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Antenne-relais : l’installation dans une église nécessite l’accord du « desservant » (curé) !

Cour Administrative d’Appel de Nantes

N° 12NT00939
Inédit au recueil Lebon
5ème chambre
M. ISELIN, président
M. Jean-Frédéric MILLET, rapporteur
M. DEGOMMIER, rapporteur public
BOQUET, avocat

lecture du vendredi 29 novembre 2013
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Texte intégral

Vu la requête, enregistrée le 6 avril 2012, présentée pour l’abbéA… E…, domicilié…, pour l’abbéD… B…, affectataire de l’église de Notre-Dame en Saint Melaine, domicilié…, représentée par ses mandataires dûment habilités, par Me Boquet, avocat au barreau de Rennes ; les requérants demandent à la cour :

1°) d’annuler le jugement nos 0900874, 0901716 en date du 10 février 2012 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes tendant à l’annulation des permis de construire délivrés le 5 janvier 2007 par l’adjoint délégué à l’urbanisme, au nom du maire de Rennes, à la société Bouygues Télécom et à la Société Française du Radiotéléphone (SFR) pour l’installation de deux antennes-relais de téléphonie mobile dans le clocher de l’église Notre-Dame en Saint Melaine, ainsi que des décisions de prorogation de ces permis délivrées à ces sociétés le 28 novembre 2008 ;

2°) d’annuler ces décisions pour excès de pouvoir ;

3°) de mettre à la charge solidaire de la commune de Rennes, de la société Bouygues Télécom et de la Société Française du Radiotéléphone (SFR) le versement à leur profit d’une somme de 8 000 euros au titre des frais de première instance et d’une somme de 5 000 euros au titre des frais d’appel, sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

4°) de condamner solidairement les mêmes aux entiers dépens ;

ils soutiennent que :

– la motivation du jugement est entachée de contradiction interne ; l’installation de deux antennes de téléphonie mobile consiste en l’aménagement d’un immeuble de grande hauteur, au sens de l’article R. 111-19-13 du code de la construction et de l’habitation, en vertu duquel le préfet est compétent pour délivrer une autorisation de construire dans un établissement recevant le public ; les décisions contestées sont entachées d’un second vice de procédure, la prorogation des permis litigieux étant affectée par la méconnaissance de l’article R. 423-1 du code de l’urbanisme, puisque les demandes de prorogation n’avaient pas reçu l’autorisation du curé affectataire ; si l’on voit, dans la lettre de refus de l’affectataire du 20 décembre 2008, l’expression d’un accord, cet accord, d’ailleurs conditionnel, concernait le principe d’un projet, et non une demande de permis de construire ; la prorogation est prise, en outre, dans les conditions prévues pour la délivrance du permis initial ;

– le jugement encourt l’annulation, sur la légalité interne, au visa des articles L. 425-1 et R. 421-1-1 du code de l’urbanisme, des lois du 9 décembre 1905 et du 2 janvier 1907, ainsi que de l’article L. 2124-31 du code général de la propriété des personnes publiques, en l’absence d’accord du curé affectataire ; la lettre du 24 février 2006, émanant d’un membre du conseil paroissial, était dépourvue de toute portée juridique ; le tribunal a vu la preuve de la conclusion d’un accord sur la base des conditions émises par le conseil paroissial dans les termes d’un dossier de permis de construire parfaitement ignoré de l’abbéE…, malgré l’engagement de la mairie de revenir vers la paroisse pour lui communiquer les engagements des pétitionnaires ;

– la lettre du 24 février 2006, si elle ne s’opposait pas au principe de l’installation, mentionnait toutefois des réserves et interrogations, soulignant in fine qu’un tel aménagement constituait  » des contraintes pour la Paroisse  » ; la ville de Rennes a alors informé le 1er mars 2006 le  » conseil paroissial : abbéE…  » que les observations du 24 février 2006 avaient été transmises aux opérateurs pour qu’ils transmettent leurs éléments de réponse au service immobilier de la ville et qu’il serait informé des suites données au projet ; or, l’abbé E…n’a reçu aucune information complémentaire de la ville ;

