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Aménagement commercial : pas d’urgence à suspendre une autorisation même si ouverture imminente !

CAA de BORDEAUX

N° 17BX00145   
Inédit au recueil Lebon
1ère chambre (formation à trois)
Mme GIRAULT, président
Mme Catherine GIRAULT, rapporteur
M. NORMAND, rapporteur public
CAPIAUX, avocat

lecture du mercredi 1 mars 2017

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 24 janvier 2017, la société Brico Loisirs Maison, représentée par Me Camus, avocat, demande à la cour :

1°) d’ordonner, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l’exécution de l’arrêté du 3 août 2015 par lequel le maire de Royan a délivré à la SAS La Maison du 13ème un permis de construire, en tant qu’il vaut autorisation d’exploitation commerciale pour la création d’un magasin de bricolage à l’enseigne Bricorama ;

2°) de mettre à la charge de la société La Maison du 13ème la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

La société Brico Loisirs Maison soutient que :
– elle exploite un magasin de même spécialité à environ 500 m ; son recours contre la décision de la commission départementale d’aménagement commercial a été rejeté par la commission nationale d’aménagement commercial le 29 juillet 2015 ;
– sur l’urgence, les travaux sont dans un état d’avancement significatif ; le projet de la société Bricorama, qui porte sur une surface de vente de 6 752 m2, c’est-à-dire qui dispose d’une surface de vente de plus du double de son précédent magasin – 2900 m2 – aura un effet très impactant sur son point de vente avec le risque de le mettre en péril et d’entraîner la suppression de plusieurs emplois dans les mois suivant l’ouverture du projet au public ;
– sur les moyens de nature à créer un doute sérieux :
– la société La Maison du 13eme ne justifie pas d’un engagement ferme de commercialisation du bâtiment existant, elle ne démontre pas qu’il ne va pas devenir une friche commerciale ;
– les aires de parking en evergreen ne peuvent être assimilées à des espaces verts dès lors que, même si elles sont qualifiées de  » perméables », elles induisent l’introduction dans le sol de dalles alvéolaires pour stabiliser les emplacements de stationnement, ce qui signifie bien une artificialisation des sols ; leur prise en compte est donc entachée d’erreur manifeste d’appréciation ;
– le projet n’est pas compatible avec les dispositions du SCOT prévoyant de limiter les places de stationnement à une pour 40 m² de surface de vente, auxquelles le plan local d’urbanisme de Royan n’a pu déroger en exigeant une place pour 20 m²;
– l’attractivité du futur magasin va considérablement augmenter le trafic routier, notamment sur la rue André-Marie Ampère et les voies adjacentes, lesquelles connaissent des difficultés de circulation aux jours et heures de grande affluence. La précédente décision de la CNAC avait retenu cette difficulté, et la cour ne l’a pas annulée dans son arrêt du 12 janvier 2017. Il n’est à l’évidence pas raisonnable de prétendre qu’une extension conséquente de la surface de vente d’un magasin existant (+125%) puisse ne générer qu’un flux routier supplémentaire limité (+15°/o),étant de plus précisé que si le bâtiment existant venait à être acquis par l’enseigne GIFI, il en résulterait un flux routier complémentaire non évoqué dans le dossier soumis à la CNAC. La desserte du projet n’est ni adaptée, ni sécurisée. Les aménagements réalisés rue Ampère (mise en place de  » céder le passage  » ainsi qu’indiqué dans le dossier) ne sauraient être regardés comme suffisants, ce alors qu’un giratoire était préconisé et est indispensable à la réalisation du projet ;
– les prescriptions du permis sur les aménagements de voirie à réaliser sont imprécises, donc illégales ;
– le projet ne peut être considéré comme desservi par les transports collectifs ;
– il est consommateur d’espace et générateur d’imperméabilisation du sol.

