Les dernières nouvelles

Déchets sur un terrain : subsidiarité de la responsabilité du propriétaire

Conseil d’État

N° 354188
ECLI:FR:CESSR:2013:354188.20130301
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
6ème et 1ère sous-sections réunies
Mme Sophie Roussel, rapporteur
M. Xavier de Lesquen, rapporteur public
SCP DEFRENOIS, LEVIS ; SCP NICOLAY, DE LANOUVELLE, HANNOTIN, avocats


lecture du vendredi 1 mars 2013

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Texte intégral

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 21 novembre 2011 et 20 février 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la société Natiocrédimurs, dont le siège est au 46/52, rue Arago à Puteaux (92800), et la société Finamur, dont le siège est au 1-3, rue Passeur de Boulogne à Issy-les-Moulineaux (92861) ; les sociétés requérantes demandent au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt n° 09LY00514 du 20 septembre 2011 de la cour administrative d’appel de Lyon en tant qu’il a, à la demande de la commune d’Issoire, d’une part, annulé le jugement n° 0701719-0702148 du 4 décembre 2008 en ce qu’il avait annulé les dispositions des arrêtés du maire d’Issoire des 27 juillet et 16 octobre 2007 leur faisant injonction de prendre les mesures nécessaires pour l’évacuation des déchets entreposés sur des terrains leur appartenant vers des filières spécialisées et prescrit qu’à défaut d’exécution, la commune ferait procéder d’office aux travaux de déblaiement précités, aux frais, risques et périls des propriétaires défaillants et, d’autre part, rejeté leurs conclusions présentées à ce titre devant le tribunal administratif ;

2°) réglant l’affaire au fond dans cette mesure, de rejeter sur ce point l’appel de la commune ;

3°) de mettre à la charge de la commune d’Issoire la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la directive 2006/12/CE du 5 avril 2006 ;

Vu la directive 2008/98/CE du 19 novembre 2008 ;

Vu le code de l’environnement ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Sophie Roussel, Auditeur,

– les observations de la SCP Defrenois, Levis, avocat de la société Natiocrédimurs, et de la société Finamur et de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la commune d’Issoire,

– les conclusions de M. Xavier de Lesquen, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Defrenois, Levis, avocat de la société Natiocrédimurs et de la société Finamur, et à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la commune d’Issoire ;




1. Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article 1er de la directive 2006/12/CE du 5 avril 2006 relative aux déchets :  » Aux fins de la présente directive, on entend par : / (…) b) producteur : toute personne dont l’activité a produit des déchets (« producteur initial « ) et / ou toute personne qui a effectué des opérations de prétraitement, de mélange ou autres conduisant à un changement de nature ou de composition de ces déchets ; / c) détenteur : le producteur des déchets ou la personne physique ou morale qui a les déchets en sa possession (…)  » ; qu’aux termes de l’article 8 de cette directive :  » Les Etats membres prennent les dispositions nécessaires pour que tout détenteur de déchets : / a) les remette à un ramasseur privé ou public ou à une entreprise qui effectue les opérations visées aux annexes II A ou II B ou / b) en assure lui-même la valorisation ou l’élimination en se conformant aux dispositions de la présente directive (…)  » ; que, suivant l’article 15 de la même directive :  » Conformément au principe du « pollueur-payeur », le coût de l’élimination des déchets doit être supporté par : / a) le détenteur qui remet des déchets à un ramasseur ou à une entreprise visée à l’article 9, / et/ou b) les détenteurs antérieurs ou le producteur du produit générateur de déchets  » ;

2. Considérant, d’autre part, que les articles L. 541-1 à L. 541-3 du code de l’environnement ont assuré la transposition des dispositions précitées de la directive 2006/12/CE ; que selon l’article L. 541-2 de ce code, dans sa rédaction en vigueur à la date de l’arrêté litigieux :  » Toute personne qui produit ou détient des déchets dans des conditions de nature à produire des effets nocifs sur le sol, la flore et la faune, à dégrader les sites ou les paysages, à polluer l’air ou les eaux, à engendrer des bruits et des odeurs et, d’une façon générale, à porter atteinte à la santé de l’homme et à l’environnement, est tenue d’en assurer ou d’en faire assurer l’élimination conformément aux dispositions du présent chapitre, dans des conditions propres à éviter lesdits effets. / L’élimination des déchets comporte les opérations de collecte, transport, stockage, tri et traitement nécessaires à la récupération des éléments et matériaux réutilisables ou de l’énergie, ainsi qu’au dépôt ou au rejet dans le milieu naturel de tous autres produits dans des conditions propres à éviter les nuisances mentionnées à l’alinéa précédent  » ; qu’aux termes de l’article L. 541-3 du même code, dans sa rédaction applicable au litige :  » En cas de pollution des sols, de risque de pollution des sols, ou au cas où des déchets sont abandonnés, déposés ou traités contrairement aux prescriptions du présent chapitre et des règlements pris pour leur application, l’autorité titulaire du pouvoir de police peut, après mise en demeure, assurer d’office l’exécution des travaux nécessaires aux frais du responsable (…)  » ;