– l’examen des dossiers de demande de permis produits devant le tribunal permet seulement de constater que le projet de permis de construire confirme l’absence de nécessité de coupure des cloches pendant les opérations de maintenance ; ce dossier n’a jamais été communiqué, pour accord, à l’abbéE… ; au surplus, ce dernier n’a jamais été avisé du dépôt de la demande de permis de construire ; si les permis ont été accordés aux société Bouygues Télécom et SFR le 5 janvier 2007, ils sont demeurés inconnus de l’abbé, leur affichage n’ayant été effectué que sur les grilles de l’ancien rectorat d’académie, situé place Saint-Melaine ; l’énoncé des permis et de leur prorogation intervenue le 28 novembre 2008 était vague, puisqu’il se bornait à viser l’installation d’une antenne de téléphonie mobile sur un plancher créé dans un bâtiment existant ;

– les fins de non recevoir opposées aux demandes de première instance, jugées infondées par le rapporteur public, n’ont pas été examinées par le tribunal administratif ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 17 octobre 2012, présenté pour la ville de Rennes, représentée par son maire en exercice, à ce dûment habilité par délibération du conseil municipal du 31 mars 2008, par la SELARL Olive-Azincourt, cabinet d’avocats, qui conclut au rejet de la requête et à ce que la somme d’un euro symbolique soit mise à la charge de chacun des requérants, au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

elle soutient que :

– la requête est irrecevable, dès lors que les appelants se bornent à demander l’annulation des permis de construire, sans demander expressément l’annulation du jugement ; qu’ils ne peuvent plus modifier leurs conclusions, la requête d’appel datant de plus de deux mois ;

– s’agissant de la légalité externe, les dispositions de l’article R. 423-1 du code de l’urbanisme ne trouvent pas à s’appliquer, les permis initiaux ayant été délivrés le 5 janvier 2007, soit avant l’entrée en vigueur de ces dispositions, le 1er octobre 2007 ; le dossier de demande de permis déposé par Bouygues Télécom respectait les dispositions de l’article R. 421-1-1 du code de l’urbanisme relatives à l’identité du pétitionnaire ;

– le moyen tiré de la méconnaissance de l’article R. 111-19-13 du code de la construction et de l’habitat doit être écarté ; l’article 8 du décret n° 2007/1327 du 11 septembre 2007 exclut de son champ d’application les demandes de permis de construire déposées, comme en l’espèce, avant le 1er octobre 2007 ; en outre, le projet d’installation d’antennes de téléphonie mobile ne consiste pas en l’aménagement ou la modification d’un immeuble de grande hauteur, au sens de ces dispositions ;

– s’agissant de la légalité interne, si, en vertu des dispositions de l’article L. 2124-31 du code général de la propriété des personnes publiques, l’utilisation de parties affectées au culte doit être autorisée par l’affectataire, il en va différemment de l’utilisation des parties qui ne sont pas affectées au culte ; les antennes litigieuses seront situées dans le clocher, lieu inaccessible au public et non affecté au culte ; la fréquence des interventions de maintenance n’aura pas pour effet d’empêcher le bon fonctionnement des cloches, qui n’ont pas qu’une activité cultuelle, mais aussi civile ;

– en tout état de cause, le conseil paroissial, sous la présidence de l’abbéE…, a bien donné son accord sur le projet d’installation le 24 février 2006 ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 31 octobre 2012, présenté pour les requérants, qui tendent aux mêmes fins que leur requête, par les mêmes moyens ;

ils soutiennent, en outre, que :

– la requête d’appel précise, en objet et page 8 in fine, qu’il convient d’annuler le jugement attaqué ; l’annulation des permis devait faire l’objet d’une demande dans le cadre de l’effet dévolutif de l’appel ; la fin de non recevoir présentée par la ville de Rennes doit, dès lors, être écartée ;

