une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable. En règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l’exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu’il en a eu connaissance. Ces règles sont également applicables à la contestation des décisions non réglementaires qui ne présentent pas le caractère de décisions individuelles, lorsque la contestation émane des destinataires de ces décisions à l’égard desquels une notification est requise pour déclencher le délai de recours.

8. Pour juger que la saisine, le 4 juin 2018, du tribunal administratif de Strasbourg ne pouvait être regardée comme tardive faute pour le délai de recours contentieux contre la délibération en cause d’avoir commencé à courir, la cour administrative d’appel de Nancy a relevé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que Mme D. n’avait pas reçu notification de ladite délibération et que ni la commune de Luttange, ni M. C. n’apportaient d’élément de nature à établir la date à laquelle elle en aurait eu connaissance. En statuant ainsi, la cour a répondu aux moyens soulevés devant elle et n’a commis aucune erreur de droit.

Sur le bien-fondé de l’arrêt en ce qui concerne la légalité de la délibération du 2 mai 2015 :

9. En premier lieu, en vertu du principe désormais énoncé à l’article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, les biens qui relèvent du domaine public des personnes publiques sont inaliénables et imprescriptibles. Leur cession ne peut intervenir, s’agissant de biens affectés à un service public, qu’après qu’ils ont fait l’objet d’une désaffectation et d’une décision expresse de déclassement.

10. Si M. C. soutient que l’inscription de l’acte d’échange de la parcelle supportant la voie communale sur le livre foncier permettrait de justifier le déclassement de cette voie qui pouvait intervenir sans enquête publique, la cour administrative d’appel de Nancy a pu, par un arrêt suffisamment motivé, juger sans erreur de droit que l’absence de désaffectation et de décision expresse de déclassement faisait obstacle à ce que le conseil municipal puisse légalement approuver le transfert de propriété à M. C. de la parcelle supportant cette voie communale.

11. En second lieu, il résulte des dispositions de l’article L. 161-10 du code rural et de la pêche maritime cité au point 3 que le législateur n’a pas entendu ouvrir aux communes, pour l’aliénation des chemins ruraux, d’autres procédures que celle de la vente dans les conditions qu’elles précisent. Si M. C. soutient que le principe de l’échange de la parcelle supportant le chemin rural avait été retenu par une précédente délibération du conseil municipal, la cour administrative d’appel a pu, par un arrêt suffisamment motivé, juger sans erreur de droit que la délibération litigieuse ne pouvait, sans méconnaître ces dispositions, autoriser l’échange de cette parcelle.

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. C. n’est pas fondé à demander l’annulation de l’arrêt qu’il attaque.

13. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de Mme D., qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de M. C. le versement à Mme D. de la somme de 3 000 € au titre de ce même article.

Décide :

Article 1er : Le pourvoi de M. C. est rejeté.

Article 2 : M. C. versera à Mme D. la somme de 3 000 € au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A. C., à la commune de Luttange et à Mme B. D.

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