3. Considérant que le responsable des déchets au sens de l’article L. 541-3 du code de l’environnement, tel qu’interprété à la lumière des dispositions précitées de la directive du 5 avril 2006, s’entend des seuls producteurs ou autres détenteurs des déchets ; que si, en l’absence de tout producteur ou tout autre détenteur connu de déchets, le propriétaire du terrain sur lequel ont été entreposés ces déchets peut être regardé comme leur détenteur au sens de l’article L. 541-2 du code de l’environnement, notamment s’il a fait preuve de négligence à l’égard d’abandons sur son terrain, et être de ce fait assujetti à l’obligation d’éliminer ces déchets, la responsabilité du propriétaire du terrain au titre de la police des déchets ne revêt qu’un caractère subsidiaire par rapport à celle encourue par le producteur ou les autres détenteurs de ces déchets et peut être recherchée s’il apparaît que tout autre détenteur de ces déchets est inconnu ou a disparu ;

4. Considérant qu’il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que, par acte notarié du 11 mai 1999, les sociétés Natiocrédimurs et Ucabail Immobilier, aux droits de laquelle vient désormais la société Finamur, ont conclu un contrat de crédit-bail immobilier avec la société anonyme Repol pour l’acquisition et le financement de la construction d’un ensemble immobilier à usage industriel situé sur le parc industriel et technologique de Lavaur, sur le territoire de la commune d’Issoire (Puy-de-Dôme) ; que la société anonyme Repol et la société sous-locataire TBI, filiales de la société anonyme TBI Holding, ont commencé à exploiter le site édifié, pour la fabrication de polyols-polyester par transformation de bouteilles en plastique recyclées, à la fin du premier semestre de l’année 2000 ; qu’à la suite d’un incendie et d’une explosion survenus le 29 juillet 2002 et ayant gravement endommagé les bâtiments et installations de l’ensemble immobilier, le maire d’Issoire a adressé, le 27 juillet 2007, aux sociétés propriétaires du site, une mise en demeure d’une part, de procéder à la démolition des installations concernées et, d’autre part, de prendre les mesures nécessaires à l’évacuation des déchets présents sur le site vers des filières d’élimination spécialisées, sur le fondement des dispositions de l’article L. 541-3 du code de l’environnement citées au point 2 ; que ces demandes n’ayant pas été suivies d’effet, le maire a adressé auxdits propriétaires un nouvel arrêté du 16 octobre 2007, renouvelant cette mise en demeure et prescrivant qu’à défaut d’exécution de cet arrêté, la commune ferait procéder d’office aux mesures prescrites, aux frais et risques des sociétés concernées ; que, par un jugement du 4 décembre 2008, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a annulé, à la demande des sociétés Natiocrédimurs et Finamur, ces deux arrêtés ; que par les articles 3 et 4 de l’arrêt attaqué du 20 septembre 2011, la cour administrative d’appel de Lyon a annulé ce jugement en tant qu’il avait annulé les dispositions de ces arrêtés relatives à la police des déchets et rejeté la demande des sociétés Natiocrédimurs et Finamur tendant à leur annulation ;

5. Considérant que, pour juger que le maire avait pu légalement mettre ces sociétés en demeure de prendre les mesures nécessaires à l’évacuation des déchets situés sur ce terrain, la cour s’est fondée sur la circonstance qu’elles devaient être regardées, en leur seule qualité de propriétaires du terrain sur lequel avaient été stockés les déchets produits par la société chargée de l’exploitation du site, comme détentrices de ces déchets au sens des dispositions citées ci-dessus de l’article L. 541-2 du code de l’environnement, après avoir écarté comme inopérante la circonstance que la société chargée de l’exploitation du site, productrice de ces déchets, était connue ; qu’il résulte de ce qui a été dit au point 3 que la cour a, ce faisant, commis une erreur de droit ;

6. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, les sociétés Natiocrédimurs et Finamur sont fondées à demander l’annulation de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon du 20 septembre 2011 en tant que, après avoir réformé le jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 4 décembre 2008, il a rejeté leur demande tendant à l’annulation des dispositions des arrêtés des 27 juillet et 16 octobre 2007 relatives à la police des déchets ;

7. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’il soit fait droit aux conclusions présentées à ce titre par la commune d’Issoire ; qu’en revanche il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de cette commune la somme de 1 500 euros à verser respectivement à la société Natiocrédimurs et à la société Finamur ;





D E C I D E :
————–
Article 1er : Les articles 3 et 4 de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon du 20 septembre 2011 sont annulés.

Article 2 : L’affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d’appel de Lyon.

Article 3 : La commune d’Issoire versera à la société Natiocrédimurs et à la société Finamur une somme de 1 500 euros chacune au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de la commune d’Issoire présentées au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Natiocrédimurs, à la société Finamur et à la commune d’Issoire.
Copie en sera adressée à la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

Regardez aussi !

Réseau souterrain de télécommunication : au fait, à qui appartient les fourreaux et les infrastructures de réseaux de télécommunications ?

Arrêt rendu par Conseil d’Etat 18-03-2024 n° 470162 Texte intégral : Vu la procédure suivante …