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Autorisation environnementale : comment régulariser un vice de procédure ?

Conseil d’État 

N° 420119    
Publié au recueil Lebon
6ème et 5ème chambres réunies
Mme Laure Durand-Viel, rapporteur
SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO, avocats

lecture du jeudi 27 septembre 2018

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par un jugement n° 1602358 du 24 avril 2018, enregistré le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le tribunal administratif d’Orléans, avant de statuer sur la requête de l’association Danger de tempête sur le patrimoine rural et autres tendant à l’annulation de l’arrêté du 18 mars 2016 par lequel le préfet Centre-Val de Loire a autorisé la société Enertrag AG – établissement France à exploiter cinq éoliennes et un poste de livraison sur le territoire de la commune de Marville-Moutiers-Brûlé, a décidé, par application des dispositions de l’article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette requête au Conseil d’Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :

1°) Si le juge envisageait de surseoir à statuer, il appartiendrait à l’autorité compétente de procéder à la régularisation en faisant application des dispositions en vigueur à la date à laquelle la décision attaquée a été prise. Ce renvoi aux dispositions alors en vigueur concerne-t-il les modalités de mise en oeuvre de la formalité viciée et, en l’espèce, le vice entachant l’avis de l’autorité environnementale peut-il être considéré comme régularisable au regard des dispositions de l’article R. 122-6 du code de l’environnement ‘

2°) Dans l’affirmative, quelles seraient les modalités de régularisation adaptées permettant l’information du public ‘

3°) Si le tribunal était conduit à prononcer une annulation, avec quel degré de précision le juge pourrait-il inviter l’administration à reprendre l’instruction pour éviter qu’elle ne reparte sur des éléments viciés ‘

Le ministre d’Etat, ministre de la transition écologique et solidaire, a présenté des observations, enregistrées le 2 août 2018.

La requête a été communiquée à la société Enertrag AG et à l’association Danger de tempête sur le patrimoine rural et autres, qui n’ont pas produit d’observations.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 ;
– le code de l’environnement ;
– la décision du Conseil d’Etat statuant au contentieux n° 400559 du 6 décembre 2017 ;
– le décret n° 2016-519 du 28 avril 2016 ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Laure Durand-Viel, auditeur,

– les conclusions de M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public.

– La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de la société Enertrag AG.

REND L’AVIS SUIVANT :

1. Aux termes de l’article L. 181-18 du code de l’environnement :  » I. Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre une autorisation environnementale, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés : / 1° Qu’un vice n’affecte qu’une phase de l’instruction de la demande d’autorisation environnementale, ou une partie de cette autorisation, peut limiter à cette phase ou à cette partie la portée de l’annulation qu’il prononce et demander à l’autorité administrative compétente de reprendre l’instruction à la phase ou sur la partie qui a été entachée d’irrégularité ; / 2° Qu’un vice entraînant l’illégalité de cet acte est susceptible d’être régularisé par une autorisation modificative peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation. Si une telle autorisation modificative est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. (…) « .

Sur le sursis à statuer en vue de la régularisation du vice affectant l’avis recueilli auprès de l’autorité environnementale :

2. Les dispositions précitées du 2° du I de l’article L. 181-18 du code de l’environnement permettent au juge, même pour la première fois en appel, lorsqu’il constate un vice qui entache la légalité de l’autorisation environnementale attaquée mais qui peut être régularisé par une décision modificative, de rendre un jugement avant dire droit par lequel il fixe un délai pour cette régularisation et sursoit à statuer sur le recours dont il est saisi. Le juge peut préciser, par son jugement avant dire droit, les modalités de cette régularisation, qui implique l’intervention d’une décision corrigeant le vice dont est entachée la décision attaquée. Un vice de procédure, dont l’existence et la consistance sont appréciées au regard des règles applicables à la date de la décision attaquée, doit en principe être réparé selon les modalités prévues à cette même date. Si ces modalités ne sont pas légalement applicables, notamment du fait de l’illégalité des dispositions qui les définissent, il appartient au juge de rechercher si la régularisation peut être effectuée selon d’autres modalités, qu’il lui revient de définir en prenant en compte les finalités poursuivies par les règles qui les ont instituées et en se référant, le cas échéant, aux dispositions en vigueur à la date à laquelle il statue.

3. Par sa décision n° 400559 du 6 décembre 2017, le Conseil d’Etat, statuant au contentieux a annulé le décret du 28 avril 2016 portant réforme de l’autorité environnementale en tant qu’il maintient, au IV de l’article R. 122-6 du code de l’environnement, la désignation du préfet de région en qualité d’autorité compétente de l’Etat en matière d’environnement, en méconnaissance des objectifs énoncés au paragraphe 1 de l’article 6 de la directive du 13 décembre 2011 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement. Le vice de procédure qui résulte de ce que l’avis prévu par le III de l’article L. 122-1 du code de l’environnement a été rendu par le préfet de région en qualité d’autorité environnementale dans un cas où il était par ailleurs compétent pour autoriser le projet, ainsi que le prévoyait, à la date de la décision attaquée, l’article R. 122-6 du même code, peut être réparé par la consultation, sur le projet en cause, à titre de régularisation, d’une autorité présentant les garanties d’impartialité requises. A cette fin, si de nouvelles dispositions réglementaires ont remplacé les dispositions annulées de l’article R. 122-6 du code de l’environnement, le juge peut s’y référer. A défaut, pour fixer des modalités de régularisation permettant de garantir que l’avis sera rendu par une autorité impartiale, le juge peut notamment prévoir que l’avis sera rendu dans les conditions définies aux articles R. 122-6 à R. 122-8 et R. 122-24 du code de l’environnement par la mission régionale de l’autorité environnementale du Conseil général de l’environnement et du développement durable créée par le décret du 28 avril 2016. Cette mission est en effet une entité administrative de l’Etat séparée de l’autorité compétente pour autoriser un projet, dont il a été jugé par la décision mentionnée ci-dessus du Conseil d’Etat qu’elle dispose d’une autonomie réelle la mettant en mesure de donner un avis objectif sur les projets qui lui sont soumis dans le cadre de sa mission d’autorité environnementale.