– au fond, dans le cas précis d’un clocher, les cloches sont affectées aux manifestations cultuelles, puisqu’elles les annoncent ; peu importe qu’elles puissent, dans des circonstances exceptionnelles, faire l’objet d’une réquisition ; dans sa décision du 20 juin 2012 (n° 340648) concernant l’église des Saintes Maries de la Mer, le Conseil d’Etat a jugé que l’affectation cultuelle d’une église s’applique à l’ensemble de l’édifice, y compris ses dépendances nécessaires, fonctionnellement indissociables de l’édifice cultuel ; si la haute juridiction a estimé, en l’espèce, que la toiture et le chemin de ronde de cette église, d’architecture particulière, présentaient des éléments fonctionnellement dissociables de cet édifice cultuel, il en va différemment pour l’église Notre Dame en Saint Melaine, puisque le clocher est situé à l’intérieur de l’église, de sorte qu’il faut d’abord rentrer dans l’édifice pour accéder au clocher ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 7 décembre 2012, présenté pour la Société Française du Radiotéléphone (SFR), dont le siège social est situé 42, avenue de Friedland à Paris (75008), représentée par ses représentants légaux, par Me Dupuis-Toubolet MeG…, avocats au barreau de Paris ; la société SFR conclut au rejet de la requête et à ce qu’une somme de 5 000 euros soit mise à la charge des appelants en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

elle soutient que :

– s’agissant de la légalité externe des décisions litigieuses, les dispositions des articles R. 111-19-13 et R. 122-2 du code de la construction et de l’habitat (CCH) ne sont pas applicables au projet de SFR, sa demande de permis ayant été déposée le 1er août 2006, soit bien avant le 1er octobre 2007 et les églises n’étant pas classées au nombre des immeubles de grande hauteur par l’article R. 122-5 du CCH ; les dispositions invoquées de l’article R. 423-1 du code de l’urbanisme ne sont pas davantage applicables, dès lors qu’elles sont entrées en vigueur le 1er octobre 2007, soit postérieurement à la délivrance du permis de construire ;

– s’agissant de leur légalité interne, le projet de SFR consiste dans l’implantation d’antennes relais dans un clocher qui n’est pas affecté au culte et qui est inaccessible au public ; dès lors, les dispositions de l’article L. 2124-31 du CGPPP ne s’appliquaient pas au projet et le curé affectataire n’avait pas à donner son accord ; au demeurant, l’accord, à le supposer requis, n’était enfermé dans aucune procédure particulière ; l’abbé E…a bien consenti au projet d’installation de la station relais, dès lors que la lettre du 24 février 2006 précise que  » le principe d’un aménagement radio dans le clocher ne fait pas l’objet d’une opposition  » ;

Vu le mémoire enregistré le 20 décembre 2012, présenté pour l’abbéE…, l’Association diocésaine de Rennes et l’abbé B…qui tendent aux mêmes fins que leur requête par les mêmes moyens ;

ils soutiennent, en outre, que :

– ils sont également fondés à invoquer les dispositions de l’article R. 122-11-1 du CCH d’où il résulte que l’autorisation de travaux sur les immeubles de grande hauteur, prévue à l’article L. 122-1, est délivrée par le préfet ;

– il n’y a jamais eu d’accord ; le curé affectataire pouvait difficilement approuver ce qu’il ignorait, tout comme il ignorait les permis et leur prorogation à la date du 20 décembre 2008, date à laquelle il a opposé une claire décision de refus ; le clocher, de même notamment que la sacristie ou la crypte, sont affectés à l’exercice du culte, alors même que ces parties ne sont pas fréquentées par le public ;

Vu la décision du 18 février 2013, par laquelle le président de la 5ème chambre a, en application de l’article R. 613-1 du code de justice administrative, fixé la clôture de l’instruction au 18 mars 2013 à 12 heures ;

Vu le mémoire, enregistré le 11 mars 2013, présenté pour la Ville de Rennes qui conclut au rejet de la requête par les mêmes moyens ;
elle soutient, en outre, que :

