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Autorisations d’urbanisme : si vous savez que la demande est frauduleuse, il faut la refuser !

CAA de DOUAI

N° 14DA00882   
Inédit au recueil Lebon
1re chambre – formation à 3
M. Yeznikian, président
Mme Amélie Fort-Besnard, rapporteur
M. Riou, rapporteur public
SOCIETE D’AVOCATS FIDAL, avocat

lecture du jeudi 2 juin 2016

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SICAE de l’Aisne a sollicité du tribunal administratif de d’Amiens :

1°) par une demande enregistrée sous le n° 1202712, d’une part, l’annulation du permis de construire cinq éoliennes et un poste de livraison sur le territoire de la commune de Lemé, accordé à la société Electrawinds France par une décision du préfet de la région Picardie en date du 21 mars 2012, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux née le 25 juillet 2012, d’autre part, à ce qu’il soit enjoint au préfet de région de se prononcer à nouveau sur sa demande de permis de construire, dans un délai de deux mois à compter du jugement à intervenir, enfin, à ce qu’une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l’Etat sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) par une demande enregistrée sous le n° 1202713, d’une part, l’annulation du permis de construire deux éoliennes sur le territoire de la commune de Sains-Richaumont, accordé à la société Electrawinds France par une décision du préfet de la région Picardie en date du 21 mars 2012, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux née le 25 juillet 2012, d’autre part, à ce qu’il soit enjoint au préfet de région de se prononcer à nouveau sur sa demande de permis de construire, dans un délai de deux mois à compter du jugement à intervenir, enfin, à ce qu’une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l’Etat sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

3°) par une demande enregistrée sous le n° 1202716, d’une part, l’annulation du permis de construire une éolienne sur le territoire de la commune de Chevennes, accordé à la société Electrawinds France par une décision du préfet de la région Picardie en date du 21 mars 2012, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux née le 25 juillet 2012, d’autre part, à ce qu’il soit enjoint au préfet de région de se prononcer à nouveau sur sa demande de permis de construire, dans un délai de deux mois à compter du jugement à intervenir, enfin, à ce qu’une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l’Etat sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement nos 1202712-1202713-1202716 du 11 mars 2014, le tribunal administratif d’Amiens, après avoir joint les trois instances, a, d’une part, annulé les trois permis de construire accordés à la société Electrawinds France ainsi que les décisions implicites de rejet des recours gracieux exercés par la SICAE de l’Aisne, d’autre part, enjoint au préfet de région de statuer à nouveau sur les demandes de permis de construire de la SICAE de l’Aisne, en sa qualité de co-demandeur, dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement, enfin, mis à la charge de l’Etat une somme de 1 000 euros à verser à la SICAE de l’Aisne sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté les conclusions de la société Electrawinds France présentées sur le même fondement.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 23 mai 2014, et un mémoire, enregistré le 2 mars 2015, la société Electrawinds France, devenue, depuis le 1er novembre 2014, Elicio France SAS, représentée par la société d’avocats Fidal, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement ;

2°) de rejeter les demandes de la SICAE de l’Aisne ;

3°) de mettre à la charge de la SICAE de l’Aisne la somme de 3 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
– la SICAE de l’Aisne ne justifie pas d’un intérêt à agir contre les permis de construire en litige qui correspondent à de nouvelles demandes distinctes de celles qu’elle avait antérieurement déposées et qui ont été implicitement rejetées ;
– la mention d’une date de dépôt des demandes et de numéros de permis de construire correspondant à celles déposées par la SICAE de l’Aisne constituent des erreurs non substantielles de l’administration ;
– il n’y avait pas lieu d’associer la SICAE de l’Aisne à la procédure d’instruction des permis de construire.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 24 octobre 2014 et 19 mai 2015, la SICAE de l’Aisne, représentée par la SELARL Enckell avocats, conclut au rejet de la requête et à ce qu’une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Elicio France SAS[0] sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
– la société requérante se contente de reprendre les moyens développés en première instance sans en formuler de nouveau ;
– les moyens de la requête d’appel ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée à la ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité qui n’a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
– le code de l’urbanisme ;
– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme Amélie Fort-Besnard, premier conseiller,
– les conclusions de M. Jean-Michel Riou, rapporteur public,
– et les observations de Me B…A…, représentant la société Elicio France SAS[0].

