Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée LB Conseils a demandé au tribunal administratif de Paris d’annuler la décision du 18 mars 2021 par laquelle la maire de Paris s’est opposée à sa déclaration préalable tendant à la modification de la devanture d’un local situé 11, rue Jeanne d’Arc à Paris (13e arrondissement), ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux.
Par un jugement n° 2118527 du 20 février 2023, le tribunal administratif de Paris a annulé ces décisions et enjoint à la maire de Paris de réexaminer la déclaration préalable de la société dans un délai de deux mois.
Procédure devant la cour :
Par une requête et par un mémoire en réplique, enregistrés les 19 avril et 8 août 2023, la Ville de Paris, représentée par la SCP Foussard-Froger, demande à la cour :
1°) d’annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 20 février 2023 ;
2°) de rejeter la demande de la société LB Conseils devant le tribunal administratif de Paris ;
3°) de mettre à la charge de la société LB Conseils le versement d’une somme de 3 000 € sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– le jugement méconnaît les dispositions de l’article R. 741-7 du code de justice administrative ;
– l’obligation de déposer un permis de construire prévue par les dispositions de l’article R. 421-14 du code de l’urbanisme s’applique en cas de modification de la façade et de changement de sous-destination ;
– la décision doit s’entendre comme opposant, non les dispositions de l’article R. 123-9 abrogé du code de l’urbanisme mais celles des articles R. 151-27 et R. 151-28 du même code, une substitution de base légale et une substitution de motif étant en tout état de cause sollicitées ;
– la nouvelle activité prévue d’agence immobilière, qui relève d’une activité commerciale, remplacera un coiffeur qui relève de l’artisanat ;
– la décision a été prise par une autorité compétente.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 juillet 2023, la société LB Conseils, représentée par Me Jobelot, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de la Ville de Paris le versement de la somme de 5 000 € sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par la Ville de Paris ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
– le code de l’urbanisme ;
– le décret n° 2015-1783 du 28 décembre 2015 ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. Gobeill,
– les conclusions de M. Doré, rapporteur public,
– les observations de Me Froger, représentant la Ville de Paris,
– et les observations de Me Laffont, substituant Me Jobelot, représentant la société LB Conseils.
Considérant ce qui suit :
1. La société LB Conseils a déposé, le 10 mars 2021, une déclaration préalable tendant à la modification de la devanture du local situé au rez-de-chaussée de l’immeuble situé 11, rue Jeanne d’Arc à Paris (13e arrondissement). Par une décision du 18 mars 2021, la maire de Paris s’est opposée à cette déclaration préalable au motif que les travaux, ayant pour effet de modifier la façade du bâtiment et comportant un changement de destination d’artisanat en commerce, nécessitaient un permis de construire. Le recours gracieux qu’elle avait formé contre cette décision le 26 avril 2021 ayant été rejeté, par une décision implicite, la société LB Conseils en a demandé l’annulation au tribunal administratif de Paris. La Ville de Paris relève appel du jugement du 20 février 2023 par lequel ce tribunal a annulé les deux décisions.
Sur la régularité du jugement contesté :
2. Si la Ville de Paris soutient que le jugement attaqué est irrégulier faute de comporter les signatures prévues à l’article R. 741-7 du code de justice administrative, il ressort de l’examen de la minute du jugement qu’elle comporte l’ensemble des signatures requises par ces dispositions. Le moyen manque en fait et doit donc être écarté.
Sur la légalité de la décision d’opposition :
3. Tout d’abord, aux termes de l’article R. 421-13 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction issue du décret du 28 décembre 2015 entrée en vigueur le 1er janvier 2016 : « Les travaux exécutés sur des constructions existantes sont dispensés de toute formalité au titre du code de l’urbanisme à l’exception : / a) Des travaux mentionnés aux articles R. 421-14 à R. 421-16, qui sont soumis à permis de construire ; / b) Des travaux mentionnés à l’article R. 421-17, qui doivent faire l’objet d’une déclaration préalable. / […] / Les changements de destination ou sous-destination de ces constructions définies aux articles R. 151-27 et R. 151-28 sont soumis à permis de construire dans les cas prévus à l’article R. 421-14 et à déclaration préalable dans les cas prévus à l’article R. 421-17. » Aux termes de l’article R. 421-14 du même code, dans sa rédaction issue du même décret : « Sont soumis à permis de construire les travaux suivants, exécutés sur des constructions existantes, à l’exception des travaux d’entretien ou de réparations ordinaires : / […] c) Les travaux ayant pour effet de modifier les structures porteuses ou la façade du bâtiment, lorsque ces travaux s’accompagnent d’un changement de destination entre les différentes destinations et sous-destinations définies aux articles R. 151-27 et R. 151-28 […]. » Aux termes de l’article R. 421-17 du même code, dans sa rédaction issue du même décret : « Doivent être précédés d’une déclaration préalable lorsqu’ils ne sont pas soumis à permis de construire en application des articles R.*421-14 à R.* 421-16 les travaux exécutés sur des constructions existantes, à l’exception des travaux d’entretien ou de réparations ordinaires, et les changements de destination des constructions existantes suivants : / […] / b) Les changements de destination d’un bâtiment existant entre les différentes destinations définies à l’article R. 151-27 ; pour l’application du présent alinéa, les locaux accessoires d’un bâtiment sont réputés avoir la même destination que le local principal et le contrôle des changements de destination ne porte pas sur les changements entre sous-destinations d’une même destination prévues à l’article R. 151-28 […]. »