– les articles L. 125-1 et R. 421-1 du code de l’urbanisme n’ont pas été méconnus ; le clocher est un lieu inaccessible au public et non affecté au culte ; l’abbé E…a été consulté par la ville de Rennes le 10 février 2006 sur les projets de mise en place d’antennes relais ; il a sollicité l’avis du conseil aux affaires économiques de la paroisse placé sous son autorité ; le 24 février suivant, le conseil paroissial a fait part de sa  » non opposition  » aux projets en cause ; le contenu de cette lettre, aux termes sans équivoques, est d’ailleurs retranscrit aux dossiers de demande de permis de construire ; la ville de Rennes a informé l’abbé E…que ses observations avaient été prises en compte et transmises aux pétitionnaires ; il ne peut donc être soutenu que ce dernier ignorait les termes du dossier ;

– l’abbé n’est jamais revenu sur son accord ; alors même qu’il admettait dans son courrier du 20 décembre 2008 avoir accepté les projets des opérateurs de téléphonie, il ne saurait revenir désormais sur cet accord, sans compromettre la sécurité juridique ;

Vu le mémoire enregistré le 13 mars 2013 présenté pour les requérants qui tendent aux mêmes fins que leur requête, par les mêmes moyens ;

ils soutiennent, en outre, que :

– la ville de Rennes méconnait les termes du dossier lorsqu’elle affirme que l’abbé E…n’est pas revenu sur son accord en janvier 2007, à la date des permis de construire délivrés ; il résulte de l’exposé des faits qu’il n’était informé, ni des permis délivrés, ni même de la constitution du dossier de permis de construire et du dépôt de ce dossier ; le curé affectataire n’a été interrogé que sur un projet de principe, alors que son accord n’aurait été valable que s’il avait été donné de sa propre main sur un dossier de permis de construire ; l’abbé E…n’a pu, dans sa lettre du 20 décembre 2008, à la fois admettre qu’il avait accepté un projet d’installation et refuser le même projet ;

– les permis de construire accordés le 5 janvier 2007 ne respectaient pas les exigences de l’article R. 421-1-1 du code de l’urbanisme, à défaut de justification d’un titre régulier habilitant les pétitionnaires à construire sur le terrain ; il fallait, en effet, l’accord préalable du curé affectataire et non pas un avis du conseil paroissial ; le fait que l’article R. 421-1-1 ne soit plus en vigueur ne change pas l’argumentation des requérants, puisque ces dispositions sont reprises à l’article R. 423-1 dudit code ;

– le tribunal a dénaturé la lettre du 20 décembre 2008 aux termes de laquelle l’abbé E…a expliqué que la lettre du 24 février 2006 n’avait d’autre objet que demander des informations complémentaires ; l’abbé y a exprimé son refus, en s’appropriant l’opposition exprimée par le conseil paroissial du 23 octobre 2008, laquelle ne valait pas connaissance acquise des décisions litigieuses ; la lettre du 11 février 2009 de l’adjoint au maire, en réponse à la lettre de l’abbéE…, motive le maintien du projet d’installation d’antennes relais, sans souffler mot de l’existence d’un permis de construire, en prétextant la non-affectation du clocher à l’exercice du culte ; l’abbé E…a réitéré son désaccord le 18 février suivant ;

Vu l’ordonnance du 18 mars 2013 par laquelle le président de la 5ème chambre reporte la date de la clôture d’instruction au 8 avril 2013 à 12 heures ;

Vu l’ordonnance du 17 septembre 2013 portant réouverture de l’instruction, en application de l’article R. 613-4 du code de justice administrative ;
Vu le mémoire, enregistré le 18 septembre 2013, présenté pour l’abbé E…et autres qui tendent aux mêmes fins que la requête, par les mêmes moyens ;

il soutiennent, en outre, que :

– conformément aux lois canoniques, visées expressément par ses statuts, l’association diocésaine a comme organe délibérant essentiel, non l’assemblée générale, qui exerce diverses attributions financières, mais le conseil d’administration, au sein duquel s’exerce la prééminence de l’Evêque, titulaire du pouvoir de gouvernement ordinaire ; le conseil d’administration a les pouvoirs de gestion les plus larges ;

