Vu la procédure suivante :
Mme B. A. a demandé au tribunal administratif de Marseille d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du 2 août 2019 par lequel le maire de Rognes a délivré à la société civile de construction vente Cave de Rognes un permis de construire un ensemble de logements avec commerces et parkings, ainsi que la décision du 20 octobre 2020 par laquelle le maire de Rognes a rejeté sa demande tendant au retrait de cet arrêté. Par un jugement n° 2009737 du 7 mars 2022, le tribunal administratif de Marseille a rejeté cette demande.
Par un arrêt n° 22MA01328 du 27 avril 2023, la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté l’appel formé par Mme A. contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés le 27 juin 2023, le 27 septembre 2023 et le 25 octobre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, Mme A. demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler cet arrêt ;
2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre solidairement à la charge de la commune de Rognes et de la société Cave de Rognes la somme de 4 000 € au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code des relations entre le public et l’administration ;
– le code de l’urbanisme ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Thomas Godmez, maître des requêtes en service extraordinaire,
– les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de Mme A., à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la commune de Rognes et à Me Corlay, avocat de la société Cave de Rognes ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 2 août 2019, le maire de Rognes a délivré à la société Cave de Rognes un permis de construire un ensemble de logements avec commerces et parking. Par un courrier du 29 septembre 2020, Mme A., voisine immédiate du projet, a demandé au maire de Rognes le retrait de cet arrêté au motif qu’il aurait été obtenu par fraude. Par un courrier du 20 octobre 2020, le maire de Rognes a rejeté cette demande. Mme A. a demandé au tribunal administratif de Marseille d’annuler, d’une part, l’arrêté du 2 août 2019 et, d’autre part, la décision du 20 octobre 2020. Par un jugement du 7 mars 2022, le tribunal administratif de Marseille a rejeté cette demande. Par un arrêt du 27 avril 2023, la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté l’appel formé par Mme A. contre ce jugement au motif, d’une part, que le recours pour excès de pouvoir formé par Mme A. contre l’arrêté du 2 août 2019 était tardif et, d’autre part, que les moyens soulevés à l’appui des conclusions dirigées contre la décision du 20 octobre 2020 n’étaient pas fondés. Mme A. se pourvoit en cassation contre cet arrêt.
Sur l’arrêt, en tant qu’il se prononce sur les conclusions dirigées contre l’arrêté du 2 août 2019 :
2. L’article R. 600-2 du code de l’urbanisme dispose que : « Le délai de recours contentieux à l’encontre d’une décision de non-opposition à une déclaration préalable ou d’un permis de construire, d’aménager ou de démolir court à l’égard des tiers à compter du premier jour d’une période continue de deux mois d’affichage sur le terrain des pièces mentionnées à l’article R. 424-15 ». Aux termes de l’article R. 424-15 du même code : « Mention du permis explicite ou tacite ou de la déclaration préalable doit être affichée sur le terrain, de manière visible de l’extérieur, par les soins de son bénéficiaire, dès la notification de l’arrêté ou dès la date à laquelle le permis tacite ou la décision de non-opposition à la déclaration préalable est acquis et pendant toute la durée du chantier. / […] Un arrêté du ministre chargé de l’urbanisme règle le contenu et les formes de l’affichage ». L’article A. 424-16 du même code dispose que le panneau assurant cet affichage « indique le nom, la raison sociale ou la dénomination sociale du bénéficiaire, le nom de l’architecte auteur du projet architecture, la date de la délivrance, le numéro du permis, la nature du projet et la superficie du terrain ainsi que l’adresse de la mairie où le dossier peut être consulté. / Il indique également, en fonction de la nature du projet : / a) Si le projet prévoit des constructions, la surface du plancher autorisé ainsi que la hauteur de la ou des constructions, exprimée en mètres par rapport au sol naturel ; / […] ».
3. En imposant que figurent sur le panneau d’affichage du permis de construire diverses informations sur les caractéristiques de la construction projetée, dont la hauteur du bâtiment par rapport au sol naturel, les dispositions rappelées au point précédent ont pour objet de permettre aux tiers, à la seule lecture de ce panneau, d’apprécier l’importance et la consistance du projet, le délai de recours ne commençant à courir qu’à la date d’un affichage complet et régulier. L’affichage ne peut être regardé comme complet et régulier si la mention de la hauteur fait défaut ou si elle est affectée d’une erreur substantielle, alors qu’aucune autre indication ne permet aux tiers d’estimer cette hauteur. Pour apprécier si la mention de la hauteur de la construction figurant sur le panneau d’affichage est affectée d’une erreur substantielle, il convient de se référer à la hauteur maximale de la construction par rapport au sol naturel telle qu’elle ressort de la demande de permis de construire. La hauteur mentionnée peut toujours être celle au point le plus haut de la construction. Elle peut également être, lorsque le règlement du plan local d’urbanisme se réfère, pour l’application des dispositions relatives à la hauteur maximale des constructions, à un autre point, tel que l’égout du toit, la hauteur à cet autre point. La circonstance que l’affichage ne précise pas cette référence ne peut, dans un tel cas, permettre de regarder cette mention comme affectée d’une erreur substantielle.