Sur les modalités de régularisation adaptées permettant l’information du public :

4. Aux termes de l’article L. 123-1 du code de l’environnement :  » L’enquête publique a pour objet d’assurer l’information et la participation du public ainsi que la prise en compte des intérêts des tiers lors de l’élaboration des décisions susceptibles d’affecter l’environnement mentionnées à l’article L. 123-2. Les observations et propositions parvenues pendant le délai de l’enquête sont prises en considération par le maître d’ouvrage et par l’autorité compétente pour prendre la décision. « .

5. Lorsqu’un vice de procédure entache un avis qui a été soumis au public, notamment dans le cadre d’une enquête publique, préalablement à l’adoption de la décision attaquée, la régularisation implique non seulement que la procédure de consultation soit reprise, mais aussi que le nouvel avis soit porté à la connaissance du public. Il revient au juge, lorsqu’il sursoit à statuer en vue de la régularisation, de rappeler ces règles et de fournir toute précision utile sur les modalités selon lesquelles le public devra être informé et, le cas échéant, mis à même de présenter des observations et des propositions, une fois le nouvel avis émis et en fonction de son contenu.

6. Dans l’hypothèse d’une régularisation de l’avis de l’autorité environnementale mise en oeuvre dans les conditions définies au point 3 ci-dessus, le juge pourra préciser que, dans le cas où l’avis de l’autorité environnementale recueilli à titre de régularisation, qui devra être rendu en tenant compte d’éventuels changements significatifs des circonstances de fait, diffère substantiellement de celui qui avait été porté à la connaissance du public à l’occasion de l’enquête publique dont le projet a fait l’objet, une enquête publique complémentaire devra être organisée à titre de régularisation, selon les modalités prévues par les articles L. 123-14 et R. 123-23 du code de l’environnement, dans le cadre de laquelle seront soumis au public, outre l’avis recueilli à titre de régularisation, tout autre élément de nature à régulariser d’éventuels vices révélés par le nouvel avis, notamment une insuffisance de l’étude d’impact. Le juge pourra également préciser que, dans le cas où aucune modification substantielle n’aurait été apportée à l’avis, l’information du public sur le nouvel avis de l’autorité environnementale recueilli à titre de régularisation pourra prendre la forme d’une simple publication sur internet, dans les conditions prévues à l’article R. 122-7 du code de l’environnement.

7. Dans l’hypothèse où le juge, saisi d’un moyen en ce sens, constate qu’il a été procédé à une simple publication sur internet du nouvel avis de l’autorité environnementale alors qu’il apportait des modifications substantielles à l’avis initial, il lui revient, avant de statuer sur la décision attaquée, de rechercher si ce nouveau vice peut être régularisé et de prévoir le cas échéant, à cette fin, qu’une enquête publique complémentaire devra être organisée.

Sur l’annulation partielle et l’invitation à reprendre la procédure en vue de la régularisation du vice de procédure résultant du défaut d’autonomie de l’autorité environnementale :

8. Les dispositions précitées du 1° du I de l’article L. 181-18 du code de l’environnement qui prévoient l’annulation de l’une des trois phases de l’instruction de la demande définies à l’article L. 181-9 du même code, à savoir la phase d’examen, la phase d’enquête publique et la phase de décision, n’ont pas pour objet de dispenser le juge, s’il n’estime pas pouvoir surseoir à statuer en vue d’une régularisation, de prononcer l’annulation, selon le cas, de l’autorisation dans son ensemble ou d’une partie divisible de celle-ci, mais elles l’invitent à indiquer expressément dans sa décision quelle phase doit être regardée comme viciée, afin de simplifier la reprise de la procédure administrative en permettant à l’administration de s’appuyer sur les éléments non viciés pour prendre une nouvelle décision. En revanche, il n’entre pas dans son office de préciser les modalités selon lesquelles l’instruction doit être reprise, notamment dans le cas de dispositions réglementaires entachées d’illégalité ou en l’absence de dispositions applicables.

9. Le présent avis sera notifié au tribunal administratif d’Orléans. Copie en sera adressée à la société Enertrag AG, à l’association Danger de tempête sur le patrimoine rural, premier requérant dénommé et au ministre d’Etat, ministre de la transition écologique et solidaire. Il sera publié au Journal officiel de la République française.

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