Vu la procédure suivante :
Le département de la Charente-Maritime a demandé à la cour administrative d’appel de Bordeaux d’annuler l’arrêté du 22 octobre 2020 par lequel le préfet de la Charente-Maritime a autorisé la société Ferme éolienne de Chambon-Puyravault à installer et exploiter un parc éolien sur le territoire des communes de Chambon et Puyravault.
Par un arrêt n° 21BX00517 du 5 juillet 2022, la cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté sa requête.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 26 août et 23 novembre 2022 et le 30 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le département de la Charente-Maritime demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler cet arrêt ;
2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à sa demande ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 4 000 € au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code de l’environnement ;
– le code général des collectivités territoriales ;
– le code du tourisme ;
– le code de l’urbanisme ;
– la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 ;
– l’ordonnance n° 2014-355 du 20 mars 2014 ;
– l’ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Antoine Berger, auditeur,
– les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP L. Poulet, Odent, avocat du département de la Charente-Maritime et à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Ferme éolienne de Chambon-Puyravault ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 10 novembre 2023, présentée par le département de la Charente-Maritime ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 22 octobre 2020, le préfet de la Charente-Maritime a délivré à la société Ferme éolienne de Chambon-Puyravault une autorisation unique pour l’installation et l’exploitation d’un parc éolien sur le territoire des communes de Chambon et de Puyravault, comportant douze éoliennes et quatre postes de livraison. Par un arrêt du 5 juillet 2022, contre lequel le département de la Charente-Maritime se pourvoit en cassation, la cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté comme irrecevable sa requête tendant à l’annulation de cet arrêté.
2. En premier lieu, aux termes de l’article R. 514-3-1 du code de l’environnement : « Les décisions mentionnées aux articles L. 211-6 et L. 214-10 et au I de l’article L. 514-6 peuvent être déférées à la juridiction administrative : / 1° Par les tiers intéressés en raison des inconvénients ou des dangers que le fonctionnement de l’installation présente pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1 dans un délai de quatre mois à compter du premier jour de la publication ou de l’affichage de ces décisions […]. » L’autorisation unique litigieuse n’étant pas au nombre des décisions mentionnées par ces dispositions, le département requérant ne pouvait utilement soutenir qu’il avait la qualité de tiers intéressé au sens de ces dernières. Par suite, en s’abstenant de répondre à ce moyen inopérant, la cour administrative d’appel de Bordeaux n’a pas entaché son arrêt d’une insuffisance de motivation.
3. En deuxième lieu, en vertu du 2° de l’article 15 de l’ordonnance du 26 janvier 2017 relative à l’autorisation environnementale, les autorisations délivrées au titre de l’ordonnance du 20 mars 2014 relative à l’expérimentation d’une autorisation unique en matière d’installations classées pour la protection de l’environnement obéissent, après leur délivrance, au régime de l’autorisation environnementale, notamment en ce qui concerne les conditions dans lesquelles elles sont contestées. En application de l’article R. 181-50 du code de l’environnement, les autorisations environnementales peuvent être déférées à la juridiction administrative « par les tiers intéressés en raison des inconvénients ou des dangers pour les intérêts mentionnés à l’article L. 181-3 ». L’article L. 511-1 du même code, auquel renvoie l’article L. 181-3, vise les dangers et inconvénients « soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l’agriculture, soit pour la protection de la nature, de l’environnement et des paysages, soit pour l’utilisation économe des sols naturels, agricoles ou forestiers, soit pour l’utilisation rationnelle de l’énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique ».
4. Au sens de ces dispositions, une personne morale de droit public ne peut se voir reconnaître la qualité de tiers recevable à contester devant le juge administratif une autorisation environnementale que dans les cas où les inconvénients ou les dangers pour les intérêts visés à l’article L. 181-3 sont de nature à affecter par eux-mêmes sa situation, les intérêts dont elle a la charge et les compétences que la loi lui attribue.
5. Par l’arrêt attaqué, la cour administrative d’appel a retenu, d’une part, que le département de la Charente-Maritime ne justifie d’aucune compétence propre en matière de protection de l’environnement, des paysages ou du patrimoine, d’aménagement du territoire ou de lutte contre l’effet de serre par la maîtrise et l’utilisation rationnelle de l’énergie susceptible de lui conférer un intérêt direct à l’annulation de l’arrêté du préfet de la Charente-Maritime en date du 22 octobre 2020 et que la circonstance que le conseil départemental de la Charente-Maritime ait voté la création d’un observatoire de l’éolien et une demande de moratoire sur l’implantation de parcs éoliens sur le territoire du département est sans incidence à cet égard. Elle a retenu, d’autre part, que si le département dispose de compétences qui lui sont attribuées par la loi en matière de protection, de gestion et d’ouverture au public des espaces naturels sensibles, d’élaboration et de mise en oeuvre d’une politique touristique, laquelle comprend notamment l’élaboration d’un plan départemental des itinéraires de promenade et de randonnée, il ne justifie d’aucune atteinte que le parc éolien litigieux serait susceptible de porter aux intérêts dont il assume la charge au titre de ces compétences. La cour a aussi considéré qu’à supposer que le projet soit susceptible de porter atteinte à la commodité ou au cadre de vie des habitants de la Charente-Maritime, cette circonstance ne saurait permettre au département de justifier d’une incidence sur sa propre situation ou sur les intérêts dont il a la charge. Elle a relevé, enfin, que la compétence dont se prévaut le département en matière de promotion des solidarités et de la cohésion n’est pas au nombre des intérêts protégés par l’article L. 181-3 du code de l’environnement.
6. En jugeant, par ces motifs, compte tenu des inconvénients ou dangers pour les intérêts mentionnés à l’article L. 181-3 susceptibles d’affecter la situation du département, les intérêts dont il a la charge et les compétences que la loi lui attribue, que la requête du département de la Charente-Maritime tendant à l’annulation de l’arrêté du préfet était irrecevable, faute de justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour agir, la cour administrative d’appel de Bordeaux a, par un arrêt suffisamment motivé, exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis et n’a pas commis d’erreur de droit au regard des règles gouvernant la recevabilité des recours de plein contentieux.
7. Il résulte de tout ce qui précède que le département de la Charente-Maritime n’est pas fondé à demander l’annulation de l’arrêt qu’il attaque.
8. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise, à ce titre, à la charge solidaire de l’Etat et de la société Ferme éolienne de Chambon-Puyravault qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge du département de la Charente-Maritime la somme de 3 000 € à verser à la société Ferme éolienne de Chambon-Puyravault.
Décide :
Article 1er : Le pourvoi du département de la Charente-Maritime est rejeté.
Article 2 : Le département de la Charente-Maritime versera à la société Ferme éolienne de Chambon-Puyravault une somme de 3 000 € au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au département de la Charente-Maritime, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à la société Ferme éolienne de Chambon-Puyravault.