Vu la procédure suivante :
L’association Tarz Heol, M. et Mme A. et F. J., M. et Mme C. et H. B. et M. et Mme I. et K. D. ont demandé au tribunal administratif de Rennes d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du 8 février 2019 par lequel le maire de la commune de Ploemeur (Morbihan) a délivré à Mme G. E. un permis d’aménager un lotissement au lieu-dit Kerpape. Par un jugement n° 1901704 du 14 février 2020, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande.
Par un arrêt n° 20NT01323 du 20 juillet 2021, la cour administrative d’appel de Nantes a, sur appel de l’association Tarz Heol et autres, annulé ce jugement ainsi que l’arrêté du 8 février 2019.
1° Sous le n° 456788, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 17 septembre 2021, 16 décembre 2021 et 7 décembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, Mme E. demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler cet arrêt ;
2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter l’appel de l’association Tarz Heol et autres ;
3°) de mettre à la charge de l’association Tarz Heol et autres la somme de 3 500 € au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 456808, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 17 septembre 2021, 10 décembre 2021 et 7 décembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la commune de Ploemeur demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler cet arrêt ;
2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter l’appel de l’association Tarz Heol et autres ;
3°) de mettre à la charge de l’association Tarz Heol et autres la somme de 4 000 € au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
– le code de l’urbanisme ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de Mme Rozen Noguellou, conseillère d’Etat,
– les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Le Prado Gilbert, avocat de Mme E., à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de l’association Tarz Heol et autres, à la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la commune de Ploemeur et au cabinet François Pinet, avocat du syndicat mixte pour le schéma de cohérence territoriale du Pays de Lorient et autres ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 8 février 2019, le maire de la commune de Ploemeur (Morbihan) a délivré à Mme E. un permis d’aménager un lotissement situé au lieu-dit « Kerpape », pour la création d’une vingtaine de lots destinés à l’habitat individuel et collectif. Par un jugement du 14 février 2020, le tribunal administratif de Rennes a rejeté le recours pour excès de pouvoir formé par l’association Tarz Heol et autres contre cet arrêté. Par un arrêt du 20 juillet 2021, contre lequel Mme E. et la commune de Ploemeur se pourvoient en cassation, la cour administrative d’appel de Nantes a annulé le jugement du tribunal administratif et l’arrêté du 8 février 2019.
2. Les pourvois sont dirigés contre le même arrêt. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
Sur l’intervention du syndicat mixte pour le schéma de cohérence territoriale du Pays de Lorient, de la commune de Larmor Plage et de la communauté d’agglomération Lorient Agglomération :
3. En tant qu’il est l’auteur du schéma de cohérence territoriale déclaré illégal par l’arrêt attaqué, le syndicat mixte pour le schéma de cohérence territoriale du Pays de Lorient justifie d’un intérêt à intervenir au soutien des pourvois tendant à l’annulation de cet arrêt. Les communes de Larmor Plage et la communauté d’agglomération Lorient Agglomération, dont les territoires sont couverts par ce schéma, justifient également d’un tel intérêt. Par suite, leurs interventions sont recevables.
Sur l’arrêt en tant qu’il se prononce sur la méconnaissance de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme :
4. Aux termes du deuxième alinéa de l’article L. 121-3 du code de l’urbanisme : « Le schéma de cohérence territoriale précise, en tenant compte des paysages, de l’environnement, des particularités locales et de la capacité d’accueil du territoire, les modalités d’application des dispositions du présent chapitre. Il détermine les critères d’identification des villages, agglomérations et autres secteurs déjà urbanisés prévus à l’article L. 121-8, et en définit la localisation ». Aux termes de l’article L. 121-8 de ce code : « L’extension de l’urbanisation se réalise en continuité avec les agglomérations et villages existants. / Dans les secteurs déjà urbanisés autres que les agglomérations et villages identifiés par le schéma de cohérence territoriale et délimités par le plan local d’urbanisme, des constructions et installations peuvent être autorisées, en dehors de la bande littorale de cent mètres, des espaces proches du rivage et des rives des plans d’eau mentionnés à l’article L. 121-13, à des fins exclusives d’amélioration de l’offre de logement ou d’hébergement et d’implantation de services publics, lorsque ces constructions et installations n’ont pas pour effet d’étendre le périmètre bâti existant ni de modifier de manière significative les caractéristiques de ce bâti. Ces secteurs déjà urbanisés se distinguent des espaces d’urbanisation diffuse par, entre autres, la densité de l’urbanisation, sa continuité, sa structuration par des voies de circulation et des réseaux d’accès aux services publics de distribution d’eau potable, d’électricité, d’assainissement et de collecte de déchets, ou la présence d’équipements ou de lieux collectifs […] ».
5. Il résulte de ces dispositions qu’il appartient à l’autorité administrative chargée de se prononcer sur une demande d’autorisation d’occupation ou d’utilisation du sol de s’assurer, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, de la conformité du projet avec les dispositions du code de l’urbanisme particulières au littoral, notamment celles de l’article L. 121 8 du code de l’urbanisme qui prévoient que l’extension de l’urbanisation ne peut se réaliser qu’en continuité avec les agglomérations et villages existants. A ce titre, l’autorité administrative s’assure de la conformité d’une autorisation d’urbanisme avec l’article L. 121-8 de ce code compte tenu des dispositions du schéma de cohérence territoriale applicable, déterminant les critères d’identification des villages, agglomérations et autres secteurs déjà urbanisés et définissant leur localisation, dès lors qu’elles sont suffisamment précises et compatibles avec les dispositions législatives particulières au littoral.