4. Ensuite, l’article R. 151-27 inséré dans le même code par le décret du 28 décembre 2015 dresse désormais une liste limitée à cinq destinations, parmi lesquelles celle de « 3° Commerce et activités de service ». L’article R. 151-28 inséré dans le code par le même décret précise les sous-destinations de chacune des destinations prévues à l’article R. 151-27, dont, dans sa rédaction applicable à la date de la décision contestée : « 3° Pour la destination « commerce et activités de service » : artisanat et commerce de détail, restauration, commerce de gros, activités de services où s’effectue l’accueil d’une clientèle, cinéma, hôtels, autres hébergements touristiques. »
5. Enfin, aux termes de l’article R* 123-9 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction antérieure au 1er janvier 2016 maintenue en vigueur dans les hypothèses prévues au VI de l’article 12 du décret du 28 décembre 2015 : « Le règlement peut comprendre tout ou partie des règles suivantes : […] / Les règles édictées dans le présent article peuvent être différentes, dans une même zone, selon que les constructions sont destinées […] au commerce, à l’artisanat […]. »
6. Il résulte de l’ensemble de ces dispositions que les règles issues du décret du 28 décembre 2015 définissant les projets soumis à autorisation d’urbanisme, selon notamment qu’ils comportent ou non un changement de destination d’une construction existante, sont entrées en vigueur le 1er janvier 2016, sans qu’ait d’incidence à cet égard le maintien en vigueur, sauf décision contraire du conseil municipal ou communautaire, de l’article R. 123-9 du code de l’urbanisme dans sa rédaction antérieure au 1er janvier 2016, dans les hypothèses prévues au VI de l’article 12 du décret du 28 décembre 2015, lequel ne se rapporte qu’aux règles de fond qui peuvent, dans ces hypothèses particulières, continuer à figurer dans les plans locaux d’urbanisme et ainsi à s’appliquer aux constructions situées dans leur périmètre. Les règles soumettant les constructions à permis de construire ou déclaration préalable, dont un plan local d’urbanisme ne saurait décider et qui relèvent d’ailleurs d’un autre livre du code de l’urbanisme, sont définies, pour l’ensemble du territoire national, par les articles R. 421-14 et R. 421-17 du code de l’urbanisme, qui renvoient, depuis le 1er janvier 2016, pour déterminer les cas de changement de destination soumis à autorisation, aux destinations et sous-destinations identifiées aux articles R. 151-27 et R. 151-28 de ce code.
7. Par suite, la maire de Paris ne pouvait légalement se référer aux destinations mentionnées à l’article R. 123-9, dans sa rédaction maintenue en vigueur dans les hypothèses prévues au VI de l’article 12 du décret du 28 décembre 2015, pour apprécier le régime applicable au projet déclaré par la société LB Conseils et s’opposer à sa déclaration préalable au motif que la modification de la façade du bâtiment s’accompagnait d’un changement de destination d’artisanat en commerce.
8. Lorsqu’il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d’appréciation, sur le fondement d’un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, le juge de l’excès de pouvoir peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, sous réserve que l’intéressé ait disposé des garanties dont est assortie l’application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée. L’administration peut également faire valoir devant le juge de l’excès de pouvoir que la décision dont l’annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d’apprécier s’il résulte de l’instruction que l’administration aurait pris la même décision si elle s’était fondée initialement sur ce motif, et, dans l’affirmative, de procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu’elle ne prive pas le requérant d’une garantie procédurale liée au motif substitué.
9. Il résulte des dispositions mentionnées au point 3 que des travaux ayant pour effet de modifier les structures porteuses ou la façade d’un bâtiment sont soumis à permis de construire en cas de changement tant de la destination de ce bâtiment au sens de l’article R. 151-27 que de la sous-destination de ce même bâtiment au sens de l’article R. 151-28.
10. La Ville de Paris demande à la Cour de substituer, d’une part, à l’article R. 123-9 du code de l’urbanisme, les articles R. 151-27 et R. 151-28 comme base légale de la décision contestée et, d’autre part, au motif tiré du changement de destination, celui tiré du changement entre deux sous-destinations de l’article R. 151-28 du même code, que seraient la sous-destination « commerce » et la sous-destination « artisanat », de sorte que les travaux prévus relevaient du régime du permis de construire.
11. Toutefois, et alors que l’activité d’agence immobilière ne relève pas de la sous-destination « commerce de gros », il résulte des dispositions du 3° de l’article R. 151-28 précité que « artisanat et commerce de détail » relèvent de la même sous-destination. Il suit de là, et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les sous-destinations dont relèvent les activités de coiffeur et d’agence immobilière, que le motif invoqué par la Ville de Paris n’est pas de nature à fonder légalement la décision contestée.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la Ville de Paris n’est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé les décisions contestées.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société LB Conseils, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la Ville de Paris demande au titre des frais exposés par elle. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la Ville de Paris une somme de 1 500 € à verser à la société LB Conseils au titre des mêmes dispositions.
Décide :
Article 1er : La requête de la Ville de Paris est rejetée.
Article 2 : La Ville de Paris versera une somme de 1 500 € à la société LB Conseils au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la Ville de Paris et à la société par actions simplifiée LB Conseils.