Vu la procédure suivante :
La société civile de construction vente Samsud a demandé au tribunal administratif de Nice d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du 26 décembre 2016 par lequel le maire de Gorbio (Alpes-Maritimes) lui a refusé un permis de construire deux immeubles à usage d’habitation sur une parcelle située route du sanatorium au lieu-dit D. ainsi que la décision de rejet de son recours gracieux. Par un jugement n° 1702437 du 6 novembre 2019, le tribunal administratif a annulé ces deux décisions.
Par un arrêt n° 19MA05781 du 19 novembre 2020, la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté l’appel formé contre ce jugement par la commune de Gorbio.
Par un pourvoi sommaire et deux mémoires complémentaires, enregistrés les 19 janvier et 19 avril 2021 et le 17 octobre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la commune de Gorbio demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler cet arrêt ;
2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de la société Samsud une somme de 3500 € au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code de l’urbanisme ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Alain Seban, conseiller d’Etat,
– les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, au cabinet François Pinet, avocat de la commune de Gorbio et à la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat de la société Samsud ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Samsud a présenté une demande de permis de construire deux immeubles à usage d’habitation sur un terrain situé sur le territoire de la commune de Gorbio (Alpes-Maritimes). Par une décision du 26 décembre 2016, le maire de la commune a rejeté cette demande. A la demande de la société Samsud, le tribunal administratif de Nice a annulé cette décision par un jugement du 6 novembre 2019 confirmé, sur appel de la commune, par un arrêt du 19 novembre 2020 de la cour administrative d’appel de Marseille. La commune de Gorbio se pourvoit en cassation contre cet arrêt.
Sur le cadre du litige :
2. Aux termes de l’article L. 423-1 du code de l’urbanisme : « Les demandes de permis de construire, d’aménager ou de démolir et les déclarations préalables sont présentées et instruites dans les conditions et délais fixés par décret en Conseil d’Etat. / Le dossier joint à ces demandes et déclarations ne peut comprendre que les pièces nécessaires à la vérification du respect du droit de l’Union européenne, des règles relatives à l’utilisation des sols et à l’implantation, à la destination, à la nature, à l’architecture, aux dimensions et à l’assainissement des constructions et à l’aménagement de leurs abords ainsi que des dispositions relatives à la salubrité ou à la sécurité publique ou relevant d’une autre législation dans les cas prévus au chapitre V du présent titre. / […] / Aucune prolongation du délai d’instruction n’est possible en dehors des cas et conditions prévus par ce décret. / […]. » L’article L. 424-2 du même code dispose que : « Le permis est tacitement accordé si aucune décision n’est notifiée au demandeur à l’issue du délai d’instruction. / Un décret en Conseil d’Etat précise les cas dans lesquels un permis tacite ne peut être acquis. »
3. S’agissant du dépôt et de l’instruction des demandes de permis de construire, l’article R. 423-3 du code de l’urbanisme prévoit que : « Le maire affecte un numéro d’enregistrement à la demande […] et en délivre récépissé dans des conditions prévues par arrêté du ministre chargé de l’urbanisme. » L’article R. 423-4 du même code dispose que : « Le récépissé précise le numéro d’enregistrement et la date à laquelle un permis tacite doit intervenir, en application du premier alinéa de l’article L. 424-2 […]. » Aux termes de l’article R. 423-19 du même code : « Le délai d’instruction court à compter de la réception en mairie d’un dossier complet. » Aux termes de l’article R. 423-22 : « Pour l’application de la présente section, le dossier est réputé complet si l’autorité compétente n’a pas, dans le délai d’un mois à compter du dépôt du dossier en mairie, notifié au demandeur […] la liste des pièces manquantes dans les conditions prévues par les articles R. 423-38 et R. 423-41. » L’article R. 423-23 de ce code fixe les délais de droit commun, qui sont, pour un permis de construire, de deux ou trois mois selon les cas, tandis que la modification du délai de droit commun est prévue dans les seuls cas et conditions mentionnés aux articles R. 423-24 à R. 423-33 du même code. La notification de la majoration, de la prolongation ou de la suspension du délai d’instruction est régie par les