Conseil d’État, 1ère – 4ème chambres réunies, 12/06/2023, 468343, Inédit au recueil Lebon
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
La société civile immobilière Mas-Cosy a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nice de suspendre, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, l’exécution de l’arrêté du 25 mars 2022 par lequel le maire d’Eze a accordé à la société à responsabilité limitée Prestigimo le permis de construire deux villas et deux piscines, après démolition de la maison existante, ainsi que de la décision du 22 juillet 2022 rejetant son recours gracieux. Par une ordonnance n° 2204467 du 5 octobre 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a rejeté cette demande.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 20 octobre 2022, 2 novembre 2022 et 12 janvier 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la société Mas-Cosy demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande ;
3°) de mettre à la charge de la commune d’Eze et de la société Prestigimo la somme globale de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code de l’urbanisme ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Guillaume Larrivé, maître des requêtes,
– les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, Goulet, avocat de la société Mas-Cosy, à la SCP Buk Lament, Robillot, avocat de la commune d’Eze et à la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, avocat de la société Prestigimo ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du premier alinéa de l’article L. 521-1 du code de justice administrative : » Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision « .
2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif que, par un arrêté du 25 mars 2022, le maire d’Eze a délivré à la société Prestigimo le permis de construire que celle-ci avait sollicité afin de construire deux villas et deux piscines, après démolition d’une maison existante. Il a, par une décision du 1er juillet 2022, rejeté le recours gracieux formé par la société Mas-Cosy à l’encontre de cet arrêté. Par une ordonnance du 5 octobre 2022, contre laquelle cette dernière société se pourvoit en cassation et contre laquelle la société Prestigimo forme un pourvoi incident, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande de suspension de l’exécution de ces deux décisions présentée sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative.
Sur le pourvoi principal :
3. En premier lieu, l’article R. 431-7 du code de l’urbanisme prévoit que : » Sont joints à la demande de permis de construire (…) le projet architectural défini par l’article L. 431-2 et comprenant les pièces mentionnées aux articles R. 421-8 à R. 431-12 « . Aux termes de l’article R. 431-8 de ce code : » Le projet architectural comprend une notice précisant : / 1° L’état initial du terrain et de ses abords indiquant, s’il y a lieu, les constructions, la végétation et les éléments paysagers existants ; / 2° Les partis retenus pour assurer l’insertion du projet dans son environnement et la prise en compte des paysages, faisant apparaître, en fonction des caractéristiques du projet : / a) L’aménagement du terrain, en indiquant ce qui est modifié ou supprimé ; / b) L’implantation, l’organisation, la composition et le volume des constructions nouvelles, notamment par rapport aux constructions ou paysages avoisinants ; / c) Le traitement des constructions, clôtures, végétations ou aménagements situés en limite de terrain ; / d) Les matériaux et les couleurs des constructions ; / e) Le traitement des espaces libres, notamment les plantations à conserver ou à créer ; / f) L’organisation et l’aménagement des accès au terrain, aux constructions et aux aires de stationnement « . Aux termes de l’article R. 431-9 du même code : » Le projet architectural comprend également un plan de masse des constructions à édifier ou à modifier coté dans les trois dimensions. (…) « . Enfin, aux termes de l’article R. 431-10 du même code : » Le projet architectural comprend également : / a) Le plan des façades et des toitures ; (…) / b) Un plan en coupe précisant l’implantation de la construction par rapport au profil du terrain ; (…) / c) Un document graphique permettant d’apprécier l’insertion du projet de construction par rapport aux constructions avoisinantes et aux paysages, son impact visuel ainsi que le traitement des accès et du terrain (…) « .
4. La circonstance que le dossier de demande de permis de construire ne comporterait pas l’ensemble des documents exigés par les dispositions du code de l’urbanisme, ou que les documents produits seraient insuffisants, imprécis ou comporteraient des inexactitudes, n’est susceptible d’entacher d’illégalité le permis de construire qui a été accordé que dans le cas où les omissions, inexactitudes ou insuffisances entachant le dossier ont été de nature à fausser l’appréciation portée par l’autorité administrative sur la conformité du projet à la réglementation applicable.
5. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif que, si la notice architecturale ne comportait pas de plan de masse coté dans les trois dimensions, elle comprenait un plan de coupe précisant l’implantation des constructions par rapport au profil du terrain ainsi que des documents graphiques permettant d’apprécier notamment l’insertion du projet par rapport aux constructions avoisinantes et aux paysages, son impact visuel ainsi que le traitement des accès et du terrain. Par suite, le juge des référés du tribunal administratif n’a pas dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis en jugeant que n’était pas propre à créer un doute sérieux quant à la légalité des décisions attaquées le moyen tiré du caractère incomplet du dossier de demande de permis.