Par des mémoires et pièces enregistrés les 20 et 22 février 2017, la commune de Royan conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la société Brico Loisirs Maison d’une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :
– l’urgence n’est pas avérée alors que la demanderesse se borne à faire état de l’avancement des travaux, ce qui n’est pas suffisant pour une contestation de l’autorisation d’exploitation commerciale ; la société n’a d’ailleurs sollicité la suspension du permis que plus d’un an après sa demande d’annulation au fond ; au demeurant le dossier de fond a fait l’objet d’une clôture d’instruction en décembre 2016, ce qui permet d’envisager qu’il soit statué dans un bref délai ;
– aucun moyen n’est sérieux : le risque de création d’une friche n’est pas établi alors que la société GIFI a fait part de son intérêt pour la reprise du bâtiment actuel en 2014 ; le moyen tiré de la prétendue méconnaissance des orientations du SCOT en matière de stationnement est irrecevable en vertu de l’article L. 600-4-1 du code de l’urbanisme, car il porte sur l’autorisation de construire ; au demeurant, il ne s’agit que de recommandations, qui ne seraient opposables qu’après transposition dans un plan local d’urbanisme ; le plan local d’urbanisme approuvé en dernier lieu le 13 mars 2014 ne pouvait prendre en compte cette orientation du SCOT adoptée le 20 octobre 2014 ; le projet, en prévoyant 272 places, dont 105 en evergreen, pour 5 220 m² de surface de vente, respecte le PLU et le SCOT ; il réintroduit une certaine perméabilisation des sols en créant des espaces verts et plantant des arbres ; les places en evergreen sont traitées à part ; la mise en place de cédez-le-passage rue Ampère va fluidifier le trafic et le giratoire envisagé est abandonné, le projet de révision du plan local d’urbanisme renonçant à l’emplacement réservé ; au demeurant le trafic ne devrait pas connaître d’augmentation importante ; la requérante est irrecevable à critiquer l’imprécision de la prescription du permis, laquelle relève seulement de l’autorisation de construire ; le site est désormais desservi par la ligne 10 du réseau d’agglomération Cara’bus, et accessible par une bande cyclable depuis le centre-ville ; le projet réhabilite une friche et son bilan est positif en termes de développement durable ;

Par un mémoire enregistré le 22 février 2017, et des pièces enregistrées le même jour, la SAS La Maison du 13eme conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la société Brico Loisirs Maison d’une somme de 3 000 euros au bénéfice de la société Bricorama France et de la société La Maison du 13eme au titre des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :
– la condition d’urgence n’est pas remplie dès lors que le bâtiment est hors d’eau et hors d’air, comme en atteste un constat d’huissier ; en outre, elle doit continuer à être appréciée au regard des conséquences économiques pour le concurrent, lesquelles ne sont pas démontrées en l’espèce ; la création du nouveau magasin ne va pas supprimer des emplois mais en créer une dizaine ;
– l’engagement de la société GIFI en 2014 suffit à écarter le risque de friche commerciale, qui ne peut à lui seul invalider le projet ;
– l’orientation n°11 du SCOT n’est qu’une simple recommandation, de valeur prescriptive inférieure au PLU, et le projet, qui prévoit de réduire l’imperméabilisation des sols en créant 105 places de stationnement engazonnées sur 272, est compatible avec ces orientations;
-les aménagements routiers réalisés ont pris en compte un accroissement du flux de trafic, qui n’a pas été sous-estimé ; l’accroissement de surface est surtout destiné au confort des consommateurs et ne générera qu’un accroissement limité du trafic, compte tenu du foisonnement avec les commerces de la zone ;
– le moyen tiré du caractère insuffisamment précis de la prescription du permis de construire relative aux aménagements de la rue Ampère est irrecevable, car cette prescription se rattache à l’autorisation de construire ; au demeurant, les aménagements réalisés sont suffisants ;
-un nouvel arrêt de bus a été créé à 50 m du projet sur la ligne 10, avec 10 rotations par jour, et le site est accessible aux cycles et piétons par cheminements sécurisés ;
-le projet améliore la perméabilité du sol et apporte des espaces verts et des arbres ;

Vu :
– la décision attaquée ;
– la requête au fond, enregistrée le 2 octobre 2015, sous le n°15BX03194 présentée par la société Brico Loisirs Maison contre le permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale attaqué ;
– les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code de commerce ;
– le code de l’urbanisme ;
– le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