1. Considérant que la société Evelop France et la société d’intérêt collectif agricole d’électricité de l’Aisne (SICAE de l’Aisne) ont déposé, le 4 février 2008, pour la réalisation du projet éolien de l’Arc en Thiérache, trois demandes de permis de construire, d’une part, cinq éoliennes et un poste de livraison sur le territoire de la commune de Lemé, d’autre part, deux éoliennes sur le territoire de la commune de Sains-Richaumont, et, enfin, une éolienne sur le territoire de la commune de Chevennes ; que la société Evelop France a été placée en liquidation judicaire et, par une ordonnance du 2 juillet 2010, le juge commissaire du tribunal de commerce a autorisé la vente, au profit de la société Electrawinds France, de l’ensemble des éléments composant le projet éolien de l’Arc en Thiérache, soit les dossiers contractuels et administratifs ainsi que les études techniques ; que la SICAE de l’Aisne a fait valoir, devant le juge judicaire, les droits qu’elle estimait détenir sur ce projet, lequel l’a déboutée successivement en première instance, en appel, puis en cassation, de l’ensemble de ses prétentions ; qu’informée par l’appelante des décisions judicaires intervenues, l’administration a poursuivi l’instruction des demandes de permis de construire avec la seule société Electrawinds France ; qu’à la demande de l’administration, cette société a déposé le 28 février 2011 trois demandes de  » permis de construire modificatif  » pour la réalisation du même projet de parc éolien ; que le préfet de la région Picardie a accordé les permis de construire sollicités par trois arrêtés du 21 mars 2012 ; que la société Electrawinds France doit être regardée, compte tenu de l’ensemble de ses écritures, comme relevant appel du jugement du 11 mars 2014 du tribunal administratif d’Amiens, en tant qu’il a annulé ces trois arrêtés, à la demande de la SICAE de l’Aisne, et a enjoint au préfet de région de statuer à nouveau sur les demandes de permis de construire présentées, pour le même projet éolien, par cette société ;

2. Considérant qu’aux termes de l’article R. 423-1 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction applicable lors du dépôt des demandes de permis de construire par la SICAE :  » Les demandes de permis de construire, d’aménager ou de démolir et les déclarations préalables sont adressées par pli recommandé avec demande d’avis de réception ou déposées à la mairie de la commune dans laquelle les travaux sont envisagés : / a) Soit par le ou les propriétaires du ou des terrains, leur mandataire ou par une ou plusieurs personnes attestant être autorisées par eux à exécuter les travaux ; / (…) / c) Soit par une personne ayant qualité pour bénéficier de l’expropriation pour cause d’utilité publique  » ; qu’en vertu du dernier alinéa de l’article R. 431-5 du même code, dans sa rédaction applicable à l’espèce, la demande de permis de construire comporte  » l’attestation du ou des demandeurs qu’ils remplissent les conditions définies à l’article R. 423-1 pour déposer une demande de permis  » ;

3. Considérant qu’il résulte de ces dispositions que les demandes de permis de construire doivent seulement comporter l’attestation du pétitionnaire qu’il remplit les conditions définies à l’article R. 423-1 cité ci-dessus ; que les autorisations d’utilisation du sol, qui ont pour seul objet de s’assurer de la conformité des travaux qu’elles autorisent avec la législation et la réglementation d’urbanisme, étant accordées sous réserve du droit des tiers, il n’appartient pas à l’autorité compétente de vérifier, dans le cadre de l’instruction d’une demande de permis, la validité de l’attestation établie par le demandeur ; qu’ainsi, sous réserve de la fraude, le pétitionnaire qui fournit l’attestation prévue à l’article R. 423-1 du code de l’urbanisme doit être regardé comme ayant qualité pour présenter sa demande ; qu’il résulte de ce qui précède que les tiers ne sauraient utilement invoquer, pour contester une décision accordant une telle autorisation au vu de l’attestation requise, la circonstance que l’administration n’en aurait pas vérifié l’exactitude ;

4. Considérant, toutefois, que lorsque l’autorité saisie d’une telle demande de permis de construire vient à disposer au moment où elle statue, sans avoir à procéder à une mesure d’instruction lui permettant de les recueillir, d’informations de nature à établir son caractère frauduleux ou faisant apparaître, sans que cela puisse donner lieu à une contestation sérieuse, que le pétitionnaire ne dispose, contrairement à ce qu’implique l’article R. 423-1 du code de l’urbanisme, d’aucun droit à la déposer, il lui revient de refuser la demande de permis pour ce motif ; qu’il en est notamment ainsi lorsque l’autorité saisie de la demande de permis de construire est informée de ce que le juge judiciaire a remis en cause le droit de propriété sur le fondement duquel le pétitionnaire avait présenté sa demande ;