– il n’y a pas lieu de remettre en cause la procédure engagée et poursuivie par l’association diocésaine de Rennes ;

Vu le mémoire, enregistré le 19 septembre 2013, présenté pour l’abbé E…et autres qui concluent au non lieu à statuer sur l’appel, les permis de construire litigieux étant de plein droit privés de tout effet par le classement de l’église Notre-Dame en Saint Melaine parmi les monuments historiques depuis le 2 juillet 2013 ;

Vu le mémoire en production de pièces, enregistré le 25 septembre 2013, présenté pour l’abbé E…et autres ;

Vu le mémoire, enregistré le 30 septembre 2013, présenté pour la société SFR qui demande en conséquence que soit constaté le désistement d’action des requérants, et à ce qu’une somme de 5 000 euros soit mise à leur charge au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les mémoires, enregistrés les 30 septembre 2013, et 7 octobre 2013, présentés pour l’abbé E…et autres, qui persistent à titre principal dans leurs conclusions à fin d’annulation des permis de construire litigieux, par les mêmes moyens, sous réserve de l’appréciation de la cour sur les conséquences à tirer du classement de l’église Notre-Dame en Saint Melaine ;

– ils précisent qu’ils n’entendent pas se désister de leur requête ;

Vu le mémoire, enregistré le 11 octobre 2013, présenté pour l’abbé E…et autres qui concluent aux mêmes fins que leur requête à fin d’annulation, par les mêmes moyens, et à ce que soit mise, en outre, à la charge solidaire des intimées une somme de 8 000 euros au titre des frais exposés en appel et non compris dans les dépens ;

Vu les mémoires, enregistrés les 11 octobre et 4 novembre 2013, présentés pour la ville de Rennes qui conclut, à titre principal, à ce qu’il soit donné acte du désistement de la requête de l’abbé E…et autres, dès lors que des conclusions à fin de non lieu équivalent à un désistement, et, à titre subsidiaire, au rejet de leur requête, par les mêmes moyens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi du 9 décembre 1905 modifiée concernant la séparation des Eglises et de l’Etat ;

Vu la loi du 2 janvier 1907 concernant l’exercice public du culte ;

Vu le code de l’urbanisme ;

Vu le code de la construction et de l’habitat ;

Vu le code général de la propriété des personnes publiques ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 8 novembre 2013 :

– le rapport de M. Millet, président-assesseur ;

– les conclusions de M. Degommier, rapporteur public ;

– les observations de Me Boquet, avocat de l’abbé E…et autres ;

– les observations de MeC…, substituant Me Olive, avocat de la Ville de Rennes ;

– et les observations de Me Hamri, avocat de la société Bouygues Télécom

1. Considérant que par arrêtés du 5 janvier 2007, le maire de Rennes a délivré à la société Bouygues Télécom, d’une part, et à la Société Française du Radiotéléphone (SFR), d’autre part, des permis de construire portant sur l’implantation d’antennes relais de téléphonie mobile à l’intérieur du clocher de l’église Notre-Dame en Saint Melaine ; que par arrêtés du 28 novembre 2008, le maire a prorogé d’une année ces permis de construire ; que l’abbéE…, affectataire de l’église Notre-Dame en Saint Melaine, l’abbéB…, son successeur désigné à compter du 1er septembre 2009, et l’association diocésaine de Rennes interjettent appel du jugement en date du 10 février 2012 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes tendant à l’annulation de ces permis et prorogations ;

Sur les conclusions de la ville de Rennes tendant à ce qu’il soit donné acte du désistement de la requête :

2. Considérant que, dans le dernier état de leurs écritures, les requérants maintiennent intégralement leurs conclusions à fin d’annulation du jugement attaqué et des décisions contestées ; que, dans ces conditions, les conclusions de la Ville de Rennes tendant à ce qu’il soit donné acte du désistement de la requête ne peuvent en tout état de cause, qu’être rejetées ;

Sur la fin de non recevoir opposée par la ville de Rennes à la requête :

