Cour administrative d’appel
N° 11BX00899
Inédit au recueil Lebon
1ère chambre – formation à 3
Mme GIRAULT, président
Mme Sabrina LADOIRE, rapporteur
Mme MEGE, rapporteur public
DE LAGAUSIE, avocat
lecture du jeudi 27 juin 2013
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Texte intégral
Vu la requête, enregistrée le 11 avril 2011, présentée pour le comité de quartier Croix de Pierre, dont le siège est 2 rue Lafage à Toulouse (31300), par la SCP Gravellier-Lief de Lagausie, société d’avocats ;
Le comité de quartier Croix de Pierre demande à la cour :
1°) d’annuler le jugement n° 0703407 du 10 février 2011 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la délibération du 1er mars 2007 par laquelle le conseil municipal de Toulouse a approuvé la première modification de son plan local d’urbanisme et la décision du 9 juillet 2007 par laquelle le préfet de la Haute-Garonne a rejeté son recours administratif présenté le 4 mai 2007 ;
2°) d’annuler, pour excès de pouvoir, cette délibération et la décision du 9 juillet 2007 par laquelle le préfet de la Haute-Garonne a rejeté son recours ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Toulouse une somme de 5 000 euros au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code de l’urbanisme ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 30 mai 2013 :
– le rapport de Mme Sabrina Ladoire, conseiller ;
– les conclusions de Mme Christine Mège, rapporteur public ;
– et les observations de Me de Lagausie, avocat du comité de quartier Croix de Pierre ;
1. Considérant que par une délibération du 1er mars 2007, le conseil municipal de Toulouse a approuvé la première modification de son plan local d’urbanisme adopté peu de temps auparavant le 17 février 2006 ; que le comité de quartier Croix de Pierre, opposé au projet d’aménagement du quartier de la rue de l’Oasis qui, selon cette modification, devrait accueillir, à l’emplacement d’un ancien site industriel endommagé à l’occasion de l’explosion de l’usine AZF, une zone d’habitation abritant plus de 300 logements sur environ un hectare, a demandé au préfet de la Haute-Garonne, par recours présenté le 4 mai 2007, de déférer cette délibération en tant qu’elle approuve le graphique de détails de l’opération Oasis ; que le comité de quartier Croix de Pierre demande l’annulation de cette délibération du 1er mars 2007 et de la décision du 9 juillet 2007 par laquelle le préfet de la Haute-Garonne a rejeté son recours administratif dirigé contre le graphique de détail concernant le secteur de l’Oasis ;
Sur la recevabilité de la demande :
2. Considérant qu’eu égard à ses statuts, le comité de quartier Croix de Pierre n’a intérêt à agir contre la délibération approuvant le plan local d’urbanisme modifié de Toulouse qu’en tant qu’elle concerne le quartier qu’il a pour vocation de défendre, lequel inclut le secteur concerné par le » graphique de détail » dit de l’Oasis qui comporte des dispositions règlementaires dérogatoires à celles applicables dans la zone UB2 où il se situe ; que cette association n’est donc recevable, comme le soutenait la commune de Toulouse en première instance, à demander l’annulation de ladite délibération qu’en tant qu’elle approuve ledit graphique de détail ;
Sur la légalité des décisions attaquées :
En ce qui concerne le recours à la procédure de modification du plan local d’urbanisme :
3. Considérant qu’aux termes de l’article L.123-13 du code de l’urbanisme : » Le plan local d’urbanisme est modifié ou révisé par délibération du conseil municipal après enquête publique. / La procédure de modification est utilisée à condition que la modification envisagée : a) Ne porte pas atteinte à l’économie générale du projet d’aménagement et de développement durable mentionné au deuxième alinéa de l’article L. 123-1 ; b) Ne réduise pas un espace boisé classé, une zone agricole ou une zone naturelle et forestière, ou une protection édictée en raison des risques de nuisance, de la qualité des sites, des paysages ou des milieux naturels ; c) Ne comporte pas de graves risques de nuisance. (…) Dans les autres cas que ceux visés aux a, b et c, le plan local d’urbanisme peut faire l’objet d’une révision selon les modalités définies aux articles L. 123-6 à L. 123-12 (…). » ;