– le rapport de Mme Catherine Girault,
– les conclusions de M. Nicolas Normand, rapporteur public,
– les observations de MeA…, pour la société Brico Loisirs Maison, qui reprend les éléments de son mémoire et souligne, sur l’urgence, que la circonstance que le gros oeuvre soit achevé ne signifie pas que les aménagements tant intérieurs qu’extérieurs le soient, que le pétitionnaire n’a pas communiqué sur le calendrier d’ouverture du magasin, que l’étude routière prend en compte un  » transfert de la clientèle  » du magasin situé à 600 mètres, et sur les moyens, que la simple lettre d’intention datant de 2014 de la société GIFI, enseigne notoirement en lien avec Bricorama, est insuffisante pour justifier l’absence de risque de création d’une friche commerciale, qu’aucun élément chiffré ne justifie une augmentation de trafic envisagée de seulement 15%, que les aménagements routiers sont insuffisants alors qu’un giratoire était nécessaire pour la sécurité des usagers ;
– les observations de MeC…, pour la commune de Royan, qui souligne l’absence d’urgence alors qu’aucune date d’ouverture n’est annoncée, que les aménagements intérieurs et extérieurs restent à faire, que les travaux de voirie doivent être réalisés dans les prochaines semaines, et indique sur les moyens qu’il est normal que l’enseigne GIFI ne souhaite pas s’engager avant que les recours soient purgés dans la présente affaire, que la desserte du projet telle que repensée après un premier refus de la CNAC a reçu un avis favorable de la DDTM, des ministres et de la CNAC, et que la prescription du permis de construire, qui porte sur la réalisation des tourne-à-gauche rue Ampère, est usuellement mise à la charge des bénéficiaires, va être prochainement mise en oeuvre, et ne peut être critiquée par un concurrent commercial, qui est irrecevable à contester les dispositions constructives relevant de l’urbanisme ;
– et les observations de MeB…, pour la société La Maison du 13ème et la SAS Bricorama France, qui indique, sur l’urgence, que l’ouverture du magasin n’est pas imminente, la communication publicitaire n’étant pas lancée, que le magasin Mr Bricolage ne représente pas 2900 m² mais 4650 m² de surface de vente ainsi que mentionné dans le rapport d’instruction de la CNAC, que la société ne justifie en rien de l’impact de la modernisation du Bricorama sur sa propre exploitation en se bornant à de simples affirmations, et sur les moyens, que les prescriptions en matière de voirie sont suffisantes et seront réalisées prochainement et ne peuvent être critiquées par un concurrent commercial.
Vu la note en délibéré, présentée le 24 février 2017 pour la commune de Royan ;

Considérant ce qui suit :

1. Saisie d’une demande de la société La Maison du 13ème portant sur la création dans la zone d’activité Royan 2 d’un magasin de bricolage, par déplacement de 100 mètres et extension d’un magasin existant à l’enseigne Bricorama, pour une surface de vente portée de 2 900 à 6 752 m², la commission départementale d’aménagement commercial de la Charente-Maritime a, le 8 avril 2015, accordé une autorisation valant avis favorable à ce projet. Le recours de la société Brico Loisirs Maison, qui exploite un supermarché à l’enseigne Mr Bricolage de 4650 m² de surface de vente dans la même commune, ayant été rejeté le 29 juillet 2015 par la Commission nationale d’aménagement commercial, le maire de Royan a délivré un permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale à la SNC La Maison du 13ème le 3 août 2015. La société Brico Loisirs Maison, qui a demandé le 2 octobre 2015 à la cour d’annuler cette décision, demande par la présente requête la suspension de son exécution.
2. Si la commune de Royan et la société La Maison du 13ème ont produit des constats d’huissier des 10 février et 22 février 2017 indiquant que le bâtiment objet du permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale est clos et couvert, cette circonstance n’est pas de nature à rendre sans objet la requête, qui porte sur la suspension de l’autorisation d’exploitation commerciale comprise dans le permis de construire contesté. Par suite, il y a lieu de se prononcer sur cette demande.