3. Considérant que suivant les dispositions de l’article R. 411-1 du code de justice administrative, la requête doit comporter l’exposé des faits et moyens, ainsi que l’énoncé des conclusions soumises au juge ; qu’il ressort des pièces du dossier, et notamment des mentions contenues dans la requête, que l’abbéE…, l’abbé B…et l’association diocésaine de Rennes ne se sont pas bornés à demander l’annulation des permis de construire et des prorogations contestées, mais ont également présenté des conclusions expresses tendant à l’annulation du jugement attaqué du 10 février 2012 ; que, par suite, la fin de non recevoir opposée à la requête par la ville de Rennes doit être écartée ;

Sur les fins de non recevoir opposées par la ville de Rennes, la société Bouygues Télécom et la société SFR aux demandes de première instance :

4. Considérant, en premier lieu, que l’intérêt pour agir s’apprécie à la date d’introduction de la requête ; qu’il ressort des pièces des dossiers que l’abbé B…a été nommé par l’archevêque de Rennes, à compter du 1er septembre 2009, curé de la paroisse de Notre-Dame de Bonne Nouvelle, affectataire de l’église de Notre-Dame en Saint Melaine, à la place de l’abbé E…qui avait, avec l’association diocésaine de Rennes, introduit l’action contre les permis litigieux par demandes des 25 février et 8 avril 2009 ; que le changement ainsi intervenu au sein de l’église Notre-Dame en Saint Melaine n’a pas affecté rétroactivement la recevabilité des demandes adressées au tribunal administratif par l’abbéE…, en dépit de la présence ultérieure de son successeur aux instances en cours ; qu’en informant le tribunal administratif, par mémoire du 9 octobre 2009, de sa volonté de poursuivre l’action engagée par l’abbéE…, l’abbé B…ne s’est, en aucune manière, désisté des demandes présentées par l’abbéE… ; qu’il était fondé à poursuivre, en sa qualité, l’action introduite devant le tribunal par son prédécesseur ; qu’ainsi, l’abbéB…, nouveau titulaire des droits que lui conférait sa nomination comme desservant de l’église Notre-Dame en Saint Melaine, disposait, au même titre que l’abbéE…, de la qualité pour agir aux instances, et ce, alors même que l’association diocésaine de Rennes ne justifierait pas d’un tel intérêt pour agir ; que, par suite, les fins de non recevoir, tirées de ce que le tribunal aurait du donner acte du désistement d’instance et d’action de l’abbé E…et déclarer irrecevable la  » reprise d’instance  » de l’abbéB…, doivent être écartées ;

5. Considérant, en deuxième lieu, qu’il ressort des justificatifs joints au dossier n° 0900874 que l’abbé E…et l’association diocésaine de Rennes ont notifié leur demande de première instance dirigée contre le permis de construire et la prorogation accordés à la société Bouygues Télécom le 26 février 2009 à la ville de Rennes et à cette société ; qu’ils ont notifié leur demande dirigée contre le permis de construire et la prorogation délivrés à la société SFR le 8 avril 2009 à la ville comme à cette société ; que, par suite, les requérants ont accompli les formalités imposées par les dispositions des articles R. 411-7 du code de justice administrative et R. 600-1 du code de l’urbanisme ; que le refus d’accord donné par l’abbé E…le 20 décembre 2008 à l’installation des antennes relais, qui ne tend ni à l’annulation, ni au retrait des permis de construire et des prorogations contestés, ne présente pas, eu égard à son contenu, le caractère d’un  » recours gracieux  » qui aurait dû faire l’objet d’une notification au titre des mêmes dispositions ; qu’en outre, en informant le tribunal de sa volonté de poursuivre l’action engagée par l’abbéE…, l’abbé B…n’a pas introduit une requête nouvelle qui aurait dû faire l’objet de la notification imposée par ces dispositions ; que, par suite, les fins de non recevoir tirées de ce chef par la ville de Rennes et les sociétés intimées ne peuvent qu’être écartées ;