6. Il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que pour juger que le permis d’aménager litigieux méconnaissait l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme, la cour administrative d’appel de Nantes n’a pas tenu compte des dispositions du schéma de cohérence territoriale du Pays de Lorient, alors que ces dispositions, invoquées devant elle, classaient expressément le lieu-dit « Kerpape » parmi les villages. Or, il résulte de ce qui est dit au point 5 que la cour devait tenir compte des dispositions de ce schéma ou, si elle entendait les écarter comme n’étant pas suffisamment précises ou comme étant incompatibles avec les dispositions particulières au littoral, devait le justifier de manière explicite. Par suite, son arrêt est entaché d’une erreur de droit.
Sur l’arrêt en tant qu’il se prononce sur la méconnaissance de l’article L. 121 13 du code de l’urbanisme :
7. Aux termes de l’article L. 121-13 du code de l’urbanisme : « L’extension limitée de l’urbanisation des espaces proches du rivage ou des rives des plans d’eau intérieurs désignés au 1° de l’article L. 321-2 du code de l’environnement est justifiée et motivée dans le plan local d’urbanisme, selon des critères liés à la configuration des lieux ou à l’accueil d’activités économiques exigeant la proximité immédiate de l’eau. / Toutefois, ces critères ne sont pas applicables lorsque l’urbanisation est conforme aux dispositions d’un schéma de cohérence territoriale ou d’un schéma d’aménagement régional ou compatible avec celles d’un schéma de mise en valeur de la mer […]».
8. Il résulte de ces dispositions ainsi que de celles de l’article L. 121-3 du même code, citées au point 4, qu’une opération conduisant à étendre l’urbanisation d’un espace proche du rivage ne peut être légalement autorisée que si elle est, d’une part, de caractère limité et, d’autre part, justifiée et motivée dans le plan local d’urbanisme selon les critères qu’elles énumèrent. Cependant, lorsqu’un schéma de cohérence territoriale comporte des dispositions suffisamment précises et compatibles avec ces dispositions législatives qui précisent les conditions de l’extension de l’urbanisation dans l’espace proche du rivage dans lequel l’opération est envisagée, le caractère limité de l’urbanisation qui résulte de cette opération s’apprécie en tenant compte de ces dispositions du schéma concerné. Doivent être regardées comme une extension de l’urbanisation au sens de ces dispositions l’ouverture à la construction de zones non urbanisées ainsi que la densification significative de zones déjà urbanisées.
9. Il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que la cour administrative d’appel de Nantes, après avoir estimé que l’intervention des Amis des chemins de ronde du Morbihan était irrecevable en ce qu’elle constituait un appel formé après l’expiration des délais de recours, a jugé que cette association était fondée à soutenir que le schéma de cohérence territoriale du pays de Lorient était incompatible avec les dispositions de l’article L. 121-13 du code de l’urbanisme. Si la cour ne pouvait se prononcer sur un moyen qui n’était soulevé que par une association dont le recours était irrecevable, il résulte de ce qui est dit au point 8 qu’il lui appartenait d’examiner la compatibilité du schéma de cohérence territoriale avec les dispositions de l’article L. 121-13 du code de l’urbanisme pour se prononcer sur le moyen tiré de la méconnaissance, par le permis d’aménager litigieux, de ces dispositions de l’article L. 121-13. Par suite, la cour n’a pas méconnu son office en examinant la compatibilité du schéma de cohérence territoriale du pays de Lorient avec les dispositions de l’article L. 121-13 du code de l’urbanisme.
10. Toutefois, pour écarter les dispositions du schéma de cohérence territoriale du pays de Lorient et pour en déduire, par suite, que le maire de Ploemeur avait lui-même fait une application inexacte des dispositions de l’article L. 121-13 du code de l’urbanisme en délivrant le permis d’aménager contesté en tenant compte de ce schéma, la cour s’est bornée à relever qu’il intégrait le lieu-dit « Kerpape » et le centre de rééducation et de réadaptation fonctionnelle à la centralité urbaine et à la zone déjà urbanisée de Kerroc’h et Lomener. En statuant ainsi, alors qu’il lui appartenait, pour déterminer s’il convenait de tenir compte des dispositions du schéma de cohérence territoriale, d’apprécier si les conditions d’utilisation du sol permises dans le secteur en cause pouvaient être regardées comme permettant une extension de l’urbanisation limitée au sens de l’article L. 121-13 du code de l’urbanisme, la cour a entaché son arrêt d’une seconde erreur de droit.
11. Il résulte de tout ce qui précède que l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes doit être annulé.
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’association Tarz Heol et autres la somme de 3 000 € à verser tant à Mme E. qu’à la commune de Ploemeur, au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de Mme E. et de la commune de Ploemeur qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes.
Décide :
Article 1er : L’intervention du syndicat mixte pour le Scot du Pays de Lorient, de la commune de Larmor-Plage et de la communauté d’agglomération Lorient Agglomération est admise.
Article 2 : L’arrêt du 20 juillet 2021 de la cour administrative d’appel de Nantes est annulé.
Article 3 : L’affaire est renvoyée à la cour administrative d’appel de Nantes.
Article 4 : L’association Tarz Heol et autres verseront une somme de 3 000 € à Mme E. ainsi qu’à la commune de Ploemeur au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Les conclusions présentées par l’association Tarz Heol et autres au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à Mme G. E., à la commune de Ploemeur, à l’association Tarz Heol, première dénommée pour l’ensemble des défendeurs, et au syndicat mixte pour le schéma de cohérence territoriale du Pays de Lorient, premier dénommé pour l’ensemble des intervenants.