4. Considérant qu’il est constant que le secteur de l’Oasis sur lequel porte notamment la modification approuvée par la délibération du 1er mars 2007 se situe dans la bande des 300 mètres de la rive gauche de la Garonne et dans le secteur des 50 mètres dit de » rupture de digues » ; que l’association requérante soutient, sans être contredite, que le rapport de synthèse relatif au diagnostic des digues de la Garonne remis en 2005 fait état de 600 mètres de linéaires de digue de terre au dos du lycée Gallieni, en amont du secteur de l’Oasis, entre la rocade et le coin Sud du parc des Oustalous, et certifie le risque d’une rupture de digue dans ce secteur ; qu’il ressort ainsi des pièces du dossier que ce secteur se situe en zone inondable, comme le démontre au demeurant le plan de prévention du risque d’inondation approuvé par arrêté du préfet de la Haute-Garonne en décembre 2011 ; que si la modification approuvée le 1er mars 2007 ne modifie pas le coefficient de l’emprise au sol des constructions susceptibles d’être accueillies dans la zone et n’est donc pas de nature à occulter davantage que le plan local d’urbanisme dans sa version initiale, le couloir de circulation des eaux extra-digues, cette modification a pour finalité de permettre l’accueil, dans ce secteur, de trois cents nouveaux logements et accroît ainsi substantiellement le nombre d’habitants exposés à un risque d’inondation ; que les constructions dont le plan local d’urbanisme prévoit l’accueil doivent en outre être érigées, selon les allégations de l’association requérante non contredites par la commune de Toulouse, sur un remblai d’au moins quatre mètres de hauteur sur une surface de plus de 10 000 mètres carrés, lequel est susceptible de dévier le cours des eaux de crue en cas de rupture de digue ; que dans ces conditions, le projet est susceptible de créer de graves risques de nuisance et ne pouvait dès lors être adopté selon la procédure de modification, en méconnaissance des dispositions précitées du c) de l’article L.123-13 du code de l’urbanisme ;
En ce qui concerne le recours au » graphique de détail » :
5. Considérant qu’aux termes de l’article R. 123-12 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction applicable à la date de la délibération attaquée : » Les documents graphiques prévus à l’article R. 123-11 font également apparaître, s’il y a lieu : (…) 4° Dans les zones U et AU, les secteurs pour lesquels un plan de masse coté à trois dimensions définit des règles spéciales. » ; que l’article 3.5. du règlement du plan local d’urbanisme modifié de Toulouse énonce que les dispositions à prendre en compte sont celles applicables à la zone considérée auxquelles se substituent éventuellement les dispositions particulières des graphiques de détails ;
6. Considérant qu’il appartient aux auteurs d’un plan d’urbanisme de fixer avec clarté et précision les règles applicables aux secteurs qu’ils délimitent ; que s’ils entendent déroger pour certains secteurs aux règles générales applicables dans la zone dans laquelle ils sont insérés, une telle dérogation doit résulter de façon apparente des dispositions ainsi adoptées ;
7. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que le graphique de détail applicable à la zone de l’Oasis se borne à figurer l’emplacement des constructions en forme de » peigne » à implanter le long de la Garonne, dans le prolongement d’une barre de près de 40 mètres de haut, et à indiquer sur chacune la cote NGF maximum qui serait autorisée, qui va en diminuant au fur et à mesure que l’on se rapproche de la zone d’habitat individuel de l’Oasis ; que ces dispositions ne sont pas assimilables à un plan coté à trois dimensions, dès lors qu’elles ne permettent par elles-mêmes de connaître ni la hauteur des constructions, ni leurs dimensions ; que la hauteur du terrain naturel n’est en effet pas indiquée sur ce document, dépourvu de légende et qui semble indiquer au pied de chaque immeuble la cote du terrain NGF après remblai, et reste au demeurant incertaine au vu des informations contradictoires figurant au dossier, alors que la nécessité d’un remblai d’au moins quatre mètres n’est pas contestée par la commune ; que la circonstance que la hauteur des constructions pourrait être déduite par calcul, à supposer connus ces éléments, et atteindrait en l’espèce entre 15,5 mètres, correspondant à la hauteur maximum autorisée en zone UB2, et 36 mètres, soit quatre à douze étages, n’est pas de nature à suppléer l’absence de toute règle directement lisible sur le » graphique de détail » ; qu’ainsi, le comité de quartier Croix de Pierre est fondé à soutenir que les dispositions de l’article R.123-12 du code de l’urbanisme ont été méconnues ;
En ce qui concerne la prise en compte des objectifs des plans locaux d’urbanisme :
8. Considérant que selon l’article L.121-1 du code de l’urbanisme : » Les schémas de cohérence territoriale, les plans locaux d’urbanisme et les cartes communales déterminent les conditions permettant d’assurer : (…) 3° Une utilisation économe et équilibrée des espaces naturels, urbains, périurbains et ruraux, la maîtrise des besoins de déplacement et de la circulation automobile, la préservation de la qualité de l’air, de l’eau, du sol et du sous-sol, des écosystèmes, des espaces verts, des milieux, sites et paysages naturels ou urbains, la réduction des nuisances sonores, la sauvegarde des ensembles urbains remarquables et du patrimoine bâti, la prévention des risques naturels prévisibles, des risques technologiques, des pollutions et des nuisances de toute nature. » ;