articles R. 423-42 à R. 423-45 du code de l’urbanisme. L’instruction des demandes de permis de construire comporte, dans les cas et conditions prévus par la partie réglementaire du code de l’urbanisme, la consultation des personnes publiques, services ou commissions intéressés, en particulier l’architecte des Bâtiments de France, ou une enquête publique. Enfin, l’article R. 423-41 du code de l’urbanisme précise, dans sa version applicable, que : « Une demande de production de pièce manquante notifiée après la fin du délai d’un mois prévu à l’article R. 423-38 n’a pas pour effet de modifier les délais d’instruction définis aux articles R. 423-23 à R. 423-37-1 et notifiés dans les conditions prévues par les articles R. 423-42 à R. 423-49. »
4. En l’absence de dispositions expresses du code de l’urbanisme y faisant obstacle, il est loisible à l’auteur d’une demande de permis de construire d’apporter à son projet, pendant la phase d’instruction de sa demande et avant l’intervention d’une décision expresse ou tacite, des modifications qui n’en changent pas la nature, en adressant une demande en ce sens accompagnée de pièces nouvelles qui sont intégrées au dossier afin que la décision finale porte sur le projet ainsi modifié. Cette demande est en principe sans incidence sur la date de naissance d’un permis tacite déterminée en application des dispositions mentionnées ci-dessus. Toutefois, lorsque du fait de leur objet, de leur importance ou de la date à laquelle ces modifications sont présentées, leur examen ne peut être mené à bien dans le délai d’instruction, compte tenu notamment des nouvelles vérifications ou consultations qu’elles impliquent, l’autorité compétente en informe par tout moyen le pétitionnaire avant la date à laquelle serait normalement intervenue une décision tacite, en lui indiquant la date à compter de laquelle, à défaut de décision expresse, la demande modifiée sera réputée acceptée. L’administration est alors regardée comme saisie d’une nouvelle demande se substituant à la demande initiale à compter de la date de la réception par l’autorité compétente des pièces nouvelles et intégrant les modifications introduites par le pétitionnaire. Il appartient le cas échéant à l’administration d’indiquer au demandeur dans le délai d’un mois prévu par l’article R. 423-38 du code de l’urbanisme les pièces manquantes nécessaire à l’examen du projet ainsi modifié.
Sur le pourvoi :
5. En l’espèce, en jugeant que l’envoi par la société Samsud à la commune de Gorbio, les 27 octobre et 25 novembre 2016, de pièces nouvelles qui correspondaient à des modifications de la demande de permis de construire initiale portant, d’une part, sur l’implantation d’un ouvrage d’art et, d’autre part, sur l’insertion paysagère du parking n’était pas susceptible d’influer sur la date de naissance d’un permis tacite, le 29 novembre 2016, alors qu’il appartenait au service instructeur, dans une telle circonstance, de rechercher, ainsi qu’il a été dit au point 4, si ces modifications, compte tenu de leur objet, de leur importance ou de la date à laquelle elles ont été présentées, pouvaient être prises en compte dans le délai qui lui était imparti pour se prononcer sur la demande initiale ou, à défaut, d’informer le pétitionnaire qu’elles avaient pour effet d’ouvrir un nouveau délai d’instruction de la demande ainsi modifiée, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit. La commune de Gorbio est, par suite, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur l’autre moyen du pourvoi, fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la société Samsud la somme de 3 000 € à verser à la commune de Gorbio au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Les mêmes dispositions font, en revanche, obstacle à ce qu’une somme soit mise, à ce titre, à la charge de la commune de Gorbio, qui n’est pas la partie perdante.
Décide :
Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille du 19 novembre 2020 est annulé.
Article 2 : L’affaire est renvoyée devant la cour administrative d’appel de Marseille.
Article 3 : La société Samsud versera à la commune de Gorbio la somme de 3 000 € au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la société Samsud au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la commune de Gorbio et à la société Samsud.
Copie en sera adressée au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, à l’Association des maires de France, à la Ville de Paris, à la Fédération française du bâtiment, au Groupement de recherche sur les institutions et le droit de l’aménagement, de l’urbanisme et de l’habitat (GRIDAUH), à M. A. C. et à M. B. E.