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Autorisations d’urbanisme : la jurisprudence Thalamy ne s’applique pas aux permis modificatifs !

Arrêt rendu par Conseil d’Etat
30-04-2024
n° 472746
Texte intégral :
Vu la procédure suivante :

Par deux requêtes distinctes, M. C. G. et M. H. G., d’une part, M. D. E. et Mme F. E., d’autre part, ont demandé au tribunal administratif de Dijon d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du 27 mars 2019 par lequel le maire de Dijon a accordé à M. B. A. un permis de construire modificatif relatif à un projet sur la parcelle cadastrée DN 144 située au 16, boulevard des Bourroches à Dijon (Côte-d’Or) et la décision de rejet de leur recours gracieux contre cet arrêté. Par des jugements n° 1902627 et n° 1902628 du 5 novembre 2020, le tribunal administratif a rejeté leurs demandes.

Par un arrêt n° 21LY00063, 21LY00064 du 10 novembre 2022, la cour administrative d’appel de Lyon a joint les requêtes d’appel de MM. G. et de M. et Mme E., et annulé les jugements, l’arrêté litigieux et les décisions de rejet des recours gracieux.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 4 avril et 30 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. A. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter les appels de MM. G. et de M. et Mme E. ;

3°) de mettre solidairement à la charge de MM. G. et de M. et Mme E. la somme de 3 000 € à verser à la SCP Delamarre et Jehannin, son avocat, en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

– le code de l’urbanisme ;

– la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Sophie Delaporte, conseillère d’Etat,

– les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Delamarre, Jéhannin, avocat de M. A., à la SARL cabinet Briard, avocat de MM. G., à la SARL Le Prado – Gilbert, avocat de M. et Mme E. et à la SCP Lévis, avocat de la commune de Dijon ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 8 avril 2024, présentée par MM. G. ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le 12 septembre 2017, le maire de Dijon a délivré à M. A. un permis de construire en vue de la surélévation et de l’extension d’une maison. Par un arrêté du 12 mars 2018, pris sur le fondement d’un procès-verbal du même jour ayant constaté l’existence d’infractions dans l’exécution du permis de construire, le maire a ordonné l’interruption des travaux. M. A. a alors sollicité un permis de construire modificatif répondant aux infractions relevées dans le procès-verbal, qui lui a été délivré par le maire de Dijon par un arrêté du 27 mars 2019. MM. G. et M. et Mme E. ont demandé au tribunal administratif de Dijon d’annuler pour excès de pouvoir cet arrêté et les décisions de rejet de leurs recours gracieux respectifs. Par des jugements n° 1902627 et n° 1902628 du 5 novembre 2020, le tribunal administratif a rejeté leurs demandes. Par un arrêt n° 21LY00063, 21LY00064 du 10 novembre 2022, sur appel de MM. G. et de M. et Mme E., la cour administrative d’appel de Lyon a annulé les jugements, l’arrêté litigieux et les décisions de rejet des recours gracieux. M. A. se pourvoit en cassation contre cet arrêt.

Sur la recevabilité de l’intervention de la commune de Dijon :

2. La commune de Dijon, partie à l’instance devant la cour administrative d’appel de Lyon, avait qualité pour se pourvoir en cassation contre l’arrêt attaqué. Par suite, son intervention doit être regardée comme un pourvoi en cassation. Ce pourvoi n’ayant été enregistré au secrétariat de la section du contentieux du Conseil d’Etat que le 13 novembre 2023, soit après l’expiration du délai de recours contentieux, il est tardif et, par suite irrecevable.

Sur l’arrêt attaqué :

En ce qui concerne la possibilité d’autoriser les modifications envisagées par un permis modificatif :

3. L’autorité compétente, saisie d’une demande en ce sens, peut délivrer au titulaire d’un permis de construire en cours de validité un permis modificatif, tant que la construction que ce permis autorise n’est pas achevée, dès lors que les modifications envisagées n’apportent pas à ce projet un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même.

4. Il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que, pour juger que le moyen tiré du caractère incomplet du dossier de demande du permis modificatif devait être accueilli, la cour administrative d’appel de Lyon a estimé que le fait que ce dossier ne mentionne pas la démolition et la reconstruction des murs périphériques, rendue nécessaire par l’apparition de fissures lors des travaux de surélévation, n’avait pas mis le service instructeur en mesure d’apprécier si, par leur ampleur, les modifications apportées au projet initial n’en remettaient pas en cause la conception générale et ne nécessitaient pas, dès lors, la délivrance d’un nouveau permis de construire et non d’un permis modificatif.

5. En retenant comme limite à la possibilité de délivrer un permis modificatif l’absence de remise en cause de la conception générale du projet initial, alors qu’un nouveau permis de construire n’est nécessaire, tant que le permis initial est valide, que lorsque les modifications envisagées apportent au projet un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même, la cour administrative d’appel de Lyon a commis une erreur de droit.