Sur les conclusions à fin de suspension :

3. Aux termes de l’article L. 521-1 du code de justice administrative :  » Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision  » .

4. Aux termes de l’article L.600-1-4 du code de l’urbanisme :  » Lorsqu’il est saisi par une personne mentionnée à l’article L. 752-17 du code de commerce d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre le permis de construire mentionné à l’article L. 425-4 du présent code, le juge administratif ne peut être saisi de conclusions tendant à l’annulation de ce permis qu’en tant qu’il tient lieu d’autorisation d’exploitation commerciale. Les moyens relatifs à la régularité de ce permis en tant qu’il vaut autorisation de construire sont irrecevables à l’appui de telles conclusions.  »

5. Dès lors qu’il résulte de ces dispositions que le concurrent commercial n’est recevable à demander l’annulation, et par suite la suspension, du permis de construire qu’en tant qu’il vaut autorisation d’exploitation commerciale, il lui appartient, pour justifier de l’urgence, d’apporter les éléments objectifs et précis de nature à démontrer, notamment, la gravité de l’atteinte portée à sa situation économique – qui peut être différente selon qu’il s’agit de l’exploitant d’une petite entreprise de commerce particulièrement exposée à cette concurrence nouvelle ou au contraire d’une société de grande distribution déjà fortement implantée – ou aux intérêts publics en cause . Ainsi, ni l’imminence de l’ouverture au public du magasin ou du centre commercial autorisés, ni la perspective d’une concurrence accrue entre grandes surfaces ne peuvent à elles seules caractériser une situation d’urgence.

6. Il résulte de ces principes que pour justifier l’urgence, la société requérante ne peut utilement se prévaloir de la présomption attachée en matière de permis de construire à l’engagement des travaux et à leur inachèvement. Par ailleurs, elle se borne à faire valoir que le projet de la société Bricorama, portant sur une surface de vente de 6 752 m2, soit plus du double du magasin précédent qui disposait d’une surface de 2 900 m2, aura un effet significatif sur son chiffre d’affaires et risque d’entraîner la suppression de plusieurs emplois dans les mois suivant l’ouverture du projet au public. Toutefois, ces allégations ne sont assorties d’aucun élément de nature à justifier la gravité des conséquences de l’agrandissement du magasin Bricorama sur la situation économique du magasin Mr Bricolage, qui dispose de 4 650 m² de surface de vente et relève ainsi de la grande distribution. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que l’ouverture au public du magasin serait imminente, alors que s’il ressort des photographies produites que les travaux de gros oeuvre sont dans un état d’avancement significatif, les aménagements des parcs de stationnement ne sont pas faits, non plus que ceux destinés à fluidifier le trafic dans les rues environnantes. Enfin, la société n’invoque aucun intérêt public pour justifier l’urgence à suspendre l’exécution du permis de construire en tant qu’il vaut autorisation d’exploitation commerciale. Dans ces conditions, et nonobstant la proximité des deux magasins, la condition d’urgence n’est pas remplie et la requête ne peut qu’être rejetée.

Sur les conclusions au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative :

7. Dans les circonstances de l’espèce, il n’y pas lieu de faire droit aux conclusions des parties présentées sur le fondement de ces dispositions.

DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Brico Loisirs Maison est rejetée.
Article 2 : Les conclusions des sociétés La Maison du 13ème et Bricorama France et de la commune de Royan au titre des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Brico Loisirs Maison, à la société La Maison du 13ème, à la société Bricorama France et à la commune de Royan.

Délibéré après l’audience du 23 février 2017 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, président,
M. Jean-Claude Pauziès, président-assesseur,
M. Paul-André Braud, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 1er mars 2017.

Le président-assesseur,
Jean-Claude PAUZIÈSLe président-rapporteur,
Catherine GIRAULT
Le greffier,
Vanessa BEUZELIN

La République mande et ordonne au ministre de l’économie et des finances en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution du présent arrêt.

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