6. En deuxième lieu, aux termes du premier alinéa de l’article L. 421-1 du code de l’urbanisme : » Les constructions, même ne comportant pas de fondations, doivent être précédées de la délivrance d’un permis de construire. » Aux termes du premier alinéa de l’article L. 421-6 du même code : » Le permis de construire ou d’aménager ne peut être accordé que si les travaux projetés sont conformes aux dispositions législatives et réglementaires relatives à l’utilisation des sols, à l’implantation, la destination, la nature, l’architecture, les dimensions, l’assainissement des constructions et à l’aménagement de leurs abords (…) « .
7. Il résulte de ces dispositions qu’un permis de construire a pour seul objet de s’assurer de la conformité des travaux qu’il autorise avec la législation et la réglementation d’urbanisme.
8. Il s’ensuit, d’une part, qu’une construction constituée de plusieurs éléments formant, en raison des liens physiques ou fonctionnels entre eux, un ensemble immobilier unique doit en principe faire l’objet d’une seule autorisation, sauf à ce que l’ampleur et la complexité du projet justifient que des éléments de la construction ayant une vocation fonctionnelle autonome puissent faire l’objet de permis distincts, sous réserve que l’autorité administrative vérifie, par une appréciation globale, que le respect des règles et la protection des intérêts généraux que garantirait un permis unique sont assurés par l’ensemble des permis délivrés.
9. Il s’ensuit, d’autre part, en revanche, que lorsque deux constructions sont distinctes, la seule circonstance que l’une ne pourrait fonctionner ou être exploitée sans l’autre, au regard de considérations d’ordre technique ou économique et non au regard des règles d’urbanisme, ne suffit pas à caractériser un ensemble immobilier unique. Dans ce cas, elles peuvent faire l’objet aussi bien de demandes d’autorisation distinctes que d’une demande d’autorisation unique, laquelle présente alors un caractère divisible. Dans ces deux hypothèses, la conformité aux règles d’urbanisme est appréciée par l’autorité administrative pour chaque construction prise indépendamment.
10. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif que le projet de la société Prestigimo consiste à édifier deux villas distinctes, ainsi que deux piscines, n’ayant en commun qu’un accès à la voie publique et aux réseaux. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent qu’elles ne constituent pas un ensemble immobilier unique, mais des constructions distinctes, alors même qu’elles ont fait l’objet d’une demande unique de permis de construire, de sorte que la conformité aux règles d’urbanisme doit être appréciée par l’autorité administrative pour chaque construction prise indépendamment. Ainsi, en ne jugeant pas propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité des décisions attaquées le moyen tiré de ce que le maire d’Eze devait prendre en compte les deux villas pour apprécier le respect de la règle prévue au point 2.1.2 du règlement du plan local d’urbanisme de la métropole de Nice, applicable au secteur UFB3 au sein duquel est situé le terrain d’assiette du projet litigieux, limitant, pour la commune d’Eze, la hauteur frontale à 8,5 mètres, le juge des référés du tribunal administratif, qui a porté sur les faits de l’espèce et les pièces du dossier qui lui était soumis une appréciation souveraine exempte de dénaturation, n’a pas, eu égard à son office, commis d’erreur de droit.
11. En troisième lieu, aux termes des dispositions du point 2.1.2. du règlement du plan local d’urbanisme de la métropole de Nice, applicables au secteur UFB3 : » La hauteur maximale des constructions à l’égout est fixée à 7 mètres. (…) « . L’article 37 des dispositions générales de ce règlement précise, s’agissant des modalités de calcul des hauteurs, que : » (…) Dans le cas de toiture terrasse, la hauteur à l’égout est mesurée à l’aplomb depuis l’étanchéité jusqu’au pied de façade et ceci en tout point. (…) « . Cette disposition doit, eu égard à l’objet de la règle ainsi édictée, être interprétée en ce sens que la hauteur de la construction doit être mesurée à partir du niveau du sol au-dessus duquel la construction est visible. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif que le point haut du projet, qui comprend une toiture terrasse, ne dépasse pas la cote de 394,99 mètres et le point bas, mesuré au pied de chacune des quatre façades de la villa B à partir du niveau du sol au-dessus duquel la construction est visible, n’est pas inférieur à la cote de 387,99 mètres. Par suite, en jugeant que n’était pas propre à créer un doute sérieux quant à la légalité des décisions attaquées le moyen tiré de ce que le permis litigieux méconnaîtrait la règle de hauteur de 7 mètres à l’égout, le juge des référés du tribunal administratif n’a ni dénaturé les faits de l’espèce ou les pièces du dossier qui lui était soumis ni, eu égard à son office, commis d’erreur de droit.