9. Considérant que, par sa décision n° 2000-436 DC du 7 décembre 2000, le Conseil constitutionnel a jugé que ces dispositions n’étaient pas contraires aux articles 34 et 72 de la Constitution sous réserve qu’elles soient interprétées comme imposant seulement aux auteurs des documents d’urbanisme d’y faire figurer des mesures tendant à la réalisation des objectifs qu’elles énoncent et que, en conséquence, le juge administratif exerce un simple contrôle de compatibilité entre les règles fixées par ces documents et les dispositions précitées de l’article L. 121-1 du code l’urbanisme ;
10. Considérant qu’il résulte du 3°) de cet article que, contrairement à ce que soutient la commune, la maîtrise des besoins de déplacement et de la circulation automobile est au nombre des éléments que le plan local d’urbanisme doit prendre en compte lorsqu’il envisage la densification urbaine d’un secteur, alors même que ces considérations doivent également être examinées au stade des permis de construire ; qu’il ressort des plans versés au dossier que la modification en litige, qui engendrerait un flux supplémentaire d’au moins trois cents véhicules par jour, n’a cependant prévu aucun aménagement en termes de voirie routière, une seule entrée-sortie étant prévue par le graphique de détail sur la petite rue de l’Oasis dont l’accès est fermé par deux feux de circulation cadencés pour laisser passer trois véhicules toutes les 55 secondes ; qu’il résulte au demeurant du procès-verbal de la délibération attaquée que le maire a reconnu la nécessité d’une étude des flux de circulation, laquelle n’avait donc pas été préalablement menée ; que dans ces conditions, la modification en litige, qui ne fait figurer aucune mesure tendant à la maîtrise des besoins de déplacement et de la circulation automobile, et n’allègue pas qu’elle aurait été inutile au regard de l’ampleur du projet, n’apparaît pas compatible avec les objectifs énoncés par les dispositions du 3° de l’article L.121-1 du code de l’urbanisme ;
En ce qui concerne l’information des conseillers municipaux :
11. Considérant qu’aux termes de l’article L.2121-12 du code général des collectivités territoriales : » Dans les communes de 3 500 habitants et plus, une note explicative de synthèse sur les affaires soumises à délibération doit être adressée avec la convocation aux membres du conseil municipal. » ;
12. Considérant qu’en s’abstenant de préciser que le graphique de détail applicable à la rue de l’Oasis permettait un doublement de la hauteur des immeubles autorisée en zone UB2, alors que ce type d’information figurait au demeurant pour d’autres zones modifiées moins substantiellement par le plan local d’urbanisme, la note explicative de synthèse a privé les conseillers municipaux d’un élément essentiel à l’appréciation de la portée des règles adoptées ; que par suite le comité de quartier Croix de Pierre est également fondé à soutenir que la délibération en litige méconnaît sur ce point les dispositions précitées du code général des collectivités territoriales ;
13. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement, que le comité de quartier Croix de Pierre est fondé à demander l’annulation du jugement attaqué, de la délibération du conseil municipal de Toulouse du 1er mars 2007 en tant qu’elle porte sur le graphique de détail du secteur de l’Oasis et de la décision du préfet de la Haute-Garonne du 9 juillet 2007 refusant de faire droit à sa demande de provoquer le retrait de ce graphique ; que pour l’application de l’article L.600-4-1 du code de l’urbanisme, aucun des autres moyens invoqués n’est de nature à fonder l’annulation de la délibération attaquée en tant qu’elle porte sur le graphique de détail du secteur de l’Oasis ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative :
14. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce qu’il soit fait droit aux conclusions présentées sur leur fondement par la commune de Toulouse et la communauté urbaine du Grand Toulouse, parties perdantes dans la présente instance ;
15. Considérant qu’il y a lieu, en application de ces dispositions, de mettre à la charge de la commune de Toulouse une somme de 1 500 euros à verser au comité de quartier Croix de Pierre au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 10 février 2011, la délibération du conseil municipal de Toulouse du 1er mars 2007 en tant qu’elle porte sur le graphique de détail du secteur de l’Oasis et la décision du préfet de la Haute-Garonne du 9 juillet 2007 sont annulés.
Article 2 : La commune de Toulouse versera une somme de 1 500 euros au comité de quartier Croix de Pierre au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions du comité de quartier Croix de Pierre est rejeté.
Article 4 : Les conclusions de la commune de Toulouse et de la Communauté urbaine du Grand Toulouse tendant au bénéfice des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.