5. Considérant, d’une part, qu’il ressort des pièces du dossier qu’à la date de dépôt des demandes de permis de construire, la société Evelop France était seule bénéficiaire des conventions pour l’occupation des terrains d’assiette du projet et attestait ainsi de sa qualité à obtenir les permis sollicités ; que la SICAE de l’Aisne ne disposait pas, quant à elle, de la maîtrise foncière de tout ou partie du projet ; qu’elle ne justifie pas plus avoir disposé d’un mandat consenti à la société Evelop France ; qu’enfin, par des décisions devenues définitives, la juridiction judiciaire a estimé qu’il n’existait aucun contrat de partenariat entre la société Evelop France et la SICAE de l’Aisne relativement au projet litigieux ; que cette société n’entrait, dès lors, pas dans les prévisions de l’article R. 423-1 du code de l’urbanisme ;

6. Considérant, d’autre part, que l’ensemble des pièces relatives à la liquidation judiciaire de la société Evelop France et aux contentieux engagés par la SICAE de l’Aisne pour faire valoir ses droits sur le projet litigieux ont été spontanément communiquées à l’administration par la société Electrawinds France et le liquidateur judiciaire de la société Evelop France ; qu’il en ressort que, sans avoir procédé à aucune mesure d’instruction lui ayant permis de les recueillir, l’administration disposait, au moment où elle a statué sur les demandes de permis de construire, d’informations de nature à établir, et sans que cela puisse donner lieu à une contestation sérieuse, que la SICAE de l’Aisne ne disposait d’aucun droit à déposer les demandes de permis de construire ;

7. Considérant que, lorsqu’une demande de permis de construire est présentée par plusieurs personnes, chacune de ces personnes doit entrer dans l’un des cas prévus à l’article R. 423-1 permettant de déposer une telle demande ; que, lorsque l’autorité saisie de la demande de permis de construire est informée de ce que le juge judiciaire a constaté l’inexistence du contrat qui fondait le co-dépôt de la demande par celui des pétitionnaires qui n’a pas la maîtrise foncière du projet, elle est tenue de rejeter les demandes de permis de construire présentées par ce dernier ; qu’il en résulte que les moyens soulevés par la SICAE de l’Aisne à l’encontre des arrêtés attaqués, en tant qu’ils ne lui accordent pas les permis de construire sollicités, sont inopérants ;

8. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède, sans qu’il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée aux demandes de première instance, que la société Electrawinds France devenue Elicio France SAS[0], est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d’Amiens a annulé, à la demande de la SICAE de l’Aisne, les trois arrêtés du préfet de la région Picardie lui accordant les trois permis de construire en litige ;

9. Considérant qu’il y a lieu de mettre à la charge de la SICAE de l’Aisne, au profit de la société Elicio France SAS[0], la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; que ces mêmes dispositions font obstacle à qu’il soit fait droit aux conclusions présentées par la SICAE de l’Aisne, partie perdante, sur le même fondement ;

DÉCIDE :

Article 1er : Les articles 1er, 2 et 3 du jugement du 11 mars 2014 du tribunal administratif d’Amiens sont annulés.

Article 2 : Les requêtes de la SICAE de l’Aisne sont rejetées.

Article 3 : La SICAE de l’Aisne versera à la société Elicio France SAS[0] la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de la SICAE de l’Aisne présentées sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Elicio France SAS[0], à la SICAE de l’Aisne et à la ministre du logement et du développement durable.

Copie en sera transmise pour information au préfet de la région Nord-Pas de Calais-Picardie, au préfet de l’Aisne et, en application des dispositions de l’article R. 751-11 du code de justice administrative, au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Laon.

Délibéré après l’audience publique du 19 mai 2016 à laquelle siégeaient :

– M. Olivier Yeznikian, président de chambre,
– M. Christian Bernier, président-assesseur,
– Mme Amélie Fort-Besnard, premier conseiller.

Lu en audience publique le 2 juin 2016.

Le rapporteur,
Signé : A. FORT-BESNARDLe premier vice-président de la cour,
Président de chambre,
Signé : O. YEZNIKIAN
Le greffier,
Signé : S. DUPUIS
La République mande et ordonne à la ministre du logement et du développement durable, en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,
Le greffier en chef,
Par délégation,
Le greffier,
Sylviane Dupuis

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