12. En quatrième lieu, aux termes du point 2.1.3.1 du règlement du plan local d’urbanisme, applicable au secteur UFB3, relatif à l’implantation des constructions : » Les constructions peuvent s’implanter soit avec le même alignement ou retrait que les bâtiments contigus soit à une distance minimale de trois mètres de la limite d’emprise publique des voies. » L’article 46 des dispositions générales de ce règlement, relatif au lexique, précise à propos des escaliers que : » Les escaliers ayant un lien fonctionnel avec le bâtiment, notamment lorsqu’ils lui sont accolés, relèvent de la terminologie des constructions. / Les escaliers aménagés dans les espaces libres, qu’il s’agisse d’escaliers maçonnés ou paysagers, sont des accès ou circulations extérieures qui ne font pas partie de la terminologie des constructions. » Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif que le projet faisant l’objet du permis de construire litigieux inclut un escalier implanté entre la villa B et la limite d’emprise publique à une distance inférieure à trois mètres. En jugeant que n’était pas propre à créer un doute sérieux quant à la légalité des décisions attaquées le moyen tiré de ce que cet escalier aurait un lien fonctionnel avec le bâtiment tel qu’il doive être regardé, non comme un escalier paysager, mais comme faisant partie des constructions soumises à la règle de retrait d’au moins trois mètres, le juge des référés du tribunal administratif a porté sur les faits de l’espèce et les pièces du dossier qui lui était soumis une appréciation souveraine exempte de dénaturation.
13. En cinquième lieu, le point 2.2 du règlement du plan local d’urbanisme, applicable au secteur UFB3, relatif à la qualité urbaine, architecturale, environnementale et paysagère, prescrit que : » Dans les espaces concernés par la » trame verte et bleue « , document n° 5 des pièces règlementaires du PLU métropolitain, tous les projets d’aménagement devront conserver voire améliorer la qualité paysagère du site existant et prendre en compte la topographie et le profil existants afin de minimiser les mouvements de terres. (…) « . En jugeant que n’était pas propre à créer un doute sérieux quant à la légalité des décisions attaquées le moyen tiré de ce que le projet litigieux méconnaîtrait ces dispositions en ce qui concerne les terrassements prévus, les plantations conservées, déplacées ou remplacées, la présence d’un balcon, l’existence de toitures carrelées ou végétalisées, la taille des ouvertures et l’existence de murs de soutènement agrémentés de plantes montantes ou retombantes, le juge des référés du tribunal administratif a porté sur les faits de l’espèce et les pièces du dossier qui lui était soumis une appréciation souveraine exempte de dénaturation.
14. En sixième lieu, aux termes du point 2.4 du règlement du plan local d’urbanisme, applicable au secteur UFB3, relatif au traitement environnemental et paysager des espaces non bâtis et abords des constructions : » (…) Pour toute construction à usage d’habitation, ou dont l’usage produit des ordures ménagères fermentescibles, les espaces libres doivent comporter un dispositif de compostage adapté à ces productions. (…) « . En estimant que le projet litigieux comportait un tel dispositif de compostage, le juge des référés du tribunal administratif n’a pas, contrairement à ce qui soutenu, dénaturé les faits de l’espèce ou les pièces du dossier qui lui étaient soumis.
15. Enfin, aux termes de l’article R. 111-27 du code de l’urbanisme : » Le projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l’aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains (…). » Il ne ressort pas des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif que ce dernier les aurait dénaturées en ne jugeant pas propre à créer un doute sérieux quant à la légalité des décisions attaquées le moyen tiré de ce que le projet litigieux aurait dû donner lieu à l’application de ces dispositions, dès lors que le projet, qui a fait l’objet d’un avis favorable de l’architecte des bâtiments de France, comporte des constructions de gabarit limité, épousant la pente du terrain d’assiette, incluant des éléments végétalisés et comprenant des façades dont les teintes sont en harmonie avec les constructions aux alentours, lesquelles ne sont pas toutes dépourvues de toits en terrasse.
16. Il résulte de tout ce qui précède que la société Mas-Cosy n’est pas fondée à demander l’annulation de l’ordonnance qu’elle attaque.
Sur le pourvoi incident de la société Prestigimo :
17. Le pourvoi incident présenté par la société Prestigimo étant dirigé contre les seuls motifs de l’ordonnance attaquée et non contre son dispositif, qui ne fait pas grief à cette société dès lors qu’il rejette la requête de la société Mas-Cosy, il ne peut qu’être rejeté comme irrecevable.
Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
18. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la société Mas-Cosy une somme de 1 500 euros à verser à la commune d’Eze et une somme de 1 500 euros à verser à la société Prestigimo au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce qu’il soit fait droit aux conclusions présentées au même titre par la société Mas-Cosy.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la société Mas-Cosy est rejeté.
Article 2 : Le pourvoi incident de la société Prestigimo est rejeté.
Article 3 : La société Mas-Cosy versera une somme de 1 500 euros à la commune d’Eze et une somme de 1 500 euros à la société Prestigimo au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société civile immobilière Mas-Cosy, à la société à responsabilité limitée Prestigimo et à la commune d’Eze.
Délibéré à l’issue de la séance du 17 mai 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Yves Doutriaux, M. Jean-Luc Nevache, M. Damien Botteghi, M. Alban de Nervaux, M. Jérôme Marchand-Arvier, conseillers d’Etat et M. Guillaume Larrivé, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 12 juin 2023.
La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé
Le rapporteur :
Signé : M. Guillaume Larrivé
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber
ECLI:FR:CECHR:2023:468343.20230612