4. Pour apprécier si la mention de la hauteur de la construction en cause figurant sur le panneau d’affichage était affectée d’une erreur substantielle, la cour s’est en l’espèce référée à l’article UA 10 du règlement du plan local d’urbanisme de la commune de Rognes, qui dispose que la hauteur maximale des constructions, mesurée verticalement à l’égout du toit par rapport au sol naturel, ne peut excéder 9,50 mètres. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent qu’en jugeant que la hauteur maximale de 9,50 mètres mentionnée sur le panneau d’affichage du permis de construire n’était pas affectée d’une erreur substantielle dès lors que la hauteur maximale du projet ressortant de la demande de permis de construire n’excédait pas la hauteur maximale mesurée conformément à la règle ainsi fixée, la cour n’a pas commis d’erreur de droit.
Sur l’arrêt, en tant qu’il se prononce sur les conclusions dirigées contre la décision du 20 octobre 2020 :
5. Aux termes du premier alinéa de l’article L. 424-5 du code de l’urbanisme : « La décision de non-opposition à une déclaration préalable ou le permis de construire ou d’aménager ou de démolir, tacite ou explicite, ne peuvent être retirés que s’ils sont illégaux et dans le délai de trois mois suivant la date de ces décisions. Passé ce délai, la décision de non-opposition et le permis ne peuvent être retirés que sur demande expresse de leur bénéficiaire ». Aux termes de l’article L. 241-2 du code des relations entre le public et l’administration : « Par dérogation […], un acte administratif unilatéral obtenu par fraude peut être à tout moment abrogé ou retiré ».
6. Si, ainsi que le prévoit l’article L. 241-2 du code des relations entre le public et l’administration, la circonstance qu’un acte administratif a été obtenu par fraude permet à l’autorité administrative compétente de l’abroger ou de le retirer à tout moment, sans qu’y fassent obstacle, s’agissant d’un permis de construire, les dispositions de l’article L. 424-5 du code de l’urbanisme, selon lesquelles une telle décision ne peut faire l’objet d’aucun retrait, elle ne saurait, en revanche, proroger le délai du recours contentieux contre cette décision. Toutefois, un tiers justifiant d’un intérêt à agir est recevable à demander, dans le délai du recours contentieux, l’annulation de la décision par laquelle l’autorité administrative a refusé de faire usage de son pouvoir d’abroger ou de retirer un acte administratif obtenu par fraude, quelle que soit la date à laquelle il l’a saisie d’une demande à cette fin. Dans un tel cas, il incombe au juge de l’excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de vérifier la réalité de la fraude alléguée à la date du permis de construire puis, en cas de fraude, de contrôler que l’appréciation de l’administration sur l’opportunité de procéder ou non à l’abrogation ou au retrait n’est pas entachée d’erreur manifeste, compte tenu notamment de la gravité de la fraude et des atteintes aux divers intérêts publics ou privés en présence susceptibles de résulter soit du maintien de l’acte litigieux soit de son abrogation ou de son retrait.
7. En premier lieu, en jugeant que la circonstance que les informations relatives au niveau réel du terrain naturel avant travaux et les cotes altimétriques permettant de déterminer la hauteur du projet à l’égout du toit étaient différentes des mentions figurant dans un précédent dossier de demande de permis de construire pour un projet similaire ne suffisait pas, à elle seule, à établir la réalité de la faute alléguée, la cour n’a pas commis d’erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.
8. En second lieu, en jugeant que la circonstance que la commune de Rognes ne se serait pas engagée, antérieurement à la délivrance du permis de construire du 2 août 2019 et dans les conditions fixées par le code général des collectivités territoriales, à acquérir les équipements publics prévus ne saurait, en tout état de cause, suffire à caractériser l’existence de la fraude alléguée, la cour n’a pas commis d’erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.
9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A. n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque.
Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de Mme A. une somme de 1 500 € à verser à la commune de Rognes et une somme de 1 500 € à verser à la société Cave de Rognes au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Les mêmes dispositions font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de la commune de Rognes et de la société Cave de Rognes, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance.
Décide :
Article 1er : Le pourvoi de Mme A. est rejeté.
Article 2 : Mme A. versera une somme de 1 500 € à la commune de Rognes et une somme de 1 500 € à la société Cave de Rognes au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. B. A.
Copie en sera adressée à la commune de Rognes et à la société civile de construction vente Cave de Rognes.
Conseil d’Etat, 28 décembre 2024, n° 475461