6. Considérant, en troisième lieu, que si la société SFR soutient que l’affichage du permis initial a été régulièrement effectué sur le terrain pendant une période de deux mois du 25 juillet au 25 septembre 2007, de sorte que la demande dirigée contre le permis du 5 janvier 2007 serait tardive, il ressort des pièces du dossier que cet affichage a été seulement effectué sur les grilles de l’ancien rectorat d’académie situé sur un terrain voisin, place Saint-Melaine ; qu’il n’est pas établi qu’un affichage n’aurait pas pu être réalisé sur le terrain d’assiette de manière visible, notamment sur la balustrade de l’escalier desservant l’église ; que la publicité ainsi effectuée n’a pu faire courir le délai de recours contentieux ; que, par suite, la demande présentée par les requérants n’était pas tardive ; que ni la réunion du conseil paroissial du 23 octobre 2008, ni le refus d’accord du 20 décembre 2008, lequel ne présentait pas le caractère d’un recours administratif, ne sont de nature à établir que les requérants auraient eu connaissance des décisions contestées, de sorte que leurs demandes auraient été atteintes de forclusion ;

Sur les conclusions à fin d’annulation :

7. Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article R. 421-1-1 du code de l’urbanisme en vigueur à la date des permis contestés :  » La demande de permis de construire est présentée soit par le propriétaire du terrain ou son mandataire, soit par une personne justifiant d’un titre l’habilitant à construire sur le terrain soit par une personne ayant qualité pour bénéficier de l’expropriation dudit terrain pour cause d’utilité publique. La demande précise l’identité du demandeur, l’identité et la qualité de l’auteur du projet, la situation et la superficie du terrain, l’identité de son propriétaire au cas où celui-ci n’est pas l’auteur de la demande, la nature des travaux et la destination des constructions. Lorsque la construction est subordonnée à une autorisation d’occupation du domaine public, l’autorisation est jointe à la demande de permis de construire  » et qu’aux termes de l’article 26 du décret n° 2007-18 du 5 janvier 2007 :  » Les demandes de permis de construire et d’autorisations prévues par le code de l’urbanisme déposées avant le 1er octobre 2007 demeurent…  » ;

8. Considérant, d’autre part, qu’en vertu des dispositions combinées des lois susvisées du 9 décembre 1905 et du 2 janvier 1907, en l’absence d’associations cultuelles et d’actes administratifs attribuant la jouissance des églises et des meubles les garnissant, ces biens sont laissés à la disposition des fidèles et des desservants ; que leur occupation doit avoir lieu conformément aux règles d’organisation générale du culte et que les ministres du culte occupant les édifices sont chargés d’en régler l’usage de manière à assurer aux fidèles la pratique de leur religion ;

9. Considérant, enfin, qu’aux termes de l’article L. 2124-31 du code général de la propriété des personnes publiques :  » Lorsque la visite de parties d’édifices affectés au culte, notamment de celles où sont exposés des objets mobiliers classés ou inscrits, justifie des modalités particulières d’organisation, leur accès est subordonné à l’accord de l’affectataire. Il en va de même en cas d’utilisation de ces édifices pour des activités compatibles avec l’affectation cultuelle. L’accord précise les conditions et les modalités de cet accès ou de cette utilisation. Cet accès ou cette utilisation donne lieu, le cas échéant, au versement d’une redevance domaniale dont le produit peut être partagé entre la collectivité propriétaire et l’affectataire  » ;

10. Considérant qu’il résulte de la combinaison de ces dispositions que le maire de la ville de Rennes devait nécessairement et préalablement à la délivrance des permis de construire en litige, s’assurer de l’accord de l’affectataire prévu par les dispositions de l’article L. 2124-31 précité, au projet d’implantation des antennes relais de téléphonie mobile dans le clocher de l’église Notre-Dame en Saint Melaine, dès lors que ce clocher, alors même qu’il aurait été inaccessible au public, faisait partie intégrante de l’édifice, dont il n’est pas dissociable, et était affecté à l’exercice du culte ;

11. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que, consulté par la ville de Rennes sur les projets des sociétés pétitionnaires le 10 février 2006, l’abbé E…a sollicité l’avis du conseil aux affaires économiques de la paroisse qu’il préside ; que par courrier du 24 février 2006, qui n’est pas signé par le desservant, le conseil paroissial a fait part au maire de Rennes de ses observations sur le dossier qui lui avait été transmis et a indiqué à ce dernier que  » le principe d’un aménagement radio dans le clocher ne fait pas l’objet d’une opposition mais il convient aussi de souligner qu’il constitue des contraintes pour la paroisse  » ; que par télécopie du 1er mars 2006, le service immobilier de la direction générale des services techniques de la ville de Rennes a informé l’abbé E…de ce que les observations du conseil aux affaires économiques de la paroisse concernant le projet d’implantation de relais de téléphonie mobile Bouygues Télécom et SFR dans l’église Notre-Dame en Saint Melaine  » avaient été adressées aux deux opérateurs afin qu’ils transmettent en retour au service immobilier leurs éléments de réponse an vue de présenter ce dossier comportant l’avis du conseil aux affaires paroissiales sous votre présidence (…) à un prochain groupe de travail  » ; que le 9 mars 2006, les éléments de réponse fournis par les sociétés Bouygues Télécom et SFR ont été adressés au service immobilier de la ville de Rennes qui les a aussitôt transmis par télécopie du 10 mars suivant à  » M. E…, Conseil Paroissial « , en précisant que le dossier serait prochainement examiné par le groupe de travail et qu’il serait  » informé des suites qui y seront données  » ; que, toutefois, il est constant que l’abbé E…ni n’a été informé du dépôt des demandes de permis de construire effectué le 1er août 2006, ni n’a donné son accord précisant les conditions et les modalités de l’utilisation du clocher de l’église Notre-Dame en Saint Melaine, avant la délivrance des permis de construire du 5 janvier 2007 ; qu’ainsi, en l’absence de l’accord requis par l’article L. 2124-31 du code général de la propriété des personnes publiques, le maire de la commune ne pouvait légalement délivrer les permis de construire en litige du 5 janvier 2007 ; que les arrêtés de prorogation du 28 novembre 2008 doivent être annulés par voie de conséquence ;
12. Considérant, pour l’application des dispositions de l’article L. 600-4-1 du code de l’urbanisme, qu’aucun autre moyen n’est susceptible de justifier l’annulation des décisions contestées ;
13. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que l’abbéE…, l’abbé B…et l’association diocésaine de Rennes sont fondés à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes ;

Sur les dépens :

14. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre la contribution pour l’aide juridique à la charge solidaire de la ville de Rennes, de la société Bouygues Télécom et de la société SFR ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
15. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’abbéE…, de l’abbé B…et de l’association diocésaine de Rennes, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, les sommes que demandent la ville de Rennes et la société SFR au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge solidaire de la ville de Rennes, de la société Bouygues Télécom et de la société SFR, le versement à l’abbé E…et à l’abbé B…d’une somme globale de 2 000 euros au titre des frais de même nature qu’ils ont exposés en première instance et en appel ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rennes du 10 février 2012 et les arrêtés du maire de Rennes des 5 janvier 2007 et 28 novembre 2008 sont annulés.
Article 2 : Les dépens sont mis à la charge solidaire de la ville de Rennes, de la société Bouygues Télécom et de la société SFR.
Article 3 : La ville de Rennes, la société Bouygues Télécom et la société SFR verseront solidairement à l’abbé E…et à l’abbé B…une somme globale de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la ville de Rennes et la société SFR au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à l’abbé A…E…, à l’abbé D…B…, à l’association diocésaine de Rennes, à la ville de Rennes, à la société Bouygues Télécom et à la Société Française du Radiotéléphone.

Délibéré après l’audience du 8 novembre 2013, à laquelle siégeaient :

– M. Iselin, président de chambre,
– M. Millet, président-assesseur,
– M. Durup de Baleine, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 29 novembre 2013.

Le rapporteur,
J-F. MILLETLe président,
B. ISELIN
Le greffier,
F. PERSEHAYE

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