En ce qui concerne la nécessité d’autoriser l’opération de consolidation des murs périphériques de la maison existante par le permis modificatif :

6. Aux termes des articles L. 461-1 et L. 461-4 du code de l’urbanisme : « Le préfet et l’autorité compétente mentionnée aux articles L. 422-1 à L. 422-3 ou leurs délégués, ainsi que les fonctionnaires et les agents mentionnés à l’article L. 480-1 peuvent visiter les lieux accueillant ou susceptibles d’accueillir des constructions, […] et travaux soumis aux dispositions du présent code afin de vérifier que ces dispositions sont respectées […] » et « Sans préjudice de la procédure applicable aux infractions aux dispositions du présent code, lorsque, à l’issue de la visite prévue au présent chapitre, il est établi qu’une construction, […] ou des travaux ont été réalisés sans permis […], ou en méconnaissance d’un permis […], le préfet, l’autorité compétente mentionnée aux articles L. 422-1 à L. 422-3 ou ses délégués peuvent mettre en demeure le maître d’ouvrage, dans un délai qu’ils déterminent et qui ne peut excéder six mois, de déposer, selon le cas, une demande de permis ou une déclaration préalable ».

7. Aux termes de l’article L. 480-1 du même code : « Les infractions aux dispositions des titres I, II, III, IV et VI du présent livre sont constatées par tous officiers ou agents de police judiciaire ainsi que par tous les fonctionnaires et agents de l’Etat et des collectivités publiques commissionnés à cet effet par le maire ou le ministre chargé de l’urbanisme suivant l’autorité dont ils relèvent et assermentés. / […] / Lorsque l’autorité administrative et, au cas où il est compétent pour délivrer les autorisations, le maire […] ont connaissance d’une infraction de la nature de celles que prévoient les articles L. 610-1 et L. 480-4, ils sont tenus d’en faire dresser procès-verbal. / Copie du procès-verbal constatant une infraction est transmise sans délai au ministère public. / […] ». Aux termes de l’article L. 480-2 du même code : « […] Dès qu’un procès-verbal relevant l’une des infractions prévues à l’article L. 480-4 du présent code a été dressé, le maire peut également, si l’autorité judiciaire ne s’est pas encore prononcée, ordonner par arrêté motivé l’interruption des travaux […] ».

8. Enfin, les articles L. 462-1 et L. 462-2 du même code disposent : « A l’achèvement des travaux de construction […], une déclaration attestant cet achèvement et la conformité des travaux au permis délivré […] est adressée à la mairie. / […] » et « L’autorité compétente mentionnée aux articles L. 422-1 à L. 422-3 peut, dans un délai fixé par décret en Conseil d’Etat, procéder ou faire procéder à un récolement des travaux et, lorsque ceux-ci ne sont pas conformes au permis délivré […], mettre en demeure le maître de l’ouvrage de déposer un dossier modificatif ou de mettre les travaux en conformité. / […] / Passé ce délai, l’autorité compétente ne peut plus contester la conformité des travaux. / […] ». Aux termes de l’article R. 462-6 du même code : « A compter de la date de réception en mairie de la déclaration d’achèvement, l’autorité compétente dispose d’un délai de trois mois pour contester la conformité des travaux au permis ou à la déclaration. / Le délai de trois mois prévus à l’alinéa précédent est porté à cinq mois lorsqu’un récolement des travaux est obligatoire en application de l’article R. 462-7 ».

9. Il résulte de l’ensemble de ces dispositions que l’autorité administrative dispose, en cours d’exécution de travaux autorisés par un permis de construire, de la faculté de contrôler le respect de l’autorisation d’urbanisme. A défaut de la mise en oeuvre de ces pouvoirs de contrôle ou, s’ils ont été mis en oeuvre, du constat d’une irrégularité, le pétitionnaire doit être considéré comme réalisant les travaux en se conformant à l’autorisation délivrée. L’autorité compétente ne peut pas exiger du pétitionnaire qui envisage de modifier son projet en cours d’exécution, que sa demande de permis modificatif porte également sur d’autres travaux, au motif que ceux-ci auraient été ou seraient réalisés sans respecter le permis de construire précédemment obtenu. Il appartiendrait dans ce cas à l’autorité compétente pour délivrer les autorisations de dresser procès-verbal des infractions à la législation sur les permis de construire dont elle aurait connaissance, procès-verbal transmis sans délai au ministère public. En toute hypothèse, l’administration dispose, en vertu des dispositions visées au point 8, du pouvoir de contrôler la conformité une fois les travaux achevés et d’imposer, à ce stade, la mise en conformité.

10. Par suite, en jugeant que le permis de construire modificatif litigieux ne pouvait être délivré pendant le cours des travaux autorisés par le permis de construire sans que soient régularisés d’autres travaux non prévus par ce permis, alors que, comme cela a été dit au point 9, le permis de construire modificatif n’avait pas à procéder à une telle régularisation, la cour administrative d’appel a entaché son arrêt d’une erreur de droit.

11. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, que M. A. est fondé à demander l’annulation de l’arrêt qu’il attaque.

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de MM. G., d’une part, et de M. et Mme E., d’autre part, le versement à la SCP Delamarre et Jehannin, avocat de M. A., d’une somme de 1 500 € chacun au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat.

Décide :

Article 1er : Les conclusions de la commune de Dijon sont rejetées.

Article 2 : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon du 10 novembre 2022 est annulé.

Article 3 : L’affaire est renvoyée à la cour administrative d’appel de Lyon.

Article 4 : MM. G. et M. et Mme E. verseront à la SCP Delamarre et Jehannin une somme de 1500 € chacun au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat.

CE, 30 avril 2024, n° 472746 (sera mentionné aux tables